Saint Michel de l’Attalaye (Haiti), 09 mai 2021 [AlterPresse] --- A l’occasion de la fête patronale de Saint Michel de l’Attalaye, le 8 mai 2021, des comédiens, comédiennes accompagnées de danseurs et danseuses en provenance de plusieurs communes de l’Artibonite ont transformé les rues de Saint Michel de l’Attalaye en véritable scène de théâtre, en vue de sensibiliser les citoyens et citoyennes sur leur rôle central d’acteurs du développement.
Une mise en scène d’un surprenant service religieux mélangeant chœurs chrétiens, danses folkloriques agrémentées de pas de Break Dance (Hip Hop), chants vaudou, transe et show de tambour, a été offerte au public. Riverains, curieux et pèlerins à la fois étonnés, choqués et attentifs ont assisté à la performance de fidèles et de leaders religieux leur communiquant des messages encourageant la participation citoyenne, la transparence, la concertation entre les autorités locales et la société civile pour le développement local.
Issus de plusieurs troupes de théâtre et de danse des communes de Terre Neuve, des Gonaives, des Verrettes et de Saint Michel, des jeunes acteurs ont bénéficié de l’encadrement de Chelson Ermoza, comédien, conteur, acteur, de Abydarlyne Jouth, comedienne et danseuse et de Rony Joseph, Tambourineur ,grâce au projet Toujou Pi Fò Ansanm (TPFA), cofinancé par l’Union Européenne dans l’Artibonite.
La commune de Saint-Michel de l’Attalaye a une population de 150 511 habitants dont 76 102 femmes, selon une estimation de IHSI en 2015. Elle est divisée en 8 sections communales.
Le Projet « Toujou Pi Fò Ansanm » s’inscrit dans le processus de construction démocratique déjà initié dans le département de l’Artibonite, en renforçant l’interaction et la concertation entre les Organisations de la Société Civile et les Autorités Locales.
Son approche prévoit l’utilisation de différentes méthodologies de communication, de sensibilisation et de plaidoyer adressées à la population locale, afin de la sensibiliser comme acteur central de développement, et aux autorités locales, pour améliorer leurs capacités d’écoute et de transparence.
L’inhabituel à Saint Michel : la drôle de religion
Saint Michel célèbre ses 151 ans de fondation, le 8 mai 2021. Le Soleil ne brille pas de tous ses feux, mais diffuse sa belle et supportable chaleur sur la commune qui fait peau neuve. Le Centre-Ville est grouillant d’activités champêtres. Des pèlerins s’activent sur la place publique comme dans ses alentours. Les étals colorés de cordons, de bougies, d’images sacrés ne détonnent pas avec les slogans des marchands et marchandes ambulants.
Des activités artistique, religieux, touristique, économique ponctuent cette journée champêtre des Saint-Michelois et Saint-Micheloise (e). La senteur pimentée de la bonne et appétissante gastronomie artibonitienne nargue le palais de beaucoup, alors que la musique diffusée par des hauts parleurs portatifs électrisent les hanches.
C’est dans cette ambiance que soudainement, l’inattendu, l’inhabituel se produit. Un drôle de cantique se fait entendre au beau milieu de la rue, à la mi-journée. Une sorte de chant de louange avec des paroles d’une langue totalement inconnue. Le roulement d’un tambour sur un rythme vodou. Des gestes, des sauts, de grands signes de la main exécutés par un groupe de personnes apparemment en transe. Et la confusion grandit au milieu de la foule de spectateurs quand du Break Dance se met de la partie.
« Qui sont ces jeunes fous. Ne me dites pas que c’est une religion à la mode ? Les « bredjenn » ou les « dexter » se moquent-ils de Dieu maintenant » lance une jeune dame vêtue d’une longue robe.
La foule grandit. Alors que certains cherchent à se frayer un passage pour être aux premières loges, un vibrant « Legliz Lapè Bondye avè w (Que la Paix de Dieu soit avec vous, Eglise) » retentit et un pasteur bizarrement habillé commence à haranguer le public avec sa « bonne nouvelle ». Des versets bibliques sont cités, des « Alléluia ! Gloire à Dieu, Amen » sont lancés par les fidèles. De véritables missionnaires.
« Mais c’est quoi cette religion ? D’où viennent ses adeptes qui ressemblent à ceux de l’armée Céleste », se questionne une dame tout en ne quittant pas la petite troupe de « missionnaires » des yeux et exécutant quelques mouvements des hanches discrètement.
Le comédien-Prédicateur harangue la foule très dense. « Je ne sens pas votre présence. Dieu semble être absent dans votre vie », lance-t-il au public qui répond énergiquement « Amen. Nous sommes là Pasteur ! ».
« Que la paix et la grâce de Dieu soient avec vous tous. La bible nous rappelle dans Jean 3 verset 16 que ‘Dieu a tant aimé le monde, qu’Il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle’. Mais en attendant cette vie éternelle au paradis, nous avons l’obligation de contribuer comme citoyens et citoyennes dans l’amélioration de la vie dans notre communauté » poursuit le prédicateur.
