Par Gary OLIUS*
Soumis à AlterPresse le 3 octobre 2021
« Yankee de mon cœur, toi qui entres chez moi en pays conquis, … j’attends dans ma nuit que le vent change d’aire »
Anthony Phelps, in ‘Mon Pays que voici’
Dans l’Haïti d’aujourd’hui, façonnée au goût des puissances occidentales et étiquetée récemment de Pays Normal par l’Onu, on meurt toujours tête noire, mais rarement de sa belle mort. La vie y est tellement fragile et les anges de la mort si puissants et omniprésents. Si ces derniers ne sont pas à la barrière ou à l’entrée du domicile de chacun de nous, ils sont au détour de la maison d’en-face et d’à côté ou probablement au prochain carrefour. Gare à ceux et celles qui n’y prennent pas garde, sinon un jour ou l’autre ils risquent de se faire surprendre par ces disciples zélés de Thanatos, Hadès ou Baron Samedi au moment ils s’y attendaient le moins.
Nous autres, Haïtiens, sommes coincés de toute part. D’un côté, des bandits utilisant à 95% des armes en provenance des États-Unis d’Amérique nous rendent la vie impossible sur le terroir et nous forcent à laisser le pays, et de l’autre, les officiers de la police frontalière américaine nous reçoivent - après un minutieux contrôle au faciès - à coups de fouets et nous refoulent sans aucun ménagement et sans la moindre considération, comme pour nous humilier sous le regard et les caméscopes du monde entier. Ils savent pertinemment que cela allait nous faire mal et porter un coup dur à notre dignité et notre image, mais ils le font quand même. Ils aiment tellement nous voir souffrir … et, dans leur sadisme panaché, ils puisent dans nos atroces souffrances un divertissement proche de l’orgasme.
De surcroit, c’est en hauts lieux et loin des regards indiscrets, que l’establishment américain s’allie à la mafia politico-économique haïtienne pour empêcher aux couches saines de la population de choisir des dirigeants qui sont aptes à sortir le pays de la pauvreté, du marasme économique, du banditisme légalisé, du vol et de la corruption. Et pour signifier leur volonté inassouvie de confiner éternellement le pays tout entier dans les basfonds de la bêtise politique, les USA et leurs alliés esclavagistes font la sourde oreille quand le peuple haïtien crie au secours. Ils méprisent Haïti et n’ont des yeux, des bouches et des oreilles que pour les bourreaux politiciens avec qui, ils planifient et exécutent les coups les plus scandaleux et aux effets les plus retentissants au niveau mondial. Non satisfaits de tout cela, ils jouent en permanence la carte de la zizanie pour porter nos politicards à oublier le bien commun qu’est Haïti dans leurs confrontations fratricides et sans grandeur. Qui ne se souvient pas des déclarations de Francklin Delano Roosevelt, - Président de la République étoilée, considéré comme un ami d’Haïti pour avoir signé la fin de l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934) – recommandant à la postérité étasunienne et aux puissances de l’heure qu’Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entredéchirer…. Ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes.
Cette politique américaine à la Rome antique de « Divide ut regnes ! » (Diviser pour régner) a commencé dans les premières années qui suivent notre indépendance et, les colons du sud des États-Unis demandèrent au Congrès américain de passer une loi prohibant tout commerce avec l’ancienne colonie de St-Domingue, parce qu’ils craignaient que leurs esclaves fussent inspirés par l’exemple “exécrable” et “anti-chrétien” de ces sales nègres d’Haïti qui avaient massacré leurs maitres, au nom de leur liberté. John Randolph, un des membres du congrès de l’époque, s’enflamma de rage contre la république d’Haïti au cours de la ratification de la loi d’interdiction de commerce avec elle, justement en évoquant une supposée anomalie de la lutte anti-esclavagiste et une question de teinte épidermique [1].
Depuis toujours, toutes les crises haïtiennes sont délibérément fomentées au détriment de la tranquillité de notre peuple, contre son développement économique et son indépendance politique. Ce, dans les officines de l’Ambassade Américaine, comme toujours. La liste des menées et actions inamicales de la part de ces faux amis et de leurs alliés occidentaux est longue et, sans exception aucune, elles ont été conçues pour condamner éternellement les descendants des héros de l’indépendance à la misère et au désarroi. Malgré tout cela, les Haïtien(ne)s sont dans l’obligation de croire que le pays sortira un jour de cette domination copieuse et de cet enfermement avilissant, quel que soit le prix à payer, puisqu’il n’y a plus de possibilité de progrès dans l’obéissance aveugle à cet establishment cynique et malveillant.
