Communiqué de Jubilée Sud sur la proposition du G8 sur les Dettes
Repris par AlterPresse le 5 juillet 2005
Jubilée Sud, un réseau pour les campagnes d’annulation des dettes, formé par des mouvements et des organisation populaires d’Afrique, d’Amérique Latine et des Caraïbes, d’Asie et du Pacifique, reste ferme sur sa position de principe pour exiger l’abolition inconditionnelle des dettes réclamées aux pays du Sud, ce qui libèrerait les peuples du Sud de la domination créée par ces dettes.
Le fardeau financier du service de la dette n’a pas de sens. Il aboutit à la violation des droits de base de nos peuples et appauvrit nos pays. L’injustice apparaît davantage encore quand nous examinons la nature pénible et souvent odieuse des termes et des objectifs de la plupart de ces dettes, ainsi que les conséquences négatives des nombreux projets de dévellopement qui ont déclenché cette dette, projets imposés par les dirigeants du Nord et dont les gouvernements corrompus du Sud sont aussi responsables.
Ce qui est encore plus fondamental, c’est la façon dont cette dette a été instrumentalisée pour perpétuer le pouvoir des nations riches, des institutions financières internationales (IFI) et des sociétés multinationales sur la vie des gens de tous nos peuples . Ils utilisent ce pouvoir pour perpétuer la longue histoire d’exploitation et de pillage qui est une des raisons principales du problème de la dette.
Depuis l’explosion de la crise des dettes globalisées dans les années 80, nous avons été les témoins d’une série de programmes d’allègement des dettes par les gouvernements du G8 et les IFI. De toutes façons, ces arrangements successifs n’ont jamais réussi à sortir nos peuples de l’esclavage des dettes et le fardeau est toujours aussi pesant pour nos pays.
Depuis l’année dernière, les gouvernements du G8, dirigés par les Etats-Unis et le ROYAUME-UNI, ont commencé des discussions pour proposer l’annulation multilatérale de 100 % des dettes. Les campagnes pour l’abolition des dettes ont pris cela comme un défi et comme une occasion de se battre pour tout ce qui peut être bénéfiques, bien que la remise soit partielle mais représente néanmoins un pas en avant important dans leur lutte pour l’annulation multilatérale de 100 % de toutes les dettes.
Le 11 juin, les Ministres des Finances du G8 ont fait une déclaration sur "le Développement et la Dette" qui inclut une offre pour l’annulation multilatérale des dettes, proposition qui serait soumise aux Réunions Annuelles du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque de Développement africaine avant septembre 2005.
En ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas joindre nos voix à ceux qui saluent publiquement cette décision du G8 sur l’annulation des dettes, comme une victoire "historique", pour les raisons suivantes :
1. L’annulation multilatérale des dettes proposée aujourd’hui est toujours clairement liée à des conditions et reste conforme aux caractéristiques conventionnelles qui renforcent la pauvreté, ouvrent encore plus nos pays à l’exploitation et au pillage et perpétuent la domination du Sud par le Nord.
L’accord, proposé par le G8, inclut certes l’annulation de 40 milliards de dollars US de dette multilatérale revendiquée par les 18 pays les plus pauvres et cette annulation signifie pour ces pays un changement significatif de leur situation actuelle. Mais ces mêmes pays ont déjà payé et continueront à payer un coût épouvantable pour ces 40 milliards de dollars US afin de se mettre en conformité avec les exigences conventionnelles imposées pour atteindre "le Point d’Achèvement", mais l’impact des remboursements antérieurs se fera encore sentir pour eux pendant de nombreuses années.
La proposition mentionne aussi que l’annulation de 100 % de la dette sera seulement accordée à ceux qui "auront suivi les programmes d’obligations de remboursement ...". Ceci implique que les pays qui ont des arriérés de paiement doivent d’abord les payer avant d’être admis à l’annulation prévue.
La signification des conditions imposées aux pays qui seraient admis à voir leurs dettes annulées, n’est pas très clairement exposée : « ils doivent pratiquer une bonne gouvernance, avoir des comptes clairs et faire preuve de transparence ».