Le doute d’une bonne partie de l’assistance semble se dissiper peu à peu au point que les « Amen », « Alléluia », « Gloire à Dieu » fusent automatiques. Certaines personnes sautent, lèvent les bras en l’air. Des jeunes singent des fidèles protestants possédés par le « Saint Esprit ». L’ambiance est électrique.
« Après avoir élu des autorités locales, il faut surveiller leur travail. Elles ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent. Vous avez l’obligation par exemple de faire pression pour que la Mairie nettoie la ville. Dieu n’habite pas dans la saleté. La communauté doit être propre. En même temps que vous priez, il faut garder les yeux ouverts sur la communauté. Servez Dieu et Engagez-vous dans votre communauté », sermonne le comédien-prédicateur d’une verve citoyenne.
Un vigoureux cri retentit dans la foule. Une femme en transe se met à parler une langue inconnue et quasiment incompréhensible à tout le monde sauf à un comédien-interprète.
« L’Esprit Saint nous dit : il est inconcevable de vivre dans une communauté sans être informé des projets qui la concernent. On doit participer à toutes les actions de développement. L’Esprit vous fait encore dire que la vraie démocratie repose sur la participation et une gestion transparente », traduit l’interprète à l’intention de l’assistance.
Pour compléter le tableau de ce tournant citoyen que prend la cérémonie religieuse, certains comédiens et comédiennes brandissent des pancartes sur lesquelles sont inscrits des messages tels « Le dialogue entre la société Civile et les autorités locales est fondamental pour l’amélioration de la vie de la communauté », « Ne ratez jamais l’occasion de dire son mot sur la vie de sa communauté », « Citoyens, citoyennes, vous êtes le centre du développement de votre communauté ».
Dans le public, on observe des hochements de tête en signe d’acquiescement, on entend des applaudissements ainsi que des « C’est cela qu’il faut prôner dans nos églises » ; « Il faut secouer la conscience des gens » ; « c’est un bon pasteur même s’il est bizarre ».
« Je ne sais pas de quelle religion il s’agit. Mais leur façon d’évangéliser est originale et pédagogique. J’apprécie le fait d’attirer l’attention des gens sur la nécessité de concertation entre les autorités locales et la société civile dans le développement des communes. Toutes les églises devraient consacrer une partie de leur culte à sensibiliser, conscientiser les citoyens sur leurs devoirs envers le pays », soutient un homme apparemment trentenaire, se présentant comme un étudiant finissant en droit et professeur de sciences sociales.
En effet, les lois de la république, notamment la constitution et les décrets de février 2006 sur l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales, prévoient la mise en place de mécanismes de participation au développement. Le Conseil de Développement de la Commune (CDC), le Conseil de Développement de la Section Communale (CDSC), la Table de Concertation Communale (TCC), sont entr’autres parmi ces espaces où autorités locales et Société civile discutent des questions de la gouvernance participative et du développement local.
Le projet Toujou Pi Fò Ansanm et la sensibilisation citoyenne
Lancé en octobre 2018 et exécuté par un consortium international dirigé par le Groupe Medialternatif, le projet TPFA en favorisant le renforcement des interactions entre Organisation de la Société Civile (OSC) et les Autorités Locales (AL) vise leur participation efficace à la définition, le suivi et l’évaluation des priorités du développement local, selon Madjolah Pierre, Coordinatrice de l’Appui de la Société Civile en Communication du projet.
« Pour conscientiser les citoyens sur leur rôle d’acteurs centraux de développement, le projet appuie les OSC et les AL dans la mise en place de campagnes sensibilisation, de concours de musique et cette activité de théâtre de rue qui se déroule non seulement ici à Saint-Michel. Il y aura aussi 3 autres représentations itinérantes aux Gonaïves, à Verrettes et à Terre Neuve », poursuit-elle.
Le théâtre de rue est en plein essor et permet non seulement la représentation de certaines réalités, mais favorise aussi la participation du public. Il est un excellent véhicule de sensibilisation permettant d’atteindre de nombreuses couches de la population de manière directe, simple et puissante, souligne Pierre.
« La population accorde une grande importance à la parole portée par des personnes de religion. C’est pourquoi nous avons choisi de monter la pièce avec la dominante religion. La présence simultanée des éléments du vodou et du profane (breakdance), sorte de syncrétisme, provoque la surprise de l’assistance et permet d’accrocher les gens. Il fallait trouver un moyen efficace et percutant pour attirer les gens et les pousser à écouter nos messages », explique Abydarlyne Jouth, consultante sur le théâtre de rue à TPFA.
« L’art n’a pas de limite. Ces jeunes en sont la preuve vivante. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils en sont à leur première expérience. Et le sérieux dont elles/ils ont fait preuve lors des répétitions et formations était extraordinaire », estime Chelson Ermoza, l’autre consultant de cette activité.
Ils sont 28 comédiens, comédiennes, danseurs et danseuses issus de 9 troupes recrutés par un processus d’audition ciblant les communes des Gonaïves, des Verrettes, de Terre Neuve et de Saint-Michel de l’Attalaye et qui feront le tour de ces municipalités dans le cadre de cette sensibilisation citoyenne. [apr 09/05/2021 12 :30]