Par Ilionor Louis*
Soumis à AlterPresse le 26 février 2021
« Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner. Mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu ».
Berthold Brecht
Je voudrais, avant d’entrer dans l’analyse des facteurs empêchant des révoltes sociales en Haïti, procéder à une brève littérature sur ce thème ; ce qui facilitera la compréhension et l’interprétation de ce que nous sommes en train de vivre comme phénomène dans un contexte de pourrissement de la situation sociopolitique et économique face à un État en faillite à cause de l’application des politiques néolibérales.
Des auteurs tels que Frantz Fanon [1] et Loïc Wacquant signalent le rôle que peuvent jouer respectivement les intellectuels et les structures politiques dans l’encadrement des populations socialement marginalisées. Selon Fanon, les populations des quartiers pauvres, croupissant dans la misère et la crasse sous le joug colonial, peuvent participer à la révolution en vue de leur libération et de la fin du colonialisme. Mais elles ne peuvent le faire sans la participation des intellectuels qui doivent apprendre de ces populations avant de participer à leur formation pour la révolution. Sans le citer, Fanon fait référence aux intellectuels engagés membres du Parti révolutionnaire. Quant à Loïc Wacquant, il parle d’agrégation politique de ces populations pour qu’elles acquièrent une identité collective. Les militants politiques (des intellectuels aussi) doivent encadrer ces populations, participer à leur éducation politique pour qu’elles puissent être représentées et reconnues avec leurs droits. Les révoltes sociales pourraient ainsi avoir un contenu idéologique allant dans le sens des intérêts des masses en rupture avec le système. D’autres auteurs abordent la problématique des révoltes sociales en tant qu’elles sont associées avec les inégalités socioéconomiques et la lutte des classes.
Irène Viparelli [2] distingue entre « révolte spontanéité » et « révolte idéologie » afin de démontrer « comment l’une et l’autre favorisent ou empêchent la formation d’une subjectivité capable de profiter des occasions révolutionnaires ». La première constitue le point de départ ; c’est « la forme la plus immédiate de réaction subjective à la crise ». La paysannerie, les classes exploitées en milieu urbain, la petite bourgeoisie et le prolétariat peuvent s’unir face au « désespoir provoqué par l’aggravation de leurs conditions matérielles et par le ressentiment de la contradiction provoqué par la radicalisation des contradictions capitalistes entre production de richesse et pauvreté sociale » (P.30). Cette contradiction est à la base de ce que l’auteur appelle la « révolte spontanéité ». La deuxième concerne surtout la position de la petite bourgeoisie » incapable de dégager « un point de vue de classe autonome ». Viparelli démontre que, d’une part, l’idéologie petite-bourgeoise coïncide avec la perspective anarchiste dans sa version irréalisable, d’autre part, « dans sa version incohérente », cette idéologie est un opportunisme.
Richard Andrew Cloward et Frances Fox Piven [3], dans leur ouvrage sur les mouvements populaires, indiquent les conditions d’émergence d’un mouvement populaire. Selon ces auteurs : « pour qu’émerge un mouvement de protestation, il faut un changement sur le plan des consciences et des comportements (…). D’abord, le système – ou les aspects du système que les gens perçoivent et dont ils font l’expérience – perd de sa légitimité. (…) ensuite, des personnes qui d’ordinaire, sont fatalistes, et pour qui le cadre existant est le seul envisageable, commencent à revendiquer des droits et par voie de conséquence exigent un changement. Enfin, les gens acquièrent une conscience nouvelle de leur capacité d’agir ; alors que d’ordinaire, ils se considèrent impuissants, se mettent à croire qu’ils ont un certain pouvoir de modifier leur sort ». Tout se situe au niveau de la prise de conscience des individus qui commencent à se rebeller, à transgresser les traditions et les lois auxquels ils se soumettaient auparavant. Ils défient ainsi les autorités. Il s’agit ici de comportements individuels. Mais sur le plan collectif, ils peuvent organiser des grèves, des manifestations populaires voire des émeutes. Ces actions collectives peuvent déboucher sur des réformes ou des changements radicaux.
La prise de conscience dont parlent Cloward et Piven ne peut pas se faire en dehors de ce que Bernard Dumas et Michel Séguier [4] appellent le groupe d’action. D’après les auteurs, l’action collective devient possible quand les individus prennent conscience de l’oppression et de leur exclusion. Cela est rendu possible grâce au « dévoilement des fatalités individuelles et collectives ; à la révélation à la conscience claire de la situation passée et présente d’oppression et d’exclusion, à l’affirmation identitaire à travers les actes posés collectivement qui, dans la vie quotidienne, prennent une signification positive dans le cadre du groupe d’appartenance (…) ». Le groupe sert alors de ressources aux individus pour créer de nouvelles valeurs, renforcer la fierté de leur appartenance et affirmer de nouvelles valeurs.
Mon propos est organisé en deux parties dans ce texte. Dans la première, j’analyse l’ordre social et ses contradictions en prenant en considération les stratégies des acteurs (classes moyennes et classes populaires) face aux exigences du système, la place des ONG et de la religion, les rapports entre les élites dominantes et les classes populaires en tant qu’éléments significatifs de la fabrication du nouvel esprit dominé. La deuxième partie est consacrée aux manifestations de la domination subie. Y sont analysées les conduites des populations marginalisées face à la domination subie, la capacité des organisations de la société civile et des groupes contestataires, les regroupements déviants. Il ne fait aucun doute que nous nous trouvons dans un système social caractérisé par des rapports sociaux conflictuels face à un ordre établi. Le vivre-ensemble est compromis. Le conflit social est parfois ouvert, latent, de basse intensité. Il s’agit d’une situation de malaise social producteur d’au moins quatre types d’acteurs : « des Aidants (ONG, et églises), des Dominants (oligarchie et bourgeoisie politico-administrative), des groupes sociaux opprimés et marginalisés, des regroupements déviants [5] ». Alors, on se demande, en utilisant les propos d’Alain Touraine [6] : pourrons-nous vivre ensemble, égaux et différents ? Question posée dans un autre contexte, certes, mais qui nous renvoie à la réalité se déroulant sous nos yeux.
