Recommandations d’un groupe d’institutions de la société civile, relatives aux événements de la nuit du 13 au 14 décembre 2021 à La Fossette (Cap-Haïtien)
Document soumis à AlterPresse le 30 décembre 2021
Nous, citoyens et institutions du Cap-Haïtien, estimons qu’il est de notre responsabilité de nous prononcer sur les événements malheureux, enregistrés dans la nuit du 13 au 14 décembre du courant, qui ont endeuillé plusieurs dizaines de familles capoises, semé le trouble et blessé la fierté de notre cité. Nous exprimons notre compassion aux proches des victimes, notre respect à l’endroit des disparus et notre proximité citoyenne de tous ceux et de toutes celles qui ont été secoués par les événements et sont préoccupés par le traitement qui en est fait durant les dix derniers jours.
CONSTAT
Nous avons été informés comme tout le monde, à travers les réseaux sociaux, durant les premières heures du mardi 14 décembre, de l’immense accident qui a tué ou blessé au-delà d’une centaine de personnes. La plupart des victimes auraient été sur la chaussée lors des incidents ; les flammes auraient atteint les autres au lit, en plein sommeil. On rapporte qu’un camion-citerne transportant du carburant serait au cœur de l’accident.
Nous constatons aussi que les rumeurs ont pullulé et qu’il circule de nombreuses versions des faits et des circonstances de l’explosion. Les rapports des uns et des autres sur l’accident sont comme souvent incomplets et répondent à des préoccupations particulières plutôt éloignées de la reconstitution intégrale des faits.
Nous constatons aussi que les autorités étatiques semblent se satisfaire des pseudos explications qui circulent puisqu’elles n’ont jusqu’ici pas fait d’annonce d’enquête.
Nous constatons aussi que des journées de deuil et des funérailles nationales ont été annoncées dans l’indifférence de l’ensemble de la population. En même temps, des corps non identifiés ont été enterrés, incognitos, dans des fosses communes, vouées à l’oubli.
Nous sommes obligés de constater que le rôle de l’état s’est circonscrit en des annonces à l’allure cosmétique ; en d’autres mots, ces annonces opportunes en soi donnent l’impression que l’état assume ses responsabilités alors que certains réflexes de gouvernance étaient clairement absents (tentatives d’identification des corps, sépulture digne, périmètre de sécurité pour éviter que la scène soit contaminée, recueil d’éléments d’intérêt pour une enquête à venir, mesures conservatoires…).
Nous constatons enfin que ces événements tragiques risquent de tomber dans les oubliettes ou, au mieux, d’être traités dans la chronique des chiens écrasés. Nous risquons de demeurer longtemps encore sujets de la pitié internationale.
ATTENTES
Nous nous permettons de souligner pour tout le monde, en toute humilité (sans vouloir donner de leçon), le caractère exceptionnel et grave des événements de La Fossette. Dans toute société organisée, un tel accident provoque des réactions immédiates des institutions étatiques et des corps organisés. Une gouvernance responsable ne peut traiter ce genre d’événement comme un fait divers ; en effet, il y va de notre niveau de respect pour la vie humaine, de notre niveau de respect pour notre intégrité, de ce qui reste de la fierté du Cap-Haïtien, de notre capacité de gouverner.
Les événements de la nuit du 13 au 14 décembre à La Fossette sont un énorme scandale et doivent être traités comme tel. C’est l’unique moyen d’empêcher qu’il y en ait d’autres au Cap-Haïtien et ailleurs dans le pays.
Comment pouvons-nous cesser de commettre les mêmes erreurs ou d’en commettre de pires si nous ne prenons pas les moyens de les identifier, d’en dessiner les contours, de les comprendre, de repérer les mécanismes qui les ont provoqués et de fixer les responsabilités ?
La ville du Cap-Haïtien, la population haïtienne doivent savoir ce qui s’est exactement passé dans la nuit du 13 au 14 décembre à La Fossette. Nous avons besoin de savoir comment nous en étions arrivés jusqu’à ces comportements extrêmes. Nous avons besoin de l’attribution objective des responsabilités et d’un juste dédommagement des véritables victimes. Nous avons besoin de nous assurer que cela ne se reproduise plus jamais.
Et ce n’est pas un rêve. Ce sont des attentes censées et légitimes de toute société civilisée. Quand le droit du voisin est violé, le vôtre est en grand danger.
RECOMMANDATION
Vu les circonstances de la survenue des événements de La Fossette, vu la gravité des faits, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une enquête en bonne et due forme. De ce fait, nous recommandons une enquête indépendante dans les meilleurs délais. Un groupe de spécialistes nommés à cet effet, devront avoir entre autres la responsabilité de rétablir les faits, d’analyser les circonstances de la survenue des événements, de fixer les responsabilités, de faire des recommandations de mise en accusation (le cas échéant) ou de loi pour combler des vides juridiques.
Nous recommandons que ce soit une commission d’enquête indépendante diligentée par le gouvernement de la République pour qu’elle ait les coudées franches, pour qu’elle soit indépendante par rapport aux autorités locales et à la société civile du Cap-Haïtien. Elle pourra ainsi fixer les responsabilités sans complaisance.
Nous recommandons qu’une échéance précise soit imposée à la commission d’enquête pour le dépôt de son rapport.
Nous recommandons enfin que le rapport d’enquête soit publié et les recommandations appliquées.
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