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Haïti : Fin d’une année académique troublante

P-au-P, 04 juil 05 [Alter Presse] --- La correction des examens officiels pour l’année académique 2004-2005 doit débuter cette semaine, à l’issue d’un cycle qui s’est achevé sur fond de crise le 30 juin dernier, avec la clôture des examens du baccalauréat 2e partie.

Elèves et étudiants dressent un tableau nuancé de l’année écoulée. « C’était une année scolaire très bouleversante. Nous avons dû braver le danger à la recherche du pain de l’instruction », a déclaré à AlterPresse Nadine, une jeune bachelière.

« Les crépitements d’armes automatiques, les manifestations violentes des ‘chimères lavalas’ et les interventions non planifiées des agents de la police ont provoqué parmi nous une psychose de peur. Nous assistions aux cours contre nous-même. Et malgré tout, nous étions armés de courage et de dévouement en vue de réussir l’année », a fait savoir un élève du Lycée Alexandre Pétion.

Côté université, le moral des étudiants n’était pas au beau fixe. L’année académique était surtout marquée du sceau de la violence. Professeurs et étudiants avaient toutes les peines du monde pour se rendre régulièrement dans les salles de cours.

« L’année académique 2004-2005 arrive certes à sa fin, mais nous ne pouvons pas parler de réussite. Car, durant cette année, la peur a habité nos cœurs... peur d’être attaqués, enlevés ou tués. Elèves, étudiants et professeurs sont ciblés », a déploré un étudiant de la Faculté des Sciences Humaines.

« Jadis, nous avions l’habitude de nous rendre sur les places publiques pour des séances d’études. Là , bacheliers et étudiants se retrouvaient. Maintenant, les places publiques sont fréquentées par d’autres personnes, à d’autres fins », a-t-il poursuivi.

« Intellectuellement, nous ne pouvons pas produire et la crise économique qui frappe le pays a de graves conséquences sur la vie étudiante. Dans ces conditions, l’excellence académique est presque inaccessible », a martelé cet étudiant en sociologie qui s’exprimait sous couvert de l’anonymat.

Durant l’année académique 2004-2005, les violences se sont accrues dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Des écoles situées dans les zones volatiles telles le Petit Séminaire Collège Saint Martial, les Lycées Alexandre Pétion et Daniel Fignolé ont été la cible de bandes armées, favorables à l’ex président Jean Bertrand Aristide.

Le Lycée Alexandre Pétion, situé dans le quartier de Bel Air, a été menacé d’incendie. Le Lycée Daniel Fignolé, qui se trouvait à Delmas 6 (périphérie nord), a été transféré.

Parents atteints par des balles perdues, en emmenant ou ramenant leurs enfants de l’école, écoliers blessés ou même tués, les cas enregistrés durant l’année ont provoqué la plus grande émotion.

Les directeurs d’écoles publiques et privées ou professeurs d’universités ont subi la loi des brigands. Bon nombre d’entre eux ont été enlevés pour être libérés en échange de rançon. C’est le cas du directeur du Collège Vision Continentale, le professeur Guy Frantz Boursicault dont l’enlèvement a été planifié par l’un de ses élèves, le jeune Roudy Pierre, ou celui des professeurs Jean Claude Charles et Amos Durosier de l’Institut des Hautes Etudes Commerciales et Economiques (IHECE). Ce dernier a été enlevé en plein salle de cours.

Le plus grave, c’est sans doute le cas du professeur Jean Gérard Gilbert du Centre de Formation Classique (CFC). Depuis son enlèvement le 1er juin jusqu’à aujourd’hui, ses parents sont sans nouvelles de lui.

Avec ce contexte de violence, Haiti risque de connaître des fuites de capitaux et de cerveaux. Des professionnels de la santé, des hommes d’affaires, des professeurs d’universités, des travailleurs de la presse ainsi que d’autres professionnels ont vite fait de quitter le pays.

« Sous la dictature de la famille des Duvalier, des intellectuels ont été chassés du pays. Aujourd’hui nous en payons encore les conséquences, car ils ne sont jamais revenus. Présentement, il y a une véritable chasse à l’homme contre les figures emblématiques de la classe moyenne », a dénoncé un jeune étudiant.

« En octobre prochain, les responsables d’écoles et d’universités risquent d’être dans l’impossibilité de trouver tous les professeurs dont ils auront besoin pour dispenser des cours », a-t-il ajouté.

Pour instaurer une paix durable dans le pays, ces aspirants sociologues croient que l’usage de la force doit être accompagné de mesures sociales. « L’insécurité est comme une poule. Si on la chasse ici, elle apparaît là -bas. De ce fait, il faut résoudre ce problème à la base », ont-ils fait savoir.

A présent, les bacheliers et étudiants sont dans l’attente de leurs résultats. Ceux qui auront à affronter les examens de rattrapage ne seront pas de tout repos.

En outre, on présume que la prochaine rentrée scolaire, à la veille des élections prévues pour la fin de l’année, pourrait se présenter comme un vrai défi. [do apr 04/07/05 04 : 20]