Letrre de Jean-Claude Bajeux, Directeur Exécutif du Centre Oecuménique des Droits Humains (CEDH), à la Secrétaire d’Etat américaine Condolezza Rice
Soumis à AlterPresse le 20 juin 2005
14 juin 2005
Mme Condolezza Rice
Secrétaire d’Etat
State Department
Washington, D.C.
Madame la Secrétaire d’Etat,
La lettre qui vous a été adressée, ce vendredi 10 juin 2005, par un groupe de dix législateurs de différents Etats Américains, n’a pas manqué de susciter, dans mon pays, des commentaires pour le moins scandalisés. On aurait pu mettre sur le compte de l’ignorance des faits et des principes la teneur d’une telle initiative, largement diffusée dans les media. Et dans ce cas, il s’agirait d’un malentendu qui aurait pu se dissiper entre gens de bonne volonté qui se respectent.
On aurait même pu espérer que l’initiative de ces législateurs des Etats-Unis pouvait permettre d’aider la justice haïtienne, par une mobilisation de ressources et de savoir-faire, à accélérer l’enquête et le procès concernant le cas de multiples assassinats sur le lieu dit de la Scierie, à Saint-Marc, en février 2004. Cette opération menée par la police et avec l’hélicoptère présidentiel, aidés par un groupe de civils, d’après des estimations fiables, aurait laissé sur le terrain 27 morts, incluant femmes et enfants dont certains, massacrés dans des conditions atroces. Cette aide aurait été la bienvenue, puisque la demande d’une justice équitable est la première demande que ne cesse de faire l’ensemble du peuple haïtien
Cependant, les exagération contenues dans cette lettre concernant un cas qui est traité par la justice haïtienne et où deux hauts fonctionnaires de l’ancien gouvernement seraient impliqués, en l’occurrence, un ex-Premier Ministre et un ex-Ministre de l’Intérieur, manifeste une volonté d’utiliser les Nations Unies et votre Gouvernement dans une entreprise pour trouver une échappatoire et accorder un blanc seing à ces deux personnes, préalable à toute enquête et à tout jugement. Les formules perversement utilisées pour humilier le gouvernement et le peuple haïtiens nous semblent faire partie de la campagne savamment organisée, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, depuis un an, pour tromper les hommes et les femmes de bonne volonté sur ce qui s’est passé et se passe dans le pays. . .
Cette intervention étrange et surprenante, de la part de législateurs, a lieu au moment où mon pays affronte une entreprise terroriste qui, par le feu et le fer, est en train de détruire ce qui a encore résisté. Cette lettre arrive aussi juste au moment où les erreurs de perception qui ont caractérisé jusqu’ici la mission de stabilisation des Nations Unies seraient en train d’être corrigées puisque le
responsable de cette expédition vient de dénoncer « certains groupes politiques » qui organisent ce banditisme terroriste, sans toutefois préciser de qui il s’agit.
Il serait déplorable que les sentiments et les intérêts qui semblent lier ce groupe à l’ancien dictateur, que le peuple haïtien a forcé à démissionner, puissent être aussi attribués au gouvernement de votre pays qui, depuis 1776, se réclame des valeurs de la démocratie, de l’Etat de droit et de la souveraineté nationale.
C’est dans cet esprit d’attachement à ces valeurs, que j’ai pu apprécier lors de mes études aux Etats-Unis, que je vous prie d’agréer, Madame la Secrétaire d’Etat, l’expression et l’hommage de mon profond respect.
Jean-Claude Bajeux
Directeur Exécutif CEDH.
Coordonnateur Commission Citoyenne
pour l’Application de la Justice (CCAJ)