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États-Unis-Haïti/Crise : Sur un air de yanvalou

Par Gotson Pierre

P-au-P., 19 mai 2021 [AlterPresse] --- Tout.e amant.e de la culture haïtienne reconnaît à ses premières pulsions le yanvalou, rythme et rite du vodou qui accompagnent les manifestations de Damballah, le loa couleuvre.

Tout comme le reptile, un air de yanvalou fait onduler et balancer le corps, dans un mouvement contradictoire, un va-et-vient incessant, répondant aux vagues du tambour toujours recommencées.

C’est le rythme et la danse évoqués pour caractériser l’attitude américaine dans la crise haïtienne qui perdure.

« Sur un air de yanvalou que nous connaissons bien », laisse tomber un interlocuteur, pour qui le discours du 18 mai de Julie Chung, secrétaire d’État américaine adjointe pour l’hémisphère occidentale, n’apporte « rien de nouveau ». Malgré son étendu et son caractère apparemment pédagogique.

Dans cette allocution, prononcée au cours d’une cérémonie spéciale tenue à Washington à l’occasion du 218e anniversaire de la création du drapeau haïtien, la diplomate réitère l’engagement électoral des États-Unis en Haïti, où la gouvernance s’effectue depuis plus d’un an « par décrets » et est « exercée par un seul homme ».

Pouvoir exécutif non contrôlé depuis janvier 2020, pas de séparation des pouvoirs : voilà qui « remet en question les préceptes fondamentaux de la démocratie haïtienne ». A cela s’ajoutent : la création d’une agence nationale d’intelligence, « qui est problématique », la réduction du rôle d’institutions clés comme la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, la destitution et le remplacement de trois juges de la Cour de cassation.

Et puis, « la décision de tenir un référendum pour amender la constitution de 1987 ajoute encore à la controverse ».

En simulant le mouvement yanvalou, le discours se rétracte : « les élections législatives sont le moyen démocratique de mettre fin à la gouvernance prolongée d’Haïti par décrets et (…) les élections présidentielles sont nécessaires pour transférer pacifiquement le pouvoir d’un dirigeant démocratiquement élu à un autre ».

Qui dira non ? Mais le problème ne résiderait-il pas dans les conditions de la tenue de ces élections, dans un pays que le pouvoir d’ « un seul homme » tenterait d’étouffer ?

Terrain miné. Massacres comme méthode pour essayer de soumettre les populations surtout des quartiers populaires. Traumatisme et confinement forcé : insécurité oblige. Butin des opérations intensives de kidnappings à investir éventuellement dans les prochaines « élections », analyse une voix de la société civile. Sans compter la Brigade de sécurité des aires protégées (Bsap), pour la « surveillance environnementale » électorale ?

Alors, oui, Washington attend du pouvoir d’un « seul homme » l’organisation de compétitions électorales libres et transparentes.

En phase de conclusion, la parole de Julie Chung ondule sous forme de menace : « nous dénoncerons sans réserve l’autoritarisme, l’impunité, les violations des droits humains et la corruption, et nous agirons contre les responsables, comme nous l’avons fait en sanctionnant trois anciens fonctionnaires du gouvernement haïtien en décembre 2020 en vertu de la loi Global Magnitsky ».

Mais, justement, depuis 5 mois, quel effet réel cette initiative a-t-elle produit ? Tout le monde sait comment les États-Unis agissent quand les valeurs qu’ils prétendent défendre sont mises à mal.

« Pendant ce temps Jovenel Moïse poursuit tranquillement son chemin vers le référendum que tout le monde semble contester », commente l’interlocuteur.

« Ca sent le double jeu, le double langage », ajoute-t-il, se rappelant l’époque où, en 1987, les Américains dansaient le yanvalou face au régime militaire qui, au lendemain de la chute de la dictature, poursuivait le duvaliérisme sans Duvalier.

Sans vouloir jouer dans le registre du cynisme, il se souvient que cela « avait débouché sur la ruelle Vaillant », où les premières élections libres de novembre 1987 avaient été noyées dans le sang.

Qu’est ce qui se trame aujourd’hui avec quelques acteurs.trices sur le terrain, pendant que la diplomatie américaine épouse les mouvements d’un yanvalou de statu quo ?

De statu quo ? Mais l’inverse peut être aussi vrai, si dans l’harmonie-contraire des corps, le-la partenaire sait saisir l’élan dialectique qui renferme le dynamisme subtil du yanvalou. [gp 19/05/2021 22 :00]