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Live8, G8, Afrique : Non à l’aide !

Débat

Par Shanda Tonme

Publié par le quotidien « Le Messager » de Douala [1]

Extraits repris par AlterPresse le 8 juillet 2005

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Nous n’avons à priori rien contre qui que ce soit, qui dans un stade, une rue, un parc, de Paris, Londres, Moscou, New York ou Berlin, rassemble les foules et joue sa guitare pour le plaisir de parler de la pauvreté dans le monde et de l’aide à l’Afrique. Nous sommes simplement choqués et troublés, d’imaginer que des gens aussi intelligents, se trompent volontairement de combat, de moyen de ce combat, et de partenaire dudit combat.

Notre trouble est d’autant plus grand, qu’il ne fait aucun doute dans l’esprit de personne, à l’heure d’Internet, que l’Afrique, maintenant plus qu’hier, se développe à reculons, se paupérise, et s’enfonce dans une misère indescriptible. Comment pourrait-on croire un seul instant, que ceux qui chantent et dansent en prétendant voler au secours de l’Afrique, ignorent les sources de nos problèmes, les origines de nos malheurs, et les auteurs des crimes dont nous sommes les victimes ? Nous n’entrerons plus dans la querelle des matières premières, ni dans les accusations contre l’Omc et consort. Nous ne prendrons plus part à ce faux débat sur les subventions. Nous refusons dorénavant, d’être utilisés comme des jouets et des alibis, aux mains des puissances en compétition pour le leadership planétaire. Nos citadins de Douala et de Brazzaville ne sont-ils pas revenus à la lampe à pétrole, parce que nous sommes gérés par des fous qu’il faut vite chasser ? Quelle vérité dépasse celle-ci.

Si cette vérité peut être cachée encore longtemps, et il demeure inexcusable, que des Africains se mêlent à un jeu biaisé d’avance, dont le seul but est d’entretenir des discussions stériles en Occident, de meubler les débats des assemblées, et de justifier la gestion de quelques excédents de production. Ceux qui chez nous se proclament société civile et se mêlent à ce concert hypocrite, ne sont que de pauvres imbéciles dont la mission et les choix d’opportunisme, sont responsables de toutes les moqueries qui nous accablent.

N’insultez surtout plus l’Afrique, ce continent si riche, mais si mal géré ! insultez ses dirigeants, ces pauvres d’esprit qui ont tout foutu en l’air et tout gâché. Notre colère est encore plus grande, quand nous observons tous ces présidents à vie qui s’installent dans différents pays, faisant penser à une Europe qui évoluerait en rentrant en arrière vers des féodalités et des monarchies du moyen âge. Nous n’avons entendu nulle part des gens crier pour la démocratie en Afrique dans ces concerts. Ce dont nous avons besoin, ce sont des millions de concerts pour la démocratie en Afrique, pour la guerre contre les dictateurs, les truands et tous les bandits installés au pouvoir. La rue ici prépare sa révolution, et peut-être que comme le réclamaient ces enfants des rues de Lomé, ils n’attendent plus que des armes et non des concerts.

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Mais pourquoi les Youssou Ndour et quelques autres Africains se mêlent-ils de cette mascarade, alors qu’ils savent pertinemment que le problème c’est l’absence d’expression de nos populations, la confiscation du pouvoir, le déficit de démocratie chronique, l’oppression brutale ? Les bonnes âmes de ces concerts ne sont-elles pas au courant de ce qui se passe au Togo, au Tchad, au Cameroun, en Centrafrique ? Qu’en disent-elles donc ?

Si l’histoire peut paraître acceptable pour quelques Blancs éloignés qui militent implicitement pour le triomphe de leurs patries sans le dire ouvertement, le cas des Africains qui émergent aujourd’hui comme partenaires et relais de cette sordide combine est pitoyable avant d’être condamnable. Qui sont donc ces individus qui se donnent des identités de société civile pour plaire à l’Occident et utiliser ses clairons ? L’invention de cette appellation de société civile est en train de produire en Afrique, une autre sorte de secte composée de paresseux, de fainéants, et de combinards qui cherchent les gains faciles et courtisent les pires diables. D’une conférence à une autre, on découvre des voyous, des ratés, et des mendiants qui croient qu’il s’agit de dresser une table, de convoquer la presse, et de réciter des verbes gentils et mielleux sur la mondialisation et la pauvreté, pour s’appeler société civile.

Que de tricheurs et de corrompus dans ces avatars de notre dite société civile, et que de criminels et d’intellectuels défroqués !

Nous entendons éduquer notre peuple, en lui faisant comprendre, que l’occident n’a jamais libéré ni aidé personne. C’est à chaque peuple, à chaque groupe humain, à chaque nation, qu’il revient de se libérer et de s’aider. Ni l’annulation de la dette, ni le déversement massif des cargaisons alimentaires, ni l’invasion des experts, n’est une solution pour nos problèmes. Quand il y a un problème en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou ailleurs en Occident, les citoyens votent pour changer le gouvernement. Les concerts n’ont jamais renversé un régime en Occident, ni modifier la constitution. Chaque fois que des peuples se sont trouvés dans des situations délicates, ils ont puni les responsables de cette situation, ils se sont donné de nouveaux dirigeants. Et lorsqu’il n’était pas possible de voter librement pour changer les dirigeants, les peuples ont pris les armes.

Le monde ne saurait se limiter aux yeux de l’Africain, à une constellation d’artistes qui ont pitié. Le monde est bâti sur les dures réalités de la concurrence, de l’égoïsme, et de la raison du plus fort. La loi des intérêts dicte les démarches des nations, et configure les positions des Etats. Personne sinon nos gouvernants irresponsables, ne nous a conduits dans la misère, et personne sinon nous mêmes, ne nous débarrassera de ces cancers. On aimerait bien entendre que dans les rues de New York et de Londres, des artistes marchent et chantent la révolution politique en Afrique, et non pas qu’ils s’amusent à parler d’un cadavre en omettant de dénoncer le meurtrier.

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Non ! non ! non, ce n’est pas pour nous, pour l’Afrique, que l’on chante, c’est pour amuser la galerie, pour évacuer les mauvaises consciences des richesses pourtant méritées, pour renforcer les dictatures qui ne sont en rien inquiétées. Ils nous croient toujours dans la situation de singes qu’il faut sauver, comme si ici, nous ne savions pas d’où viennent nos problèmes. Ce qui est en cause, c’est une Afrique où des dictateurs tuent, volent, et confisquent le pouvoir sans se soucier et sont accueillis en héros comme au récent sommet de l’Union africaine en Libye. Ce qui est en cause, ce sont les Bozizé et les Eyadéma, libres de leurs mouvements, libres de piétiner le suffrage universel, libres de museler leurs peuples, et de continuer à siéger tranquillement à l’Onu.

A-t-on libéré la Serbie, l’Ukraine, l’Angola, le Nicaragua avec les concerts géants ? A-t-on vaincu le nazisme, le franquisme, la Grèce des colonels, avec les concerts géants ? La France libre c’était quoi ? L’Algérie du Fln c’était quoi ? Qui veut donc nous tromper si longtemps et si profondément ? Que veut dire un concert dans l’univers d’un Africain qui naît, vit, et meurt sans jamais voter librement, ou sans jamais toucher une carte d’électeur ? Que vaut un concert géant pour un pays où les citoyens sont comptés en ethnies et traités en singes tribaux ? Qui veut nous faire croire que les génocides finiront ainsi ? Pourquoi ne s’inquiètent-ils pas de voir le fils d’Eyadema succéder à son père comme au moyen-âge ?