La proposition ne dit pas non plus clairement si l’annulation inclut les 11 milliards de dollars US réclamés par les 9 pays décideurs et les 4 milliards de dollars US réclamés par 11 autres pays, si les conditions d’atteinte du « Point d’Achèvement » ne sont pas remplies. En fait, ces 15 milliards de dollars Us concernent-ils aussi les 20 autres pays qui pourraient devenir éligibles à l’annulation de leurs dettes dans la mesure où ils rempliraient à leur tour les conditions exigées ?...
De toutes façons, ces 55 milliards de dollars d’annulation des dettes multilatérales seront bien loin de compenser les effets dévastateurs de toutes ces politiques qui incluent la privatisation des services publics, la libéralisation indiscriminée du commerce et du marché, l’ouverture des économies nationales aux investissements étrangers (avec pour cible principale les industries d’extractions minières en Afrique) et l’exportation de tout ce qui est dépense pour les besoins domestiques (assurances, santé, etc...). L’impact de ces politiques implique l’abandon de la souveraineté nationale et de la démocratie et l’intensification de la répression, de la militarisation et de la guerre.
Dplus, cette annulation des dettes multilatérales ne signifierait pas pour autant que ces pays seraient automatiquement libérés de la main-mise du FMI, de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de développement sur leur économies nationales. Ces institutions financières internationales ne sont pas seulement des organismes de prêt, mais leurs décisions et leurs taux influencent aussi le comportement des investisseurs internationaux et des prêteurs privés. Ces pays continueront donc à être vulnérables et à la merci de ces institutions, aussi longtemps que leurs gouvernements seront à la remorque des investisseurs étrangers, de l’aide internationale et des prêteurs privés.
2. Même si l’annulation de la dette s’effectuait sans ces conditions préalables, la proposition serait encore loin, dans un terme assez court et avec ses montants, de pouvoir de toutes façons être considérée comme un grand pas vers la justice :
°- Cette proposition ne concerne pas les dettes réclamées par la Banque Inter-Américaine et par la Banque de Développement de l’Asie au moins pour 6 des 38 pays concernés par l’annulation multilatérale de la dette. Sur ce point précis, rien n’est évident et aucune explication n’est présentée dans la proposition du G8.
°- Elle ne concerne que 38 pays sur les 160 pays du Sud accablés par le fardeau des dettes réclamées par les financiers internationaux. En restant silencieux sur ces autres pays du Sud, le G8 continue encore à conforter le mythe que la dette n’est un problème que pour les pays du Sud « les plus pauvres ».
°- Même en garantissant que le G8 a pour objectif de régler les situations les plus urgentes, cette proposition n’essaye pas de répondre aux conditions critiques provoquées par le choc du tsunami dans les les pays d’Asie, ou bien aussi à l’occasion des crises qui se produisent dans d’autres pays, comme par exemple en Haïti.
°- De plus, ces 40 milliards de dollars représentent vraiment peu de chose si on les comparent à ce que les gouvernements du G8 sont prêts à dépenser pour leurs budgets militaires annuels. Pour l’année 2004, il s’agissait de 400 milliards de dollars pour les seul Etats-Unis, et de 191,4 milliards pour l’ensemble des 6 autres pays du G8, à l’exclusion de la Russie.
°- Ces comparaisons doivent être complétées en considérant que la contribution des 55 milliards de dollars US des pays donateurs à l’annulation de la dette doit s’étendre sur plusieurs années, c’est-à -dire la même durée de remboursement que celle des prêts abolis.
°- En fait, leur contribution à l’annulation de la dette devrait être d’environ milliard de dollars US par an. C’est vraiment une somme minime si on la compare à ce que les gouvernements du G8 et les IFI collectent annuellement en remboursement du capital et des intérêts de la dette auprès des pays du Sud.
En 2003, par exemple, plus de 23 milliards de dollars US ont été récupérés pour les seuls intérêts du paiement des dettes multilatérales et bilatérales réclamées aux pays du Sud.
3. Comme lors des annulations précédentes, la proposition actuelle n’annonce toujours pas la fin de ces dettes odieuses et très coûteuses.