Malheureusement, les dirigeants haïtiens contemporains sont conditionnés par cette réalité imposée depuis plus d’un siècle et, pour eux, il n’y a qu’une seule chose qui vaille : se maintenir au pouvoir pour s’enrichir au détriment du peuple haïtien, pendant que les politiciens de l’opposition sans sentiment nationaliste, toute tendance confondue, n’ont de la bouche que pour vociférer et signifier leur besoin d’une petite place au soleil, pas trop loin du prince placé par les proconsuls étasuniens qu’ils font semblant de critiquer farouchement. C’est pour cela d’ailleurs que les puissances occidentales réunies au sein du Core Group ne pensent qu’aux échéances électorales, qui leur permettent de conserver leurs poulains au pouvoir et d’être en mesure de claironner face à Cuba ou au Venezuela la bonne santé d’une démocratie haïtienne qui n’existe que dans leurs esprits malades et démoniaques.
Sans le moindre scrupule, les responsables américains laissent passer les fusils d’assaut utilisés par les principaux groupes de bandits opérant impunément à Port-au-Prince et ses environs, ils profitent de la dernière crise migratoire pour envoyer au Cap-Haïtien des criminels extrêmement dangereux comme pour embraser le pays tout entier et, paradoxalement, ils financent les organisations (soi-disant de défense de droits humains) qui dénoncent les massacres à répétition qui se font sur la population civile. Un peu comme au temps où ces américains aidaient Aristide à détruire les FAd’H pour mettre en place cette Pnh dont la plupart des membres dirigent de nos jours les gangs armés les plus féroces d’Haïti. Oui ces américains, ils ont l’art de souffler le chaud et le froid sur notre réalité politique pour la rendre toujours plus moribonde et plus contrôlable par la mafia ou par d’autres forces ténébreuses.
On dirait pour pousser la tragi-comédie jusqu’à sa dernière limite, ils ont attendu qu’Haïti soit si mal-en-point socioéconomiquement et que tous ses indicateurs sécuritaires soient au rouge vif pour la considérer comme un Pays Normal et enjoindre l’Onu d’en prendre acte pour la faire progresser statutairement (au chapitre VI) dans le concert des nations. Dans la même logique, c’est pendant que les bandits interdisent aux citoyens de circuler librement dans le pays que le Core Group (contrôlé totalement par Mme Sison) y exige des élections dans le meilleur délai. Tenez-vous bien, les américains font tout cela au nom de la coopération, de l’assistance internationale et de la diplomatie. Ils font ce qu’ils veulent, comme bon leur semble et n’appréhendent aucune forme de réplique pour leur cynisme, car en Haïti ils contrôlent tout, le pouvoir en place, ses principaux opposants, la bourgeoisie mafieuse et les principaux organes de presse. Après tout, n’ont-ils pas fermé les yeux et gardé une soirée de silence pour laisser mourir sans pitié ce président qu’ils ont forcé de trahir le plus grand allié d’Haïti dans le monde (le Venezuela) et s’exhiber à posteriori au vu de tous comme le plus grand garant de la sécurité de sa femme ? Pince sans rire, les américains appellent cela également coopération et débitent le coût y afférent de l’hypothétique enveloppe prévue pour le peuple haïtien.
Haïti survivra-t-elle à cette domination infernale ? Oui, j’y crois fermement car ce pays n’est pas seulement fait d’individus lâches et sans vergogne. Il a déjà connu des moments ou de longues périodes très difficiles et a réussi à maintenir la tête au-dessus de l’eau. Haïti survivra, car elle n’est pas seulement ce que les racistes militants nord-américains et leurs complices haïtiens voient et interprètent à leur manière. Mais Haïti, c’est aussi la résilience aux forces de la nature : 60 ouragans en 50 ans, dont 20 extrêmement dévastateurs, en plus des séismes terrifiants du 12 janvier 2010 et du 14 aout 2021. Haïti, c’est la résistance aux forces impérialistes : 18 ans d’occupations militaires néfastes au cours des 25 dernières années. Haïti, c’est la résistance à la bêtise politique, 10 coups d’état et 12 processus électoraux truqués en 30 ans. Il y a une autre mascarade électorale en perspective et contre laquelle le peuple haïtien doit se tenir prêt à se battre … C’en est assez !
