Débat
Par Marc-Arthur Fils-Aîmé*
Soumis à AlterPresse le 27 février 2021
Ce dimanche 7 février 2021 a marqué la fin constitutionnelle du mandat présidentiel de Jovenel Moïse, grâce à l’appui de ladite communauté internationale sous la baguette impériale du gouvernement américain. Cet appui, qui ne fait qu’embrouiller les donnes, est-il inconditionnel ?
Nous nous posons cette question, puisque nous ne savons pas le sous-bassement de cet aveuglement, imbibé aussi de racisme, qui est devenu finalement indécent, en faveur d’un pouvoir qui ne regarde pas à la dépense pour se protéger. De toutes façons, cet entêtement ne saurait nullement prévaloir contre les prescrits de notre loi-mère, dont l’article 134.2 de la Constitution du 29 mars 1987 amendée le 9 mai 2011 se lit ainsi :
L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection.
Quelles sont les autorités les plus compétentes à comprendre nos lois et nos codes ?
La Constitution amendée est allée dans le même sens concernant les Députés.- Voir les articles 92 et 92.1- et les Sénateurs. - Voir l’article 95-. [1].
Ce sont ces articles que l’ex-président Jovenel Moïse a évoqués, le 13 janvier 2020, pour mettre fin aux mandats de tous les députés et d’un tiers du sénat. Les maires ont connu le même sort. Ils sont remplacés par des Agents exécutifs intérimaires. La plupart de ces élus, qui sont tombés sous le coup de l’article précité, n’ont pas eu le temps de combler le temps arithmétique de leur mandat. Le président Jovenel Moïse ne s’en doutait pas qu’il restait en harmonie avec le temps constitutionnel de ces mandataires. Pourtant, il s’est adjugé le droit de s’élever au- dessus de la Constitution et de toutes les autres lois de la république, car il ne se sent pas concerné par ce même article. Il cherche à bénéficier de son propre calcul inepte pour n’avoir pas organisé les élections législatives et celles des collectivités territoriales, suivant les temps constitutionnels. Ainsi, le pays n’a-t-il, à sa tête, depuis plus d’un an, que 11 élus, dont l’ex-président Jovenel Moïse lui-même et les dix sénateurs restants. Entre-temps, il a émis plus de quarante décrets, les uns les plus rocambolesques et illégaux que les autres. Il y en a même un, qui va au-delà de tout principe de droit international, permettant à toute personne, ayant été condamnée à une peine afflictive et infamante, mais graciée par le chef de l’État, de briguer les suffrages des électrices et électeurs. Il est clair que, par ce décret, il se protège, en protégeant ses pairs.
Ce n’est pas une invention des différentes tendances de l’opposition politique au pouvoir de Jovenel Moïse, ni celle de la majorité de la population lui demandant son retrait du Palais national, ou du symbole de cet imposant immeuble, qui s’est effondré lors du séisme du 12 janvier 2010. C’est ce prescrit constitutionnel, duquel s’est inspirée la loi électorale de 2015, dont la grande majorité des secteurs, parmi les ayants-droit, ont réclamé l’application. Des institutions religieuses indépendantes et garantes de grand prestige comme l’Église catholique romaine en Haïti, les Églises protestantes et le secteur vodou, les fédérations syndicales, hormis les jaunes, ont reconnu la fin du mandat de Jovenel et exigé le respect de la loi-mère. C’est ce même constat, qu’ont fait les principaux partis et organisations politiques de l’opposition, les organisations de droits humains les plus reconnues, comme le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), la Plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (Pohdh) et la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda), sur la fin du mandat constitutionnel de Jovenel Moïse, le dimanche 7 février 2021, qui s’apprête à imposer une dictature anachronique
Cependant, nous devons accorder une considération spéciale à deux autorités constituées en la matière : la Fédération des barreaux d’avocats de la république et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj), qui, lui, est co-dépositaire de la souveraineté nationale. Elles ont abouti à la même conclusion que les entités ci-dessus citées : la fin du mandat de Jovenel Moïse le 7 février 2021.
Qui de Michele Jeanne Sison, ambassadrice des États-Unis d’Amérique en Haïti, de Helen Meagher La Lime, responsable du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh), - l’une des dernières formes de l’occupation du pays - de l’Organisation des États américains (Oea), des puissances européennes et du Canada, qui se sont tous alignés sur la position de la Maison Blanche, ont plus de capacité, de légitimité et d’autorité que la Fédération des barreaux de la république et du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, pour analyser, comprendre la Constitution, qui est d’application stricte, et les lois de la république ?
Sans nul doute, le poids est du côté de la Fédération des barreaux et du Cspj.
Ce sont les puissances occidentales, qui ont donné feu vert à la représentante de l’Organisation des Nations unies (Onu), cette Mme Lalime, parmi bien d’autres, pour mentir effrontément au monde sur la réalité politique et les déboires de Jovenel Moïse et du Partii haïtien tèt kale (Phtk). De surcroît, elles sont assurées de la fidélité des classes dominantes et politiques traditionnelles de ce pays, occupé de juillet 1915, qui, jamais, ne lui tourneront le dos.