Contexte de l’incapacité de révoltes sociales en Haïti
Le spectre de la dictature hante des esprits à Port-au-Prince et dans les villes de province. On en parle à la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux entre autres. Le président Jovenel Moïse se défend en disant qu’on sait quand un dictateur arrive au pouvoir, mais qu’on ne sait pas quand il partira. Son mandat, dit-il, prend fin le 7 février 2022. En conséquence, enchaine-t-il, je ne suis pas un dictateur. Il s’agit là, à mon avis, d’une vision simpliste, voire réductionniste, de la dictature. Un président qui tolère des massacres de citoyens et citoyennes dans des quartiers populaires, qui viole les droits civils en réprimant sauvagement toute manifestation populaire pacifique, qui fait arrêter, de manière illégale, un juge de la Cour de cassation avec d’autres citoyens et citoyennes sous prétexte que ceux-ci fomentaient un coup d’État, qui persécute des leaders de l’opposition politique à travers des interpellations devant l’Unité de Lutte Contre la Corruption, qui transforme des unités de la Police en milice pour défendre son régime, qui protège des groupes armés fidèles à lui, manifestant au vu et au su de tout le monde dans les rues de Port-au-Prince en exhibant leurs armes, n’est-il pas un dictateur au moins en puissance ? Je ne voudrais pas me perdre dans des considérations pour déterminer si le Président est un dictateur ou non. Les faits sont là, on peut juger un arbre à partir des fruits qu’il produit. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher à savoir pourquoi la population haïtienne, dans sa majorité, tout en vivant dans une misère affreuse, ne se soulève pas contre cette menace de dictature que veut lui imposer le « Parti Haïtien Tèt Kale » ? Paraphrasant Max Weber, je suis tenté de formuler ma question en ces termes : pourquoi la population haïtienne accepte-t-elle la domination, le pouvoir, l’autorité imposés par le PHTK et construit à partir de là des types d’actions, de fonctionnement, même de légitimation qui nous conduisent où nous en sommes aujourd’hui ? Je fais ainsi l’hypothèse d’une domination subie à long terme, reconnue comme telle, intériorisée et reproduite de manière inconsciente. Le pathologique est devenu normal. Alors, comment en sommes-nous arrivés là ?
Ordre social et contradiction
L’ordre social se caractérise par l’application des politiques néolibérales [7] depuis plus de quatre décennies en Haïti. Il a fait miroiter sous nos yeux les promesses de la création de richesse pour résorber la problématique du chômage, la fin de la corruption par le dégraissage de l’administration publique, la réduction de l’État, la libre circulation des capitaux et des marchandises, la réduction des taxes pour les nantis, la privatisation des entreprises publiques, entre autres. Tout ceci doit aller de pair avec le pluralisme politique, l’organisation régulière des élections « démocratiques » pour choisir des représentants, la bonne gouvernance. Au fait, il s’agit d’un paradoxe. Cette situation n’a fait que renforcer la dépendance au point de vue social, économique, politique et culturel avec la croissance des inégalités sociales (les classes moyennes sont menacées de disparaître tandis que l’oligarchie se ramasse la plus grosse part de la richesse), l’effondrement de l’économie nationale (les producteurs locaux notamment les petits métiers, des paysans parcellaires n’ont pas réussi à faire face à la concurrence internationale), la transformation de la politique en activité marchande (les professionnels de la politique se mettent au service de l’oligarchie pour accéder au pouvoir et défendre les intérêts de cette catégorie) ; des menaces systématiques sur des éléments de notre culture avec des impacts sur la consommation alimentaire et nos croyances ancestrales.
Une des exigences du système est le transfert de propriété des moyens de production de l’État au privé et la conversion des droits sociaux et citoyens en marchandise. Tout se vend et s’achète chez nous : l’eau potable, l’eau pour la lessive et la cuisson, les médicaments (même les médicaments de base), les soins de santé (même les plus élémentaires), la sécurité à tous les niveaux, l’assainissement. Il faut être, dirait-on, riche ou aisé pour vivre à Port-au-Prince, par exemple. Les gens des classes basses moyennes mettent entre dix à quinze ans pour construire un logement. C’est à eux de se débrouiller pour y apporter l’eau. Quant à l’électricité, la compagnie ne fait aucune visite des lieux pour savoir si les installations sont correctes ou non. Pour amener le courant électrique à la maison, il vous faut acheter un transformateur, les câbles, tout. Au total, il vous faut entre quatre (4) à cinq (5) mille dollars (devise américaine) pour cela. Quant à l’eau, en général il faut capter l’eau de pluie sur la toiture de la maison, la canaliser dans un réservoir, y installer une pompe à eau pour la remonter dans un tank (les fameux chatodo) pour la distribuer dans la maison. Sinon, il faut acheter des camions-citernes d’eau pour remplir le réservoir. Dans certains quartiers de Port-au-Prince, le camion d’eau coute jusqu’à sept mille cinq cents (7500) gourdes. Ce n’est pas fini, même après avoir dépensé beaucoup d’argent pour l’électricité, le consommateur doit avoir en réserve, une génératrice et un système de panneau solaire avec des batteries pour ne pas manquer de courant électrique.
Par rapport à l’accès aux soins de santé, ou bien vous disposez d’argent pour payer, ou bien vous crevez. Les hôpitaux publics se trouvent dans le pire état de leur histoire depuis l’arrivée au pouvoir du PHTK. À Port-au-Prince, comme en province, une personne malade a très peu de chance de se faire soigner et de survivre si elle va dans un hôpital public. Tout est mis en place pour que la santé se vende argent-comptant dans les cliniques et hôpitaux privés. Les spots publicitaires dans les médias et réseaux sociaux en disent long. No money, no health. Vous accompagnez un malade au service d’urgence d’un centre hospitalier privé ou bien dans une polyclinique quelconque, avant même d’accepter le malade (même si son cas nécessite une intervention d’urgence) on demande de passer à la caisse. Sinon crève.
