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Haïti Sécurité : Un bilan de stabilisation peu flatteur pour la force onusienne

P-au-P, 17 juin 05 [AlterPresse] --- Une année après la cérémonie d’installation le 1er juin 2004 de la Mission de Stabilisation des Nations Unies en Haïti (MINUSTAH), le bilan de maintien de sécurité paraît peu flatteur pour les troupes onusiennes déployées dans la majeure partie du territoire national, suivant des observations de plusieurs secteurs parvenues à AlterPresse.

Les citoyennes et citoyens nationaux continuent aujourd’hui encore de se demander en quoi consiste la véritable mission de la MINUSTAH, sur l’apport de laquelle semblent se reposer les autorités intérimaires au lieu d’amener à des dispositions structurelles de construction d’une force de sécurité publique que devrait assurer, en principe, la Police Nationale d’Haïti (PNH).

La PNH, dont des membres viennent d’être mis en isolement pour complicité et implication dans les actes de banditisme, ne s’est pas encore relevée du clientélisme politique et de l’intégration d’éléments dangereux et peu recommandables en son sein, durant de nombreuses années par les dirigeants lavalas. Et aucun compte n’a été rendu sur le devenir des anciens policiers révoqués et des armes, parfois lourdes, qui se trouvaient en leur possession.

Toujours est-il qu’au-delà d’une contribution pertinente de la force onusienne, des interrogations sont renouvelées sur la volonté ou l’absence de détermination des autorités intérimaires à bâtir et appliquer un plan de sécurité véritablement efficace, qui comprendrait un service de renseignements approprié. Comment expliquer les agissements de divers groupes, bénéficiant de l’impunité des mécanismes judiciaires, au vu et au su de tout le monde, et menaçant le climat de stabilité requis pour un fonctionnement harmonieux à tous les niveaux ?

Au moment où le mandat du général brésilien Augusto Helleno Ribero Pereira de la MINUSTAH est arrivé à terme, la capitale haïtienne est secouée depuis plusieurs mois par une vague de violences sans précédent, pontuées quotidiennement de crépitement d’armes et d’enlèvements de personnes, des ressortissants nationaux et étrangers.

Aujourd’hui, question peut-être de démentir les accusations de touristes faites par des secteurs nationaux, les agents de la MINUSTAH ont commencé à passer à l’action en affrontant les gangs armés dans des quartiers considérés comme « chauds » (volatiles et dangereux) de la capitale haïtienne.

Ils ont donné des numéros de téléphone où la population pourrait apporter des renseignements sur des actes de violence et sont partis à la recherche de Emmanuel Wilmé, dit Dread Wilmé, un chef de gang soupçonné dans l’assassinat de nombreuses personnes à Cité Soleil, grand bidonville de centaines de milliers d’habitants à la sortie nord de Port-au-Prince.

Ce serait seulement maintenant, suivant toutes apparences, que la composante militaire onusienne semblerait se rendre compte de l’étendue et de la proportion des gangs armés, dont le développement était prévisible en fonction du constat de la distribution de milliers d’armes à feu généreusement fournies par l’ancien régime, notamment à des enfants - devenus des soldats de terreur - spécialement à partir du 17 décembre 2001, date d’une soi-disant tentative de coup d’Etat contre les usurpateurs lavalas.

Le gouvernement provisoire, par l’entremise du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), n’a pas réfléchi sur la destination, après la chute de l’ancien régime en février 2004, des armes à feu distribuées à flot au fort de la contestation de la fin de l’année 2003 et du début de l’année 2004.

Pendant plus d’une année, le public a été informé de la mise en œuvre d’une opération dénommée Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), mais aucune précision n’a, à date, été portée sur la quantité d’outils de la mort récupérés des mains des tenants de la violence.

C’est le 31 mai 2005, au cours d’une conférence de presse à l’Académie de Police à Frères (est de la capitale) que des anciens militaires haïtiens affirmaient détenir encore une quantité importante d’armes offensives performantes, susceptibles d’être utilisées le cas échéant.

En arrivant à la tête de la MINUSTAH, le général brésilien Augusto Helleno Ribero Pereira, aujourd’hui en fin de mission, avait insisté sur la nécessité d’actions de désarmement des groupes détenteurs d’armes illégales. Un an plus tard, le bilan de l’opération de désarmement reste à établir.

La communauté internationale, qui a décidé de confier la direction militaire de la force onusienne au Brésil, ne semble pas se préoccuper d’une aide concrète en faveur de la construction et du renforcement d’une force de sécurité nationale qui assumerait effectivement la mission de sécurité publique à l’intérieur du territoire haïtien.

Un pan de cette communauté internationale serait favorable à un échec du Brésil en Haïti, pour rabattre les prétentions du pays du président Luis Ignacio da Silva dit Lula de vouloir faire partie des pays membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, selon des informations circulant dans les milieux diplomatiques de la capitale haïtienne.

Faut-il rappeler que cette même communauté internationale a fermé les yeux sur le détournement des supports techniques, financiers et administratifs apportés dans la mise en place de la nouvelle institution policière à partir de 1995, il y a 10 ans actuellement.

Rien n’était sûr avec le déploiement de la MINUSTAH, qui dès le début, voulait organiser un match de football avec la sélection nationale du Brésil, pour lequel l’admission au stade devait être la remise d’une arme à feu. Très vite, ce plan avait été abandonné suite aux protestations de divers secteurs de la vie nationale.

De juin 2004 à aujourd’hui, l’attitude observée par la composante militaire de la MINUSTAH vis-à -vis des gangs armés a été, en maintes fois, mise en question voire suspectée par de nombreux citoyens nationaux, particulièrement lors de manifestations publiques organisées par ces groupes visiblement armés.