Les Haïtiens sont viscéralement résilients et cette résilience saute aux yeux des maitres du monde au même titre que les immenses souffrances qu’ils subissent. C’est fort de cela que ces puissances impérialistes et néocoloniales se sont résolues à faire d’Haïti une terre d’expériences grandeur-nature pour tester les résultats de ce que pourrait être une anthropie (désordre) sociale et politique maximale, alimentée par la violence, l’insécurité et la misère à outrance. Tout cela, en la maintenant sous une forme de perfusion financière savamment contrôlée, au motif d’aide internationale (sous contraintes). L’idée étant de voir jusqu’à quel point notre résistance pourra tenir. Oui, tout cela se fait au nom d’une certaine science racistoïde et aussi criminelle que celle pratiquée par les tenants du nazisme. Quand Donald Trump parlait d‘Haïti comme d’un ‘shithole’, c’était en connaissance de cause. Quand Joe Biden appuie ouvertement Mme Sison (malgré ses excès) et plaide ouvertement pour la continuité de la politique menée par Trump et initiée par les Clinton … c’est toujours en connaissance de cause. Ce que disait Trump publiquement et à haute voix, Biden le dit tout bas et dans le cercle fermé de ses proches. C’est fort à propos que l’establishment américain attend fiévreusement les résultats des diverses expériences menées sur le sol et dans les fonds marins d’Haïti, pour tirer des conclusions exploitables dans les relations économiques et diplomatiques avec les pays africains qui ont choisi de prendre la route de la soie. Déjà, ils ont vu ce que les mêmes expériences ont donné en Irak, au Liban, en Syrie et en Afghanistan ; les résultats ne sont pas assez concluants et ne permettent pas d’envisager des scenarii faisables pour faire reculer avec effectivité la Chine ou la Russie.
Qui se souvient des recherches menées par les navires français dans la rade de Port-au-Prince après le séisme du 12 janvier 2010 ? On peut avoir une dent contre Gérard Latortue, mais au moins il faut reconnaitre qu’il avait eu le courage d’exiger une copie du rapport desdites investigations. Mais, faute de suivi, les Français et les Américains ont conclu leurs travaux et estimaient qu’ils ne devaient rien ni aux élites intellectuelles ni aux dirigeants haïtiens. Et, ainsi, la chose s’est passée comme une lettre à la poste. Les mêmes causes entrainant les mêmes conséquences, un navire de guerre battant pavillon d’un pays membre de l’Ue, s’est pointé à la fin du mois d’août 2021 sur la côte Sud et le commandant de bord disait venir aider au transport des blessé(e)s …. plus de deux semaines après le séisme, qui a littéralement démoli cette zone. Cette fois-ci, les puissances occidentales n’ont pas eu le courage de donner à leur forfait une couverture scientifique, ils ont utilisé plutôt un prétexte humanitaire, difficilement soutenable.
Il est donc venu l’heure de rebattre les cartes et de réorienter les relations avec les superpuissances du monde, redéfinir la diplomatie et la politique étrangère d’Haïti. La doctrine de Monroe a déjà fait son temps et ne saurait être éternelle... L’afflux de pauvres migrants haïtiens (et d’autres pays de l’Amérique latine sous le pont de Rio entre le Mexique et le Texas) devra définitivement sonner le glas de cette auto-proclamation américaine et certifier le droit de ces peuples à explorer des voies alternatives pour sortir de la misère et de l’humiliation, et ainsi revendiquer leur plein droit au développement socio-économique. Cette doctrine désuète porte l’empreinte d’un système-monde bipolaire qui n’existe plus et les parties saines des élites haïtiennes doivent profiter de ce momentum pour redorer le blason du pays. Haïti ne peut plus vivre avec l’étiquette de ‘shithole’ que les américains lui ont accolée et elle se retrouve dans l’obligation cartésienne de s’en défaire. C’est une nouvelle révolution à envisager et il faudra la faire … quel que soit le prix à payer, car les fouets du Texas occasionnés par le banditisme surarmé et le contrôle absolu de la politique haïtienne par les américains ont absolument la même signification que les coups et les tortures infligés à nos ancêtres par les colons français. A bon entendeur, salut … !
* Économiste et Spécialiste en Gouvernement et Administration Publique
Membre du Haut Conseil de l’Université Publique du Sud-Est (Upse)
Contact : golius_3000@hotmail.com
Photo : Source Twitter Ariel Henry
Rencontre le 30 septembre 2021 avec une délégation américaine
[1] “ ... Haiti, an anomaly among the nations of the earth. We should leave nothing undone which could possibly give to the White population in that island an ascendancy over the Blacks” (Logan 142)