Le système nie tout droit aux enfants et aux personnes âgées. Même un certificat de naissance n’est pas décerné à l’enfant qui vient de naître, dans presque tous les hôpitaux et centres de santé du pays. Il n’y a aucun hôpital public pour enfant. Il revient, donc, aux parents de se débrouiller pour payer les services d’un pédiatre (ça coute cher, notamment à Port-au-Prince). Sinon, on recourt à la médecine traditionnelle. Même les services des sages-femmes sont coûteux. Cela importe peu aux autorités de la Santé publique qu’une femme ne puisse allaiter son nourrisson ou ne dispose pas de ressources suffisantes pour le nourrir. Elle doit se débrouiller toute seule, si elle n’a pas de mari ou conjoint. Aucun produit laitier n’est subventionné pour soulager les familles à faible revenu ; aucun produit alimentaire non plus. Par rapport à la socialisation des tout-petits, il s’est organisé tout un marché dénommé Kinder Garden par des individus des classes moyennes aux fins d’accumulation de capital. Les propriétaires de ces entreprises, devant l’insouciance de l’État de la petite enfance, parviennent à créer ces entreprises lucratives pour s’enrichir. Ils inventent toutes sortes de stratégie pour vider les poches des parents : fête de Noël, la Saint-Valentin, les Pâques, le carnaval, entre autres. Le Kinder produit tout ce que l’enfant a besoin et exige aux parents de payer pour : maillots, uniformes, toutes les accessoires à l’occasion de chaque fête. Tout est mis en place pour créer cette distinction à la naissance des enfants dans le processus de leur socialisation primaire. Ils naissent dans des inégalités, les vivent à long terme, les intériorisent et vont les reproduire déjà tôt dans leur vie. C’est déjà une source de discrimination, de racisme de classe : certains enfants naissent dans le confort de certains hôpitaux privés, disposent dès les premiers jours d’un certificat de naissance, vont grandir dans une famille aisée tandis que d’autres naissent dans la précarité, ne disposent pas d’acte de naissance (ou l’auront très tard). Ils ne naissent pas, dirait-on, dans une République qui consacre l’égalité des droits et l’égalité des chances.
Que dire des personnes âgées ? Nous sommes dans un pays où ces personnes sont condamnées à vieillir dans l’indigence, la mendicité ou la précarité si elles n’ont pas un encadrement familial capable de les prendre en charge. Des résidences publiques pour personnes âgées, ça n’existe pas chez nous. Un système d’assurance non plus, malgré l’existence d’une institution dénommée Office Nationale d’Assurance Vieillesse (ONA). On a souvent oublié le mot vieillesse (qui est d’ailleurs un terme péjoratif). Cette institution a servi plutôt de vache à lait pour des professionnels de la Politique qui ont obtenu des prêts aux montants élevés à rembourser sur des échéances excessivement longues. Les ayants droit (des travailleurs et travailleuses des secteurs publics et privés) sont souvent floués, leurs patrons n’ayant pas payé leur cotisation. D’aucuns se souviennent du cas de cette ouvrière de la sous-traitance à Carrefour qui a perdu sa vie avec le fœtus qu’elle portait parce qu’elle n’était pas assurée tandis que son patron devait payer ses cotisations. Ça passe comme une lettre à la poste, malgré quelques épisodes de contestation des ouvriers.
Le cas des personnes âgées n’est pas différent de celui des personnes handicapées. À la différence que ce secteur est organisé réunissant plusieurs organisations qui ont mené pendant des décennies une lutte bien structurée non seulement pour se faire reconnaitre comme des ayants-droit, mais pour créer leur espace au sein du pouvoir politique à travers le Bureau du Secrétaire d’État à l’intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH). Malgré cet effort, l’inclusion effective des personnes handicapées reste encore un idéal à atteindre. Les personnes handicapées, qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour se prendre en charge, restent à la merci des organisations humanitaires, des membres de leur famille doivent faire la quête dans les rues pour subsister. Les données relatives au nombre de personnes bénéficiant d’une assistance de la Caisse d’Assistance Sociale ne sont pas disponibles. Comparativement au chiffre d’un million de personnes handicapées dans le pays, nous devons supposer qu’un nombre insignifiant bénéficie des 1500 gourdes mensuelles versées par la CAS.
Je voudrais terminer cette partie en prenant en considération la situation des jeunes notamment ceux des classes populaires et des classes moyennes basses [8]. La plupart d’entre eux ont fait tout ce que la société leur demande : se rendre à l’école, terminer les études classiques, apprendre une profession ou entrer à l’université pour faire au moins des études de premier cycle. Il y en a qui ont même bouclé avec succès des études post-graduées. Mais après tant d’effort, rien. Les portes des entreprises leur sont fermées, ils ne disposent pas de ressources pour ouvrir leur propre petite entreprise. Ils ont vingt-cinq, trente parfois même trente-cinq ans et vivent encore chez leurs parents. Ils se trouvent dans une situation embarrassante, incapables d’aider leurs parents, de sortir de la maison et de former leur propre famille. Les jeunes forment la majorité de la population haïtienne. Selon Rafael Novella, « les moins de 21 ans représentent plus de la moitié de la population. Cette jeunesse est l’un des groupes cibles les plus vulnérables et celui dont la situation s’est la plus dégradée suite au séisme ». Mais, selon le Bureau de l’Organisation des Nations Unies en Haïti, les jeunes de ce pays donnent vie aux objectifs de développement, en dépit du fait qu’ils « sont confrontés à des problèmes complexes, tels que l’extrême pauvreté, la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles, l’insécurité alimentaire, le manque d’accès aux services de base, le chômage, les inégalités ».
L’ordre social établi en Haïti fait des victimes chez les enfants exposés à une situation d’inégalités à la naissance, ce qui est susceptible de générer la discrimination, le racisme de classe. Quant aux jeunes, en dépit de leur conformisme, ils vivent une situation d’exclusion se caractérisant par l’accès difficile aux services de base, l’alimentation, le chômage entre autres. Les adultes, les personnes handicapées constituent des catégories oubliées des politiques publiques. Ils doivent compter davantage sur l’aide familiale ou des amis pour subsister. Dans ce panorama, même les individus des classes moyennes doivent consacrer une part importante de leur revenu pour amener l’eau et l’électricité dans un logement qu’ils ont mis des années à construire.
Comment réagissent les individus à cette situation ?
Pour répondre à cette question, je fais une répartition en quatre catégories des acteurs du système social. Il s’agit :
- des institutions humanitaires, « développementistes » ou d’orientation de la conscience opprimée ;
- des classes dominantes constituées de l’oligarchie et de la bourgeoisie politico-administrative [9]. Elles font l’objet d’une assimilation sociale normative en s’adaptant à la société ;
- de conduites dissociées des populations opprimées ;
- de regroupements déviants c’est-à-dire des individus ayant pour caractéristique de transgresser les normes, les valeurs en s’adonnant à la criminalité, à la délinquance.