Des informations circulant dans les milieux diplomatiques de la capitale haïtienne laissaient croire que la MINUSTAH devait plutôt servir de force d’interposition (entre quels groupes ?) sur le terrain, alors que, après la chute du régime lavalas le 29 février 2004, n’a été entreprise véritablement d’opération de désarmement des groupes armés toujours actifs.

Malgré des démentis et professions de foi de la part des dirigeants des deux institutions officiellement préposées à la sécurité publique sur le territoire d’Haïti, la MINUSTAH et la PNH n’ont pas toujours entretenu des rapports cordiaux de juin 2004 à juin 2005.

De temps à autre, des frictions sont survenues.

Une fois, la MINUSTAH avait pris sur elle de protéger les agitations des partisans armés de l’ancien régime, sous prétexte de « manifestations pacifiques ». Les policiers nationaux se sont même vus interdire l’accès de certains quartiers.

Parallèlement, la MINUSTAH s’était arrogé le droit de demander à des habitants d’un quartier résidentiel de la capitale d’indiquer les allées et venues chez eux. Face aux récriminations soulevées, les agents qui résident dans ce quartier sont revenus sur cette disposition.

Les désaccords avaient provoqué des rencontres expresses entre le Conseil Supérieur de la Police Nationale et la MINUSTAH. Des promesses de patrouilles communes avaient été faites. Mais, récemment, des policiers nationaux ont été pris sous le feu des gangs armés au Bel Air, autre quartier volatile du centre de Port-au-Prince, sans que des agents la MINUSTAH aient été présents. La MINUSTAH alléguera plus tard de la non notification de l’opération par les dirigeants de la PNH.

Au début de juin 2005, le Premier Ministre intérimaire Gérard Latortue a demandé à Koffi Annan, secrétaire général des Nations Unies, de proposer au Conseil de Sécurité de l’ONU une révision du statut de la MINUSTAH, qui pourrait intégrer désormais des ressortissants de pays parlant le Français, afin de résoudre un problème de communication semblant exister parmi les différentes unités de la composante militaire de la force onusienne.

Après avoir prolongé, début juin 2005, pour un mois le mandat de la MINUSTAH, le Conseil de Sécurité devra se prononcer prochainement sur la mission à attribuer à la force onusienne dans les mois à venir sur le territoire d’Haïti.

Pendant 16 mois de présence de la force onusienne sur le terrain, les groupes armés, y compris des anciens militaires haïtiens, ont perpétré divers actes de terreur, dont incendies de marchés publics, d’édifices publics, d’entreprises commerciales et de maisons résidentielles, rançonnement de la population civile, séquestration de personnes ( pour la libération desquelles des paiements de rançons continuent d’être exigés par les ravisseurs), assassinats, viols, vols de véhicules et autres cas de violence.

Les actes de violence, particulièrement le phénomène de kidnapping, se sont accrus surtout dans la capitale haïtienne depuis l’évasion spectaculaire dans l’après-midi du 19 février 2005 d’environ 500 détenus, dont des repris de justice, de la prison civile de Port-au-Prince communément appelée Pénitencier National.

1,031 personnes, parmi elles 73 policiers et 4 casques bleus de la MINUSTAH, ont été tuées en Haïti depuis mars 2004, dans le contexte de violence qui a suivi la chute de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, selon un rapport rendu public le 15 juin 2005 par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH).

Ce bilan, communiqué à AlterPresse, a été préparé grâce à des données obtenues de l’Hôpital Général, principal centre hospitalier du pays, de la police et d’autres organismes.

Les blessés et les pertes matérielles n’ont pas été pris en compte, sauf que plus de 200 millions de dollars de dégâts chez les entreprises commerciales de la capitale ont été enregistrés dans le cadre de la vague d’« anarchie » qui a marqué le départ de l’ex dictateur Aristide, souligne le rapport.

Quant aux blessés par balles, le document indique que, durant moins d’une année, l’organisme Médecins Sans Frontière a soigné plus de 600 victimes.

Le RNDDH, qui considère que la situation est devenue encore plus violente depuis le début de « l’opération Bagdad » (mouvement armé lancé par des partisans d’Aristide) en septembre 2004, recommande au gouvernement de mettre en œuvre des actions sociales, de sécurité et de justice, le lancement « d’un vaste programme de création d’emplois », l’établissement « d’un plan de sécurité », l’arrestation et le jugement de criminels responsables de plusieurs infractions, dont des meurtres, incendies et séquestrations..

Bien que le gouvernement ne soit pas « impliqué dans la violence politique », selon le RNDDH, « il est, en principe, responsable de tous les actes de violation de droits humains » perpétrés dans le pays.

Les ex militaires haïtiens, des policiers révoqués, des ex « rebelles » du Front de Résistance (qui a combattu le régime lavalas) et des gangs armés sont impliqués dans les violences qui continuent d’endeuiller le pays, a mentionné spécifiquement l’organisme de défense des droits humains.

Le Conseil des Sages, institution issue de la chute de l’ancien régime et appelée à jouer un rôle de consultation auprès des autorités intérimaires, doit soumettre cette fin de semaine une feuille de route au gouvernement provisoire, qui prescrira un délai de 30 jours pour la mise en train d’actions urgentes, notamment en matière de sécurité publique, de lutte contre la vie chère et de justice.

Entre-temps, outre le mandat de stabilisation sécuritaire assigné par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, la MINUSTAH affirme de plus en plus son « interposition » dans divers dossiers d’intérêt nationaux pour Haïti : gouvernance nationale, élections, presse et communication, droits des femmes et droits de l’enfant, droits humains en général, infrastructures, protection civile, santé publique ..., définissant un ordre de dépendance inquiétant pour l’avenir de la nation qui avait proclamé son indépendance le 1er janvier 2004. [rc apr 17/06/2005 14:00]