Même en considérant les paramètres strictement légalistes, politiques et éthiques, la plus grande partie des dettes réclamées au Sud restent manifestement illégitimes. Vraiment, beaucoup d’entre elles se sont révélées franchement illégitimes. Les gouvernements du Nord et les IFI ont toujours refusé et continuent de refuser de mettre un terme définitif à cette situation.
La plupart des précédentes tentatives pour restructurer, annuler ou rejeter ces dettes odieuses n’ont été que des manœuvres opportunistes des pouvoirs coloniaux et des forces d’occupation afin de pouvoir libérer dans le Sud des ressources pour leurs propres intérêts. L’exemple le plus récent reste la restructuration de la dette irakienne.
4. La déclaration des membres du G8 ne reconnaît pas les causes historiques et structurelles de la dette et de la pauvreté, et ne prend pas encore leurs propres responsabilités . Sans cette reconnaissance, les gouvernements du G8 ne peuvent pas reconstituer l’histoire de la pauvreté. En fait, la déclaration du G8 ne reconnaît pas la responsabilité collective de ses membres dans la croissance de la pauvreté générée par les politiques qui ont créé la dette des pays du Sud.
Nous reconnaissons cependant que cette déclaration du G8 sur l’abolition du stock de dettes multilatérales, proclamée par cette institution pour 18 des 38 pays les plus pauvres, apporte quelques progrès par rapport à la situation précédente et va créer un soulagement limité pour ceux qui doivent payer leurs dettes. On doit aussi noter que les dettes réclamées par les IFI sont incluses dans cette abolition. C’est là une reconnaissance officielle du fait que ces dettes des IFI peuvent être abolies, contrairement à ce qui nous avait été dit depuis des années. Le fait que les gouvernements du G8 ait été obligés de reconnaître honteusement l’inadéquation du schéma de leurs différentes dettes n’aurait pas été possible sans les incessantes et infatigables campagnes contre le paiement de ces dettes et sans l’action des mouvements sociaux dans le monde entier.
Cependant, nous ne devons pas perdre de vue la nature et la portée de ces déclarations :
La déclaration sur les dettes par le G8 est un effort astucieux pour rendre positifs tous ces éléments afin de projeter une image de générosité de leur part. Mais en fait, tous ces éléments sont enveloppés dans un paquet bien ficelé et en accord avec leur agenda économique actuel et futur pour pouvoir continuer à contrôler le Sud.
Nous rejetons ce nouvel essai qui veut à nouveau manipuler les espoirs et les réclamations de millions de personnes dans le monde.
Nous demandons en urgence à toutes les campagnes pour l’abolition des dettes, aux mouvement sociaux et aux organisations populaires d’accentuer leur pression et de réclamer aux leaders des pays les plus riches et les plus puissants du monde de prendre immédiatement des mesures pour aller vers :
L’abolition inconditionnelle de toutes les dettes réclamées aux pays du Sud.
La fin des politiques imposées aux pays du Sud à travers les prêts, l’aide, le soulagement des dettes et les programmes d’abolition des dettes, ainsi que des autres moyens de pression économique, de contrainte politique et d’agression militaire.
Les restitutions et la réparation pour l’esclavage et la colonisation, le pillage de nos richesses et de nos ressources naturelles, l’exploitation de notre travail et les destructions humaines, sociales et économiques provoquées dans les pays du Sud par leurs activités économiques, leurs opérations militaires et les guerres.
Nous rappelons aux gouvernants des nations les plus riches et les plus puissantes du Nord cette vérité : c’est le Nord qui doit au Sud. L’accumulation et la concentration de la richesse dans le Nord ont été surtout réalisées au dépend du Sud, grâce à notre terre, à nos minéraux, à nos forêts et nos rivières, à notre travail, à nos communautés, à nos économies, à nos cultures, à nos gouvernements et nos propres vies.
Nous lançons un défi à tous les gouvernements du Sud pour qu’ils aient la volonté politique de répudier toutes les dettes réclamées au Sud par le Nord et qu’ils tracent ainsi une nouvelle voie vers un développement autonome des pays du Sud et une auto-détermination de leur politique.
JUBILEE SUD
14 juin 2005