2.1.2. ONG, religion et changement de discours
En faisant référence aux ONG à côté des organismes de coopération et de la religion, je pense à une publication du Centre Tricontinental [10] de Louvain-la-Neuve intitulé : les ONG : instruments du néolibéralisme ou alternatives populaires ? Il s’agit d’une question pertinente dans un contexte où les ONG poussaient comme des champignons à travers le monde – notamment dans les pays du tiers-monde – avec ce que Michel Chossudovsky [11] appelle La mondialisation de la pauvreté. Les ONG, avec les réformes imposées par les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire Internationale (FMI), la Banque interaméricaine de développement (BID), l’Agence américaine pour le développement international (USAID) sont devenues un acteur privilégié par ces institutions pour transiter l’aide publique au développement. Ces institutions sont devenues ce que Henry Veltmeyer et James Petras [12] appellent « la face cachée de la mondialisation », une sorte d’ascenseur social notamment pour d’anciens militants progressistes, de guérilleros, des chefs d’organisation communiste, des militants socialistes entre autres. Les ONG donnent lieu à une nouvelle catégorie sociale constituée de cadres, de techniciens, des expatriés dont la plupart sont d’anciens militants progressistes conservant toujours une rhétorique progressiste, mais changeant de cadre qui contredit leurs conditions matérielles d’existence. Dans mon article intitulé « classe ONG et distance sociale », j’ai fait une brève description du nouveau cadre de vie de ces anciens combattants de la cause socialiste [13] ayant subi une ascension sociale à travers leurs actions dans des ONG. Cette situation a eu des retombées négatives pour le mouvement social haïtien. Colette Lespinasse [14] le fait ressortir dans son article sur : « Kijan pou nou konprann prezans ak Wol ONG yo an Ayiti » (comment comprendre la présence et le rôle des ONG en Haïti ? Selon Lespinasse, de 1986 à 1995, beaucoup d’organisations populaires qui avaient un certain niveau de compréhension des problèmes structurels de la société haïtienne et qui militaient pour la transformation de cette société, ont fait l’objet d’une répression sauvage. Le coup d’État du 30 septembre a été un coup dur pour ces organisations. Certains groupes associés à des ONG qui savaient accompagner le mouvement populaire, ont disparu. Depuis, le mouvement revendicatif s’est anéanti. Des organisations populaires ayant survécu ont été transformées en organisations communautaires de base ou des ONG locales devant réaliser de petits projets de développement limités dans le temps et l’espace.
Il s’agit d’une métamorphose des organisations progressistes et de plateforme d’organisations populaires en agents de développement local. Certains membres – les dirigeants en particulier – sont devenus des permanents avec un chèque mensuel. Leur agenda est bien rempli pour rencontrer des bailleurs de fonds, soumettre des projets, attendre le financement, passer à la phase d’exécution, rédiger des rapports à soumettre aux bailleurs. Désormais, il n’y a pas assez de temps pour travailler avec des cellules, discuter des défis nationaux, planifier des séances de formation pour les membres, échanger des informations sur la conjoncture, planifier des stratégies de luttes en vue de la transformation sociale. Définitivement, la maladie infantile du communisme, ce n’est plus le gauchisme, comme le disait Lénine, mais plutôt « l’ONGisme » qui ne donne pas vraiment de résultat sinon de servir d’ascenseur à des professionnels de gauche et de droite. D’anciens militants de la cause populaire n’aiment pas l’étiquette d’ONG accolée à leur association. Dans ce sens, l’expression Organisation Non Gouvernementale (ONG) revêt une connotation plutôt péjorative. Mark Schuller [15], dans un article intitulé « Fè ONG : yon nouvo gramè ONG » (faire de l’ONGisme : une nouvelle grammaire des ONG) indique que la plus grosse accusation pour les organisations populaires, au moins celles avec lesquelles il a manifesté de la solidarité après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 est l’appellation d’ONG. Les dirigeants des associations locales n’aiment pas qu’on leur dise qu’ils font de ‘l’ONGisme ». Ils savent très bien que la condition d’existence des ONG est la misère de la population. Porter cette accusation contre eux signifierait leur complicité dans la reproduction de la misère des masses. Ils s’y opposent.
À côté de ce que Schuller appelle une nouvelle grammaire des ONG, il y a effectivement un changement de vocabulaire visant à occulter les rapports antagoniques de classe, le scandale de la misère et de la pauvreté, les injustices sociales, entre autres. Par exemple, on ne parle plus de lutte des classes. On dit plutôt « gens d’en haut et gens d’en bas ». Au lieu de parler de classes dominantes, on parle plutôt de « secteur des affaires ou secteur privé ». Certains intellectuels – des universitaires, entre autres – n’hésitent pas à affirmer que les classes sociales n’existent plus en Haïti, qu’il n’y a ni Gauche, ni Droite en Haïti. Selon eux, le discours de classe est dépassé. Par rapport à la pauvreté, jadis, on parlait d’un monde libéré de la pauvreté, aujourd’hui, l’expression la plus utilisée est la réduction de la pauvreté. Le monde n’est plus pensé en termes de Centre et Périphérie, mais plutôt comme village global aux fins d’occulter les rapports de domination entre pays du Centre et ceux de la Périphérie ou bien entre pays du Nord et pays du Sud. On parle de plus en plus des « Suds » au lieu du Sud.
Il y a près de 180 ans, Karl Marx [16] dans son Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel affirmait ceci : « la religion est l’opium du peuple ». Cela avait un sens : « le peuple a besoin d’un puissant narcotique pour supporter les souffrances sociales qu’on lui inflige : les classes dominantes y remédient en produisant des idéologies qui tout à la fois expriment (à qui sait décrypter leur langage codé) et masquent la réalité de leur domination brutale et inique sur les classes dominées [17] ». Aujourd’hui encore, en considérant la situation de la majorité de la population haïtienne, on dirait que l’affirmation de Marx s’y applique. L’application des politiques néolibérales apporte son cocktail de misère, de souffrance sociale, d’insécurité sous toutes ses formes. Et la religion est considérée comme un remède à cette misère. Dans les quartiers populaires, à la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux, entre autres, on peut voir des leaders religieux (vulgairement appelés Pasteurs) qui haranguent des fidèles à coups de vociférations, de demandes d’AMEN, de démonstration de leur capacité d’opérer des miracles pour des fidèles en panne d’acheter les soins de santé dans les cliniques, des centres de santé ou des hôpitaux privés.
