Par Ivan du Roy de Témoignage chrétien
"Une autre Europe est possible". Sans aucun doute. Le FSE permet d’en sentir les prémices. Le panel des thèmes abordés est impressionnant. Peut-être un peu trop : 31 conférences, 143 séminaires, plusieurs dizaines d’ateliers et de présentations de campagnes, en deux jours et une matinée ! On ne sait plus où donner de la tête : services publics ou démocratie participative, droits des migrants ou lutte des femmes, économie solidaire ou refondation de la gauche, désobéissance civile ou protection de l’environnement ? Faut-il aller écouter Susan George villipender l’OMC ou se laisser entraîner par la charismatique Vandana Shiva (Inde) défendant l’eau comme bien public mondial ?
Chaque conférence réunit plusieurs milliers d’auditeurs, prompts à s’enflammer à chaque assaut contre le capitalisme ou critique de l’empire américain. A la sortie, un léger sentiment de frustration plane. Oui, et après ?
Comment passer de l’analyse, de l’expertise, de la résistance à la construction d’altenatives. Sur plusieurs sujets, on a l’impression que ce débat est soigneusement évité. Ne parlons pas des choses qui fâchent ! Sur les services publics par exemple : "Nous avons du mal à sortir de l’analyse sectorielle. Trop souvent, la seule solution évoquée reste la défense de la grosse entreprise nationalisée et bureaucratisée", explique Sarah Valin, de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs. "Il est nécessaire de critiquer et de refonder les services publics actuels mais les syndicalistes sont peu ouverts là -dessus". Point positif : les grandes confédérations, qui, avant, boudaient les forums, se sont déplacées en force, comme la CGT française ou la CGIL italienne. Même un représentant de la Confédération européenne des syndicats est venu affronter l’hostilité des syndicats plus radicaux. Il leur sera difficile d’œuvrer ensemble pour un programme commun.
A l’Est, rien de nouveau
La question de l’alternative au capitalisme se pose crûment en Europe de l’Est. "En Hongrie, la production industrielle a baissé de 30%. Imaginez ce qui se passerait si un pays occidentale connaissait cette situation !", assène Karoly Lorant, d’Attac Hongrie. "Dans les pays socialistes, le chômage était inconnu. Aujourd’hui, son niveau atteint 15 ou 20%". Il y a pire : la Russie. "Nous vivons dans une situation terrible. Les nouveaux riche russes font face à un tiers de la population qui vit avec moins d’un dollar par jour", alerte Alexander Buzgalin, d’Alternatives (un réseau d’universitaires aux relents pro-soviétiques). Face à ces "désastres sociaux", un universitaire belgradois, Andrej Grubacic, propose une version aménagée du modèle autogestionnaire yougoslave. Celui-ci hérite d’une appellation en vogue : l’économie participative. "Qu’y a-t-il de mal avec la vision socialiste originelle ? Pourquoi ouvriers, employés, consommateurs, réunis en conseils ne peuvent-ils travailler ensemble ?".
Economie populaire
De nombreuses réunions sont consacrées à l’économie solidaire, le mouvement coopératif, le commerce équitable, la consommation éthique. Seul manquait à l’appel le mouvement mutualiste. Malgré cela, la mayonnaise n’a pas pris. "Pour la première fois est abordé le thème "une autre entreprise est possible". La présence de ces réseaux est positive mais il n’y a pas eu de débats, de confrontations, chacun se contentant d’un discours très convenu", regrette Michèle Dessenne, membre de la société coopérative Incidences, du Réseau pour une économie solidaire et coopérative et membre fondatrice d’Attac. "Personne ne s’est interrogée sur ses propres réseaux et les raisons de leur isolement vis-à -vis du mouvement social et des syndicats. Il n’y a aucune vision stratégique".
Chacun a pourtant à apprendre de l’autre. D’un côté, les syndicats pourraient développer les pratiques d’économie solidaire au sein des entreprises classiques. De l’autre, ces réseaux en voie de professionnalisation accélérée – l’économique passe désormais avant le social, les compétences avant le sens - feraient bien de se souvenir des valeurs qui les ont inspirés. "L’issue intelligente aurait été de refonder ensemble une "économie populaire". L’enjeu est aussi d’entrer dans des réseaux internationaux. "Nous avons beaucoup à apprendre du Sud", estime Michèle Dessenne.
Quelles perspectives politiques ?
Le FSE est une réussite en terme de participation : 35 000 personnes. Beaucoup de questions restent donc en suspens, notamment les débouchés politiques. Le sommet de Johannesburg sur le développement durable a été un échec. Lors de chaque élection européenne, la menace extrémiste et nationaliste grandit. "Pourquoi un tel décalage entre les mouvements sociaux et les urnes", se demande Elisabeth Gauthier, Allemande, membre d’Espace Marx. Si la "constitution de nouvelles forces politiques transformatrices" commence à être évoquée, la ligne rouge n’est pas encore transgressée : passer du rôle de contre-pouvoir à une force de propositions et capable de les mettre en œuvre.
Témoignage chrétien - Ivan du Roy - 9 novembre 2002