Il semble ici que les théories de Gobineau survivent encore. Faut-il le rappeler qu’il n’existe pas de race blanche, jaune, ou noire, mettant la race blanche en haut de l’échelle et la race noire en bas. Il n’y a qu’une race, la race humaine. Hannibal Price, avec l’avancée de la science, n’aurait pas plaidé, dans son livre édité pour la première fois en 1898, pour " De la réhabilitation de la race noire par la République d’Haïti", mais "pour celle de l’être humain". Anténor Firmin aurait aujourd’hui écrit dans son ouvrage" de l’égalité de la race humaine ",publié en 1885, qui est un vrai manifeste, au lieu des "races humaines" : Tout moun egal ego L’Afrique et ses enfants ont démontré cette vérité scientifique dans tous les domaines, sans exception aucune, malgré tous les obstacles que l’on continue de dresser sur leur chemin.
Malheureusement, trop de secteurs de l’opposition ont mordu à l’hameçon Biden et oublié que ce sont les Clinton, deux membres influents des démocrates, qui nous y ont mis l’appât Martelly. Pourquoi, sur le plan international, Joe Biden, le nouveau président impérial, dès les premiers jours de son investiture, a-t-il indexé de dictateur le président Maduro, qui a été élu d’après l’un des systèmes électoraux les plus fiables au monde, selon les propos de l’ancien président Carter ? Pourquoi s’en prend-il à certaines mesures de son prédécesseur républicain et aussi réactionnaire que lui, avec quelques nuances certes, telle que le dossier de l’Arabie Saoudite, qui rapporte des milliards de dollars en vente d’armes à l’industrie guerrière de son pays, et a-t-il négligé le dossier d’Haïti ?
Quel est le vrai motif de ces interventionnistes ?
Grâce au soutien des pays colonisateurs et de ceux-là qui ont ravalé la dignité des peuples des premières nations, Jovenel Moïse reste accroché au pouvoir, qu’il aura à quitter par l’amplification de la mobilisation populaire. Le nouveau dictateur se trouve engouffré dans un cycle irréversible de répression et de mesures illégales. Il a fomenté un auto coup d’État, pour pouvoir procéder à l’arrestation irrégulière et arbitraire de 23 personnes, selon le premier ministre de facto et le ministre de la justice de facto, dont un juge de la Cour de Cassation, pour tentative de cette aventure très mal cousue. Il a commis la forfaiture, après sa libération, de le mettre, ainsi que deux autres juges de cette même Cour, quoique munis de leur inamovibilité, à la retraite, du seul fait que leur nom est dans la liste des Juges pressentis pour présider un gouvernement de transition. Il a, en même temps, piétiné toute la procédure existante pour les remplacer. Nos lois recommandent que le président de la république ne nomme les Juges de la Cour de Cassation que sur une liste de trois personnes par siège, soumise par le sénat et approuvée par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
Tout retour à la normalité des règles et des principes républicains signifiera le départ de Jovenel Moïse d’un pouvoir, qu’il a séquestré depuis ce dimanche 7 février 2021. C’est pourquoi, devenu depuis cette date un président de facto, donc illégal et illégitime, et isolé sur la scène nationale et de plus en plus au niveau international, il cherche à maintenir le pouvoir par la répression de la Police nationale d’Haïti (Pnh), dont le directeur général n’a pas eu, selon la Constitution, l’approbation du sénat. Il explore, de façon unilatérale, la possibilité d’organiser un référendum et des élections, avec un Conseil électoral provisoire (Cep), dont la Cour de Cassation a refusé, à cause du choix illégal de ses membres, la prestation de serment, et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (Cscca) d’approuver leurs dépenses. Le président de facto cherche également à organiser un référendum, pour ajuster la Constitution à sa mesure, et des élections dans un contexte caractérisé par le kidnapping et la criminalité généralisée de gangs armés fédérés sous le nom de G9 en famille et alliés. Ces bandits de grand chemin opèrent en toute quiétude, de connivence avec le régime au pouvoir. Jovenel Moïse a quintuplé sa force répressive, avec un prétendu corps militaire, qu’il a monté sans égards à la Constitution, et un autre corps appelé Brigade de sécurité des aires protégées (Bsap). Ce dernier est une autre variante de ses bandes criminelles, arborant une nomination qui n’a rien à voir avec sa fonction réelle. Il a déjà dévoilé sa vraie nature, par ses agissements brutaux contre les manifestantes et les manifestantes, qui ne jurent abandonner la lutte qu’après le départ de Jovenel Moïse, dont le nom est cité plusieurs fois dans un rapport d’audit sur le fonds PetroCaribe, publié par la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. Si Jovenel Moïse a aussi peur d’être traîné par-devant les Tribunaux pour les énormes détournements de fonds de PetroCaribe, confié par son mentor Michel Martelly, déjà avant son élection, ses consorts étrangers et locaux visent le statu quo pour perpétuer l’exploitation éhontée des richesses, abondantes de notre sous-sol, d’après plusieurs experts nationaux et de certaines multinationales, et condamner les masses travailleuses dans la catégorie de main-d’œuvre à bon marché.