Dans les assemblées, les jours de culte, de messe, ou de jeûne, on peut observer des centaines de fidèles réunis dans une cathédrale, une chapelle ou un temple évangélique, les mains levées à la hauteur des oreilles ou entrecroisées sur la tête, en train de crier, de solliciter l’aide de Dieu pour pouvoir payer les scolarités, obtenir un visa de résidence aux États-Unis, au Canada ou en France, commencer la construction d’un logement ou bien trouver de l’argent pour payer un bail, acheter de la nourriture pour la maison ou des médicaments pour un malade. Les prières sont rarement destinées à obtenir le salut de l’âme ou la grâce pour des prétendus péchés. Le croyant est loin d’être un homme ou une femme hors du monde, pour répéter Marx. Le croyant est le monde du croyant, l’État et la société. En d’autres termes, les fidèles ont besoin de religion parce qu’ils sont misérables. Mais le berger ou directeur de conscience profite de leur misère tout en leur injectant le sédatif d’une vie meilleure après la mort, l’illusion de l’immortalité dans le bien-être infini.
La religion, contrairement à l’affirmation de Marx, peut être aussi une arme de résistance des pauvres. Dans ce sens, on parle de théologie de la libération [18] qui prend comme point de départ la situation des opprimés, selon François Houtart. Cela signifie que la Théologie part d’un lieu. Elle est contextuelle, un discours sur Dieu. Selon Houtart « Un Dieu d’amour ne peut exister avec l’injustice, l’exploitation, la guerre ». Donc, comme le disait un théologien récemment, il s’agit d’une théologie qui ne se demande pas si Dieu existe, mais où il se trouve ? C’est la réalité des luttes sociales et l’engagement des chrétiens, en faveur de la justice, qui forment la base de l’élaboration de la pensée et du discours ». La théologie de la libération a eu son écho en Haïti avec une génération de prêtres tels que Jean-Bertrand Aristide, Jean-Marie Vincent, Raynald Clérismé, Jean Pierre-Louis, pour ne citer que ceux-là. Avec eux, notamment avec Jean-Bertrand Aristide, s’introduisit un nouveau discours à l’église : le haut clergé et les communautés ecclésiales de base, appelées « ti kominote legliz ». Elle a connu un essor remarquable en Haïti, au cours des années 1980. Mais au début des années 1990, avec le coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide, une répression sauvage est menée contre les adeptes de cette théologie notamment dans les quartiers populaires. Il y a eu ce que Houtart appelle « une restauration ecclésiastique et une répression idéologique » notamment avec une alliance de fait conclue entre Rome et Washington. Avec le déclin de la théologie de la libération, commencent à se multiplier des églises évangéliques financées, entre autres, par des missionnaires étatsuniens. Ces églises propagent à travers le pays des messages contre le vodou, la communauté Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transsexuel et Queers (LGBTQ), faisant croire aux fidèles que le bonheur est après la mort, et que le salut est personnel. La dénonciation des injustices et des inégalités sociales est proscrite. Elles cherchent plutôt à culpabiliser des fidèles (les plus pauvres) de leur situation de misère et de pauvreté, considérant l’enrichissement comme une bénédiction divine. Les dirigeants, associés à des ONG évangéliques, sont versés aussi dans l’humanitaire pour venir en aide aux plus pauvres de leurs assemblées. Ils amènent souvent des missionnaires qui ne parlent que l’américain. Eux-mêmes sont en train de traduire dans la langue maternelle des fidèles. Toute une fierté pour eux : amener un « Blanc » anglophone dans l’église. Ça augmente le capital symbolique du pasteur perçu dans l’imaginaire des fidèles comme un être béni de Dieu. La disparition de la théologie de la libération en Haïti coïncide avec deux éléments fondamentaux : la répression politique et idéologique, l’application des politiques d’ajustement structurel qui fait augmenter les inégalités sociales, la misère et la pauvreté [19]. Dans ce contexte, l’évangélisme est devenu un puissant narcotique pour détourner l’esprit des fidèles des causes matérielles de leur misère.
2.1.3. Dominants et conformistes
Dans le contexte que nous venons de décrire dans les paragraphes précédents, on trouve des conformistes, c’est-à-dire des personnes qui se sentent bien dans la société. Les normes, les règles sont conformes à leurs intérêts. Cette catégorie est constituée des oligarques, des gens des classes moyennes aisées, de la bourgeoisie administrative. Pour eux, il n’y a pas de meilleur pays qu’Haïti où ils peuvent enfreindre les lois à leur guise, violer les droits des travailleurs et des citoyens sans aucune inquiétude. Ce pays se caractérise par de grandes inégalités sociales : seulement 5 % des gens du pays accaparent 50 % de ses revenus, et les 95 % des habitants du pays vivotent, se démènent avec l’autre tranche de 50 %. Ce qui est très différent des cas des pays de l’Amérique latine où 5 % de la population de cette région s’accaparent de 27 % de ses revenus. Dans le cas des autres pays de la Caraïbe, 5 % des gens s’accaparent de 23 % des revenus de cette région [20] ».
Les rapports sociaux entre conformistes et d’autres catégories notamment des ritualistes sont des rapports de domination et d’exploitation. Les premiers ont besoin des seconds pour choisir des agents de sécurité pour leur entreprise, leur maison, des travailleurs domestiques, leur chauffeur, des ouvriers et ouvrières pour leurs usines, entre autres. Si l’on se réfère à la théorie marxiste, les propriétaires des usines et des industries doivent leur richesse grâce à la plus-value réalisée sur le travail des ouvriers et ouvrières. Leur existence n’aurait aucun sens sans l’existence de ces personnes. En Haïti, aujourd’hui, les travailleuses et travailleurs de la sous-traitance vivent une situation très difficile tant en termes de conditions de vie que de conditions de travail [21]. Ils arrivent à peine à payer les frais de transport sans pouvoir se procurer de quoi se vêtir et se nourrir convenablement.
