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Haïti : Trouver le pain quotidien, une lutte encore plus ardue en 2005

P-au-P, 23 juin 05 [AlterPresse] --- Avec les incidences économiques des actes de terreur enregistrés ces derniers mois dans la capitale, les habitants d’Haïti éprouvent de plus en plus de difficultés à gérer leur existence quotidienne. Le coût de la vie a atteint tellement des proportions très élevées, dues à l’augmentation et à la rareté de différents biens essentiels, que le pouvoir d’achat de la population s’en ressent, suivant de nombreux témoignages recueillis par AlterPresse.

Vivre aujourd’hui en Haïti relève d’acrobaties difficiles à imaginer, tant la situation de la population haïtienne tend à devenir très critique, à mesure que les réponses adéquates tardent à venir d’un gouvernement transitoire qui semble évoluer sur une autre planète, affirment les citoyennes et citoyens.

Tout se passe comme si chaque habitant se trouve désormais contraint à pratiquer le sauve-qui-peut individuel, à découvrir soi-même des recours personnels pour faire face aux réalités dramatiques de vie, notamment dans la principale ville du pays.

Au-delà des cruautés planifiées par les gangs armés, les interrogations concernent les modes d’adaptation existentielle relativement aux besoins incommensurables de nourriture, de logement, de santé... Pas question d’ évoquer, à l’heure actuelle, les activités de loisirs (sports, théâtre, cinéma, etc.) négligées pour le moment à cause du climat d’insécurité. En une année, suite à la chute du régime lavalas le 29 février 2004, le secteur formel et informel des affaires a été rudement secoué par les attaques, actes de vandalisme et incendies intentionnellement perpétrés par des groupes armés.

Il est devenu plus compliqué d’avoir en sa possession de l’argent liquide, à force de l’augmentation des charges familiales et des prix des biens essentiels, relèvent différents professionnels.

Il en est découlé une baisse, non encore statistiquement mesurée, des investissements privés et, par conséquent, une perte d’emplois pour diverses couches de la population déjà disposant d’un pouvoir économique amoindri par de nombreux facteurs ces dernières années.

En général, le panier de consommation journalière d’un ménage en Haïti peut comprendre parmi les produits suivants : du pain, de la cassave, des œufs, du lait, du chocolat, de la margarine, des fruits, de la farine, du sucre, des céréales (maïs, riz, petit mil, blé), des vivres alimentaires (banane, igname, pomme de terre), des oignons, de l’huile végétale, des légumes, des haricots, des pâtes alimentaires, de la viande, des fruits de mer, de l’ hareng, des condiments divers.

Or, la plupart de ces produits dits de première nécessité viennent d’ atteindre un niveau qui donne de la migraine à toutes les cheffes et tous les chefs de famille.

Si le pain n’a pas connu de hausse ces derniers mois, il n’en reste pas moins que la quantité offerte pour le même prix a diminué, déplorent les consommatrices et consommateurs. Il en est de même pour les dérivés de pain.

La grande marmite (unité de mesure équivalant à plus de 5 livres) de farine, qui se vendait à 48 gourdes (US $ 1.00 = G. 40.00) est passée ces derniers mois à 72 gourdes ; la grande marmite de pois noir qui était achetée à 150 gourdes est vendue aujourd’hui à 250 gourdes ; celle de pois importé, qui était de 125.00 gourdes est passée à 225 gourdes ; celles de riz importé (produit consommé par la majorité de la population) et de maïs, qui coûtaient 35 gourdes, sont vendues maintenant à 70gdes.

Par ailleurs, un gallon d’huile comestible qu’on pouvait acquérir à 100 gourdes est vendu maintenant à 150 gourdes ; une boîte moyenne de pâte de tomate, qui était de 30 gourdes, est passée à 60 gourdes ; une petite quantité de charbon de bois ( le combustible le plus utilisé par les ménages haïtiens) est obtenue à 10 gourdes au lieu de 5 gourdes auparavant.

En ce qui a trait aux fruits à forte teneur en vitamine C, ils sont devenus rares aujourd’hui, notamment les pamplemousses (chadèques, oranges) qui ne sont pas récoltées en ce début d’été. Actuellement, sont disponibles : des citrons dont le prix a grimpé depuis plusieurs années (plus de 50 gourdes pour une grande marmite contrairement à auparavant quand la marmite coûtait entre 25 et 30 gourdes) ; des cerises, du grenadia encore appelé fruit de la passion dont la douzaine est vendue entre 40 et 50 gourdes, contrairement à auparavant lorsque la douzaine était de 15 gourdes.

Quant à la mangue (qui contient de la vitamine A), parmi les plus juteuses appréciées par la population, il faut débourser 10 gourdes pour acquérir une, alors qu’on pouvait obtenir 3 pour le même prix auparavant.

Un sourire malgré tout

Plusieurs petites commerçantes, interrogées par AlterPresse, se sont plaintes de la situation d’insécurité qui, disent-elles, les empêche de s’ approvisionner librement sur le marché.

“Se rendre en ville pour trouver les produits devient une lutte. Car non seulement nous les achetons à un prix élevé, mais aussi nous devons affronter les gangs armés†, a déclaré à AlterPresse une jeune femme qui débite des produits alimentaires.

“Parfois, nous subissons la mauvaise foi des chauffeurs de Tap Tap (camionnettes de transport en commun). Ils ne veulent pas nous transporter. Ils nous font monter les camionnettes pour venir nous dire après qu’ils n’ ont plus envie de nous emmener. S’il commence à se faire tard, ils augmentent le prix de la course†, a-t-elle ajouté.

A côté de la hausse excessive du prix des produits de première nécessité, les conditions environnementales de ces marchés publics représentent un grave danger pour la santé de la population. Des tonnes de détritus, dégageant une odeur pestilentielle, sont déversées aux alentours des produits.

Les vagues de violence, qui déferlent sur la capitale haïtienne depuis le 30 septembre 2004, quand des partisans de l’ancien régime ont lancé ce qu’ils appellent « l’opération Bagdad », préoccupent beaucoup les petites commerçantes qui ne savent à quel saint se vouer. “Si ces violences persistent, nous ne pourrons plus trouver les produits. Certaines entreprises, où nous avions l’habitude de nous approvisionner, ont déjà fermé leurs portes. Cette situation rend les prix inabordables†, a fait savoir une autre marchande.

Le 30 mai 2005, des bandits armés ont fait usage de cocktail Molotov pour incendier le marché « Tête Bœuf », l’un des plus grands centres commerciaux du pays à l’ouest de la capitale. Jusqu’ici, les petites commerçantes victimes de ce sinistre attendent justice et réparation pour les dégâts causés par les criminels. [rc jj apr 23/06/05 13 :00]