Quelle est l’issue à cette crise ?
Le pays, depuis les vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 juillet 2018, a vécu et continue de vivre de fortes luttes, avec des temps creux contre la politique antipopulaire de Jovenel Moïse. À un certain moment, toutes les activités étaient paralysées, moment appelé peyi lòk par la sagesse populaire, à un tel point que le président était tenu par un fil ténu, sous la garde de ses amis étrangers. Si les premières mobilisations ont été contre une hausse vertigineuse du prix de l’essence, au début de juillet 2018, le motif a changé, au fur et à mesure qu’elles s’intensifiaient. Des foules immenses, dans les 10 départements nationaux, ont demandé le départ anticipé de Jovenel Moïse après la publication du rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif sur la dilapidation du fonds PetroCaribe.
Depuis ce 7 février 2021, avec la fin de son mandat constitutionnel, la lutte a atteint une autre phase, celle du départ légal, en accord avec l’article 134.2 de la Charte fondamentale, de l’ex- chef d’État. Un accord semble être trouvé au sein de l’opposition politique plurielle, même si le consensus est fragile. L’opposition a désigné, le 8 février 2021, Me. Joseph Mécène Jean-Louis, le plus ancien Juge de la Cour de Cassation, président provisoire, pour combler le vide présidentiel. Il a dû se mettre à couvert, car il est menacé d’arrestation par le ministre de facto de la justice.
Jovenel Moïse, qui se pavane dans des organisations carnavalesques, qui ont coûté des millions de gourdes au trésor public, en ce temps de Covid-19, a montré, comme à son habitude, son mépris envers la majorité du peuple, qui s’enfonce de plus en plus dans la crasse, et des employés de diverses branches administratives de l’État, qui réclament leurs dus. Il s’est largement trompé en pensant regagner la popularité, qu’il n’a jamais eue, avec des bains de foule d’un peuple qui raffole du carnaval. Au contraire, il a beaucoup perdu des quelque cinq cent mille voix, sur environ six millions de personnes en âge de voter, qui l’ont porté à ce poste, grâce à de fausses promesses que, jusqu’à nos jours, il n’a pas cessé de multiplier.
L’avenir est dans nos mains
Seules l’augmentation et la continuité de la lutte nous permettront d’arriver à protéger les acquis démocratiques, encore fébriles, qui se trouvent en grand danger. La nation attend une transition, qui, en plus de préparer de justes élections souveraines, posera des pierres solides contre la corruption et les inégalités sociales.
Tout se joue dialectiquement sur deux fronts : celui de la mobilisation populaire et celui du respect intégral des institutions républicaines. La manifestation de ce dimanche 14 février 2021, qui a emmené des milliers et des milliers de gens dans les rues à Port-au-Prince, en dépit des intimidations des forces rétrogrades à la solde du clan Phtk, se veut le prélude des prochains jours, que plus d’un annonce qu’ils seront tristes. La solidarité internationale, basée sur le respect de la dignité et de l’autodétermination du peuple haïtien, ne devra venir qu’en support à la volonté démocratique populaire, et non en un frein, comme l’ont montré l’impérialisme américain et ses dépendants du Core Group, formé, entre autres, du Canada, du Brésil, de la France, de l’Espagne et de l’Union européenne.
Le temps est venu, à la gauche progressiste et révolutionnaire, de saisir cette période d’ébullition, pour offrir aux masses populaires, de façon autonome, la seule alternative qui vaille. Le départ imminent du président usurpateur, avec les mobilisations qui s’intensifient et qui embrassent, au fur et à mesure, de plus larges couches sociales, ne sera pas le bout du tunnel.
Seul le socialisme peut aider le pays à récupérer sa souveraineté et à réconcilier l’État avec la Nation.
27 février 2021
* Directeur de l’Institut culturel Karl Lévêque (Ickl)
[1] Article 92 "Les Députés sont élus pour 5 ans.et sont indéfiniment rééligibles.."
Article 92.1 "Il entrent en fonction le deuxième lundi de janvier qui suit leurs élections et siègent en deux(2( sessions annuelles. La durée de leur mandat forme une législature."
"Au cas où les élections ne peuvent aboutir avant le deuxième lundi de janvier, les députés élus entrent en fonction immédiatement après la validation du scrutin et leur mandat de cinq (5)ans est censé avoir commencé le deuxième lundi de janvier de l’année de l’entrée en fonction".
C’est le même esprit qui se lit à l’article 95 concernant les Sénateurs.