Il y a complicité entre les dominants c’est-à-dire l’oligarchie et la bourgeoisie politico-administrative. Rappelons que la bourgeoisie politico-administrative est constituée essentiellement des agents supérieurs de l’État. La plupart de ces cadres sont issus des masses ou encore de ce que j’aime appeler les « classes populaires ». Pour arriver à faire partie de cette bourgeoisie, ils subissent ce que Charles appelle un « filtrage socio-politique [22] ». Ce filtrage est le résultat d’une « unité de domination » formée par l’oligarchie et la bourgeoisie politico-administrative afin de maintenir l’équilibre du système social. C’est dans ce sens que sont choisis minutieusement des individus (intellectuels, technocrates) appelés à faire partie de l’appareil d’État. Ce filtrage permet la mobilité verticale et l’entrée de certaines personnes dans ce que Charles appelle « le cercle fermé de la classe dominante [23] ». L’oligarchie choisit cette stratégie parce qu’elle n’a pas été toujours présente aux postes de commande de l’État. Peut-être est-elle en train de changer de stratégie aujourd’hui. De plus en plus, certains de ses membres convoitent le poste de président de la République en fondant des « partis politiques ». Ce sont des partis plutôt électoralistes. Entre-temps, ce sont eux qui renouvellent, de concert avec la bourgeoisie politico-administrative, les cadres supérieurs de l’État.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les luttes entre les élites de la petite bourgeoisie. À cause du sous-développement du pays, notamment les sous-développements économiques, les élites, en quête de fortune et d’ascendance sociale, quand elles ne trouvent pas un poste permanent, bien rémunéré dans des ONG internationales ou des organismes de coopération bilatérale, transforment les appareils du système politique en véritable champ d’action. Selon Charles Etzer, « l’univers politique apparaît comme une véritable arène où s’affrontent les classes et les fractions de classe, les clans, etc., avec pour principe : « à chacun son tour [24] ». C’est paradoxal, on a l’impression qu’au terme du « filtrage socio-politique » certains professionnels parvenus à la bourgeoisie politico-administrative trahissent de manière odieuse leur classe sociale d’origine. C’est l’effet systémique : ces individus ont été choisis dans le but de maintenir l’équilibre même du système d’oppression, de domination et d’exploitation des pauvres. Mais, il y en a qui ont quand même essayé de défendre les intérêts des masses. Ils sont accusés de tous les maux par les gardiens du système avant de les éjecter par la force. D’autres, par contre, ne font qu’obéir, se conformer comme du liquide prenant la forme du vase qui le contient. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les décisions d’un Ministre de l’éducation nationale qui choisit de faire réprimer, dans le sang, les revendications des étudiants de l’École Normale supérieure (ENS) ayant les mêmes origines sociales que lui. Ou bien celles d’un Président de la République issu des classes pauvres appliquant une politique économique aux conséquences désastreuses pour les travailleurs, les catégories les plus pauvres de la population, au profit de l’oligarchie.
Tout cela complique le grand soulèvement populaire pour la transformation du système : l’entente ou l’unité entre l’oligarchie et la bourgeoisie politico-administrative, les luttes entre des fractions de classe et des clans dans le champ politique, l’absence d’un parti de masse intégré par des « intellectuels organiques [25] », entre autres. Le malheur des classes populaires haïtiennes en est que même si elles produisent des intellectuels, ceux-ci, une fois recrutés par la bourgeoisie politico-administrative, des ONG internationales ou des organismes de coopération rompent les liens avec elles. Il se crée donc un fossé entre elles et ces intellectuels. Donc, ces classes, ne faisant pas partie d’un parti intégré par des intellectuels progressistes restent et demeurent des « classes en soi » pour reprendre un concept marxiste. Sans idéologie progressiste, inconscients de leurs intérêts de classe, les individus des classes populaires, même s’ils organisent des émeutes ou des manifestations populaires, pourront difficilement changer le système. On ne peut changer de chemise si on n’en a pas une autre à porter. Cela vaut aussi pour le système : on ne peut le changer si on n’est pas capable de penser et d’imposer un autre. Cela se fait avec les masses et les intellectuels organiques.
En conclusion, il n’y a pas de révoltes sociales en Haïti malgré la menace d’une dictature pour plusieurs raisons. Premièrement à cause de l’oppression et de la souffrance sociale rendant la majorité de la population, notamment les catégories sociales les plus pauvres taillables et corvéables à merci. Elles développent des comportements attentistes, prises dans une fatalité du destin renforcée, voire alimentée par des croyances religieuses et les actions des ONG humanitaires. Deuxièmement, le renoncement des intellectuels, particulièrement les intellectuels progressistes à développer des relations organiques avec les masses. Il existe une fracture entre les masses et ses intellectuels. Même quand la plupart d’entre eux parviennent à de hautes fonctions politiques, ils ne se sentent pas redevables envers leur classe sociale d’origine. Ils entrent dans le camp de la bourgeoisie et contribuent ainsi à l’équilibre du système. (A suivre)
.......
* Ilionor Louis, docteur en Sociologie, est professeur de sociologie et de méthodologie de recherche à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti. Il vient d’être élu Doyen de cette institution par la majorité des étudiants, des professeurs et du personnel administratif.
[1] Fanon Frantz (1961) (2004). Les damnés de la terre, Édition la Découverte, Paris
Wacquant Loïc (2008). Parias urbains, Ghetto, Banlieues, État, Édition La Découverte, Paris
[2] Viparelli Irène (2010). Crises, révoltes et occasions révolutionnaires chez Marx et Lénine in Actuel Marx, Presses Universitaires de France, No. 47 PP 27-42, Article disponible à l’adresse https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2010-1-page-27.htm
[3] Cloward Richard Andrew et Frances Fox Piven (2015). Les mouvements populaires. Pourquoi ils réussissent, comment ils échouent (traduit de l’anglais par Guillaume Damien et Marie-Blanche Audollent, Édition Agone ( article disponible en ligne à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-agone-2015-1-page-13.htm
[4] Bernard Dumas et Michel Séguier distinguent différentes formes de regroupement dans le processus de construction de l’action collective : le groupe de socialisation, le groupe d’intérêt, le groupe de solidarité. Ils définissent le groupe de solidarité comme un groupe qui tend à favoriser la promotion collective de la population où des individus font face à des difficultés d’insertion. Ce groupe a une fonction d’organisation collective. (Dumas Bernard et Michel Séguier (1999). Construire des actions collectives. Développer des solidarités, Éditions Chronique sociale, Lyon.
[5] Dumas Bernard et Michel Séguier (1999). Construire des actions collectives. Développer des solidarités (2ème édition), Édition chronique sociale, Lyon.
[6] Touraine Alain (1997). Pourrons-nous vivre ensemble ? Édition Fayard, Paris.
Thierry Michalon, commentant le livre de Touraine, affirme que dans la perspective de cet auteur « nous vivrions (…) dans un phénomène de « démodernisation » fait de désocialisation, de spoliation et de « désinstitution-nalisation ». (…). Les mécanismes de l’économie de marché sont de plus en plus dissociés des rapports sociaux de production. Cette « désocialisation » qu’illustre de manière très concrète l’actuelle décomposition des villes, s’accompagne de « dépolitisation » car les mécanismes de marché s’imposent aujourd’hui au point d’anéantir la marge de choix politique, entre des valeurs collectives distinctes, dont jouissait jusqu’alors la Cité » Voir Michalon Thierry « Alain TOURAINE, Pourrons-nous vivre ensemble ? », Pouvoirs dans la Caraïbe [En ligne], Spécial | 1997, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 10 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/plc/782 ; DOI : https://doi.org/10.4000/plc.782
[7] Pour comprendre ce qu’on entend par politiques néolibérales, il convient d’abord de définir le néolibéralisme. Selon Giovanni Arrighi, les politiques néolibérales consistent en deux prescriptions liées : « au plan national, la liquidation du New Deal aux États-Unis et de l’État Providence en Europe occidentale, et, au plan international, la liquidation des États tournés vers le développement dans le tiers (et second)-Monde. Ainsi compris, le néolibéralisme est une variante des doctrines ‘favorables au capital » qui tendent à devenir dominantes dans les phases financières d’expression du capitalisme. Comme ses variantes antérieures, le néolibéralisme tend à l’établissement d’un environnement favorisant l’accumulation du capital par le biais du prêt, de l’emprunt et de la spéculation financière, plutôt que par l’investissement dans le commerce et la production » (Voir Amin Samir et al. (2006). Qu’est-ce que le néolibéralisme, Presses universitaires de France- Actuel Marx, article disponible en ligne à l’adresse
https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2006-2-page-12.htm
[8] Rafael Novella (2019) de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) dans un article intitulé « Haïti, entre aspirations et réalités des jeunes » fait l’affirmation suivante : « En Haïti, l’intégration des jeunes dans la société et sur le marché du travail est un enjeu critique pour le maintien de l’ordre social. Dans ce pays qui reste le plus pauvre du continent américain et l’un des plus inégalitaires au monde, les activités sont paralysées depuis bientôt une semaine dans la capitale et les principales villes de province. Les manifestants réclament notamment le jugement des éventuels corrompus, un réel accès aux services sociaux, mais aussi du travail pour les jeunes » (Voir Novella Rafael (2019). « Haïti, entre aspirations et réalités des jeunes » in https://theconversation.com/ha-ti-entre-aspirations-et-realites-des-jeunes-109580 site consulté le 10 février 2021
[9] En référence à Charles Etzer, la bourgeoisie politico-administrative est constituée des éléments sociaux placés à la tête de l’État. « Ils sont détenteurs du pouvoir politique et, en tant que tel, parviennent à s’approprier par la corruption une part importante du revenu national. Et par-delà les différences qui les spécifient, ainsi que les hommes d’affaires, il existe entre eux et ceux-ci des liens bien déterminés et des intérêts communs qui les constituent en unité de classe, une unité dominante pour autant que sa position lui confère des pouvoirs lui permettant d,agir sur l’ensemble de la hiérarchie sociale ( Voir Charles Etzer (1994). Le pouvoir politique en Haïti, de 1957 à nos jours, éditions KARTHALA Paris, P 22)
[10] Selon le Centre Tricontinental, dans le contexte du néolibéralisme « les ONG de développement sont à l ‘ordre du jour. Les organismes financiers internationaux (Banque Mondiale, FMI, ETC) voient en elles des agents efficaces de lutte contre la pauvreté et tendent à les instrumentaliser. La canalisation de l’aide publique par leur intermédiaire a eu pour effet un énorme croissance de leur nombre) Voir la note de la quatrième de couverture du livre. Centre Tricontinental (1998). Les ONG : instruments du néo-libéralisme ou alternatives populaires, Édition l’Harmatan, Paris
[11] Commentant le livre de Michel Chossudovsky, Noam Chomsky affirme que celui-ci « a mis à nu les caractéristiques fondamentales des réformes et leurs racines dans l’économie dans l’économie internationale. Selon lui, les réformes rétablissent les modèles coloniaux, font obstacle à toute planification nationale et à toute véritable démocratie, tout en mettant en place les structure d’un monde d’inégalité croissante dans lequel la vaste majorité est vouée à la souffrance et au désespoir pour servir les intérêts d’un très petit nombre de privilégiés et de puissants » (voir la quatrième de couverture du livre de Michel Chossudovsky (1998). La mondialisation de la pauvreté, Édition Écosociété, Montréal.
[12] Henry Velmeyer et James Petras (1999). La face cachée de la mondialisation, Édition …
[13] « par rapport à leur nouveau style de vie, la plupart d’entre eux roulent dans des 4 par 4 de luxe, ont des chauffeurs, des « gason-lakou » pour tondre leur gazon et des servantes pour les travaux domestiques. À la descente de leur voiture, ils se font aider pour apporter leur valise par un subalterne au bureau. La tonte de la pelouse protégée par des murs munis de barbelés est confiée à de misérables jardiniers à qui ils régalent des vêtements usagés, des miettes et quelques sous ». Voir Louis Ilionor (2018). « Classe ONG et distance sociale » in Chantiers. Revue des sciences humaines et sociales de l’Université d’État d’Haïti. ONG en Haïti, vol 2 no.1, PP. 113-123
[14] Lespinasse Colette (2018) « « kijan pou nou konprann prezans ak Wol ONG yo an Ayiti » in in Chantiers. Revue des sciences humaines et sociales de l’Université d’État d’Haïti. ONG en Haïti, vol 2 no.1, PP. 21-42.
[15] Schuller Mark (2018). « Fè ONG : yon nouvo gramè ONG » in Chantiers. Revue des sciences humaines et sociales de l’Université d’État d’Haïti. ONG en Haïti, vol 2 no.1, PP. 231-244
[16] Karl Marx (1843). Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel traduction Olivier Tinland
[17] Tinland Olivier (2017). « Karl Marx : la religion est l’opium du peuple » in https://www.lepoint.fr/religion/karl-marx-la-religion-est-l-opium-du-peuple-16-12-2017-2180496_3958.php# site consulté le 12 février 2021.
[18] La théologie de la libération prend naissance avec la publication de l’ouvrage de Gustavo Gutierez, un prêtre péruvien, en 1971. À propos de la naissance de ce courant de la théologie, on peut lire ceci dans l’Encyclopédie Universalis : « Dans cet ouvrage intitulé Théologie de la libération. Perspectives, Gutiérrez propose un certain nombre d’idées contestataires, destinées à bouleverser profondément la doctrine de l’Église. Tout d’abord, il insiste sur la nécessité de rompre avec le dualisme hérité de la pensée grecque : il n’existe pas deux réalités, une « temporelle » et l’autre « spirituelle », ou deux histoires, une « sacrée » et l’autre « profane ». Il n’y a qu’une seule histoire, et c’est dans cette histoire humaine et temporelle que doit se réaliser la rédemption, le Royaume de Dieu. Il ne s’agit pas d’attendre le salut d’en haut : l’Exode biblique nous montre « la construction de l’homme par lui-même dans la lutte politique historique ». Il devient ainsi le modèle d’un salut qui n’est plus individuel et privé mais communautaire et « public », dont l’enjeu n’est pas l’âme de l’individu en tant que telle mais la rédemption et la libération de tout un peuple asservi. Le pauvre, dans cette perspective, n’est plus un objet de pitié ou de charité mais, comme les esclaves hébreux, l’acteur de sa propre libération ». Réf. https://www.universalis.fr/encyclopedie/theologie-de-la-liberation/3-naissance-de-la-theologie-de-la-liberation/ site consulté le 12 février 2021
[19] Dans un rapport récent de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), les données relatives à aux inégalités socioéconomiques sont accablantes : « 59 pour cent de la population haïtienne ont vécu sous le seuil national de pauvreté (2,41 US$ jour) tandis que 24% ont vécu dans l’extrême pauvreté. en milieu rural où vivent 45 pour cent de la population haïtienne, près de deux tiers de la population sont considérés comme chroniquement pauvres (…).il y a des différences importantes dans la prestation des services de base entre les foyers en milieu urbain et rural. Environ 11 pour cent de la population en milieu rural ont accès à l’électricité tandis que 48% l’ont eu dans les villes. Par conséquent, tandis que la pauvreté est présente à la fois en milieu urbain et rural en Haïti, elle a tendance à être un phénomène rural. Néanmoins, il convient de noter que les établissements urbains informels ont augmenté durant la dernière décennie. En termes d’inégalités de revenus, selon la Banque Mondiale (BM), le coefficient de Gini en Haïti était de 0.61 en 2012, un niveau qui est resté pratiquement inchangé depuis 2001 (…). L’insécurité alimentaire est généralisée en Haïti. Selon le PAM, un haïtien sur trois souffrait d’insécurité alimentaire aigue avant que la Covid-19 devienne une pandémie (voir Banque Interaméricaine de développement (2020). Estimation et prévision de la pauvreté et des inégalités de revenu en Haïti en utilisant l’imagerie satellite et les données du téléphone mobile. Monographique disponible à l’adresse : https://publications.iadb.org/publications/french/document/Estimation-et-prevision-de-la-pauvrete-et-des-inegalites-de-revenus-en-Haiti-en-utilisant-limagerie-satellite-et-les-donnees-du-telephone-mobile.pdf
[20] Louis Ilionor(2018). « émeutes et inégalités sociales en Haïti » in https://www.alainet.org/fr/articulo/194510 site consulté le 14 février 2021
[21] En 2017, un ouvrier ou une ouvrière de la sous-traitance gagnait 300 gourdes de salaire minimum par jour. Ce qui équivalait à 4,75 US$. Ils ont manifesté pour exiger un salaire de 800 gourdes, soit 12,75 US$ pour une journée de 8 heures. Une ouvrière, au cours de cette manifestation, qu’en payant 100 gourdes (1.60 US$) rien que pour le transport chaque jour, il ne lui en restait pas assez pour acheter des vêtements et de la nourriture. Aujourd’hui, soit quatre ans après, les ouvriers gagnent 500 gourdes soit 6. 66 US$ par jour, mais les prix de tous les produits de base, ainsi que ceux du transport ont doublé par rapport à 2017. Concrètement, il n’y a pas eu vraiment d’augmentation de salaire. Par rapport au salaire payé aux ouvriers de la sous-traitance en 2017, voir Capital (2017). « Haïti : les ouvriers des usines textiles réclament un meilleur salaire » in https://www.capital.fr/entreprises-marches/haiti-les-ouvriers-des-usines-textiles-reclament-un-meilleur-salaire-1234416 site consulté le14 février 2021.
[22] Charles Etzer (1994). Op. Cit. P.54
[23] Charles Etzer (1994). Op cit. P.55
[24] Charles Etzer (1994). Op cit. P.24
[25] Attilio Monasta, se référant à Antonio Gramsci affirme ceci : « ce qui définit les intellectuels, ce n’est pas tant le travail qu’ils font que le rôle qu’ils jouent au sein de la société ; cette fonction est toujours, plus ou moins, consciemment, une fonction de direction technique et politique – le groupe dominant, soit un autre groupe qui tend vers une position dominante ( Voir Monasta, Attilio (…) l’« intellectuel organique » selon Gramsci » in http://agora.qc.ca/documents/intellectuel--lintellectuel_organique_selon_gramsci_par_attilio_monasta site consulté le 15 -02-2021