Par Evens Fils, av *
Soumis à AlterPresse le 22 février 2021
Pourquoi les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent point affirmer que le mandat présidentiel en Haïti a pris fin le 7 février 2021 ?
Dans la controverse qui divise les acteurs politiques en Haïti relativement au mandat présidentiel, les Etats-Unis pratiquent une politique de sagesse, même s’il faut exclure la vérité. A la stupéfaction de plus d’un, ils ont vraisemblablement soutenu la fin du mandat présidentiel au 7 février 2022. Et cette déclaration n’engage pas pour autant le peuple Américain. Ils ont répété les propos officiels de leur pays d’accueil comme le protocole l’impose. A l’exception des pays comme le Venezuela qui se sont déclarés péremptoirement adversaires farouches des Etats-Unis, cette grande puissance garde généralement une attitude orthodoxe envers son hôte au regard des textes internationaux. Souvent, nous recherchons des réponses savantes à des questions simples. Ce que nous chercherons ici, c’est de répondre le plus simplement du monde, à cette question. Rien n’est plus beau que la simplicité.
Au fait, les États-Unis ne sauraient déclarer que le 7 février 2021 est la fin du mandat présidentiel. Ils sont interpellés par le devoir de cohérence dans leur diplomatie. Leur position est construite sur la responsabilité gouvernementale qui prend en compte les actes passés, présents, ainsi que les effets immédiats et futurs de toute déclaration dans le but de protéger l’establishment économique et politique américain.
D’une part, si les Etats-Unis reconnaissent cette vérité constitutionnelle, ils mettront fin d’office, par voie de conséquence, à l’agrément que leur Ambassadeur avait reçu du Président Jovenel Moise.
L’Ambassadeur américain a été autorisé par le Président Jovenel Moïse à servir son pays en Haïti. Le Président ou l’Etat accréditaire doit toujours donner son accord, son agrément et ce, conformément à l’article 139.1 de la Constitution Haïtienne prescrivant : « Il accrédite les Ambassadeurs et les Envoyés Extraordinaires auprès des puissances étrangères, reçoit les lettres de créance des Ambassadeurs des puissances étrangères et accorde l’exéquatur aux Consuls ». Vu à l’angle de la Constitution, la méconnaissance du pouvoir de Jovenel Moise rendra méconnaissable la fonction de l’Ambassadeur américain.
Il résulte de tout ce qui précède : déclarer que Jovenel Moise n’est plus reconnu comme Président de la République d’Haïti rendra invalide l’agrément précédemment octroyé à l’Ambassadeur américain.
Par conséquent, la dévestiture de l’Ambassadeur américain lui confèrera un statut illégal en Haïti. Il perdra son immunité et ses multiples privilèges. Il ne pourra plus signer des documents officiels, à peine de nullité.
Reconnaître cette vérité résonnera comme une bombe à effets dévastateurs au détriment des Américains. Le peuple américain détient de grands intérêts économiques en Haïti et veulent continuer à contrôler la sphère géopolitique à des proportions inimaginables.
Si aux yeux des dirigeants américains, les Haïtiens n’ont aucune valeur, Haïti coûte pourtant très cher pour le Département d’Etat Américain comme sa dernière carte aux sommets des Nations. Que tous les Haïtiens périssent comme bon leur semble, mais le nom Haïti demeure et vaille au moins un vote, tel est la conception qui domine au salon des grands électeurs.
D’autre part…
Dans l’hypothèse que les Etats-Unis allèguent que la fin du mandat présidentiel en Haïti est au 7 février 2021, cela provoquera un incident diplomatique majeur correspondant à une déclaration de guerre préventive ou prématurée.
L’acceptation de la fin du mandat à cette date attribuera, aux yeux de celui qui l’accepte, un autre statut au sieur Jovenel Moise : un criminel qui se maintient au pouvoir par des moyens illégaux, un fieffé violateur des droits fondamentaux de la personne humaine.
En réplique aux vagues de manifestations, les actes du gouvernement seront assimilables au terrorisme et certains crimes ou massacres pourront friser le crime contre l’humanité. Témoins de la flagrance de ces faits, cela imposera aux Etats-Unis l’obligation d’intervenir contre l’Etat Haïtien et ce, en vertu de l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice en date du 9 juillet 2004. La Cour Internationale de Justice a estimé que « le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques est applicable aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire ». (La portée territoriale et extraterritoriale des obligations internationales des États en matière de droits de l’homme). Alors une autre question surgit promptement : Est-il sensé de couper soi-même la branche de l’arbre sur laquelle on est assis ?
En revanche…
Nous devons reconnaître le droit dont dispose chaque chef d’Etat, par anticipation, de faire application de l’article 9 de la Convention de Vienne de 1961 portant sur les relations diplomatiques disposant : « 1. L’État accréditaire peut (Haïti dans ce cas), à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant (Les Etats-Unis dans ce cas) que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’État accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire ».
Au demeurant, les États-Unis doivent sortir de ce dilemme généré par sa position de sagesse limitée. Sinon, l’enjeu se durcira lorsque d’autres questions plus robustes s’y seront greffées : Quel est l’avenir des accords signés avec le présent Gouvernement en absence d’un Parlement ?
Pourquoi des agents de la Banque Mondiale, PNUD et FMI se réjouissent-ils si fort dans ce boulevard d’illégalité pour passer toute forme de transactions financières obscures ? Pour tirer leur propre avantage au détriment des pauvres sans laisser d’indice légal ? Comment protéger les énormes investissements américains ? Quelle est la légitimité des contrats accusant des millions de dollars d’aide et coopération bilatérale ? Qui les signe ? Qui les ratifiera ? Les accords signés avec ce Gouvernement ne seront-ils pas annulés dès les premiers jours d’un nouveau Gouvernement et d’un Parlement fonctionnel ? Qu’est ce qui empêchera que les Etats-Unis soient mis au banc des accusés devant un tribunal international pour complicité de crime financier transnational lorsque les formalités administratives financières internationales ne sont jamais respectées au milieu de la corruption qui appauvrit et déshumanise ? Pourquoi le Département du Trésor des Etats-Unis n’arrive-t-il même pas à questionner l’illégalité de la circulation des devises américaines dans un espace en Haïti non régulé et administré par un Gouverneur de banque centrale illégitime ? Pourquoi cette complicité dans l’illégalité ? Les Etats-Unis n’auront-ils pas facilité la commission de ces crimes en fournissant au Gouvernement haïtien les moyens nécessaires pour mettre en œuvre sa politique de déconstitution de l’ordre démocratique ? Pour avoir eu parfaite connaissance du chaos en amont et en aval, pour avoir facilité l’anéantissement de l’ordre constitutionnel, l’Histoire ne pourra jamais acquitter les Etats-Unis.
Entre deux maux, les Etats-Unis doivent choisir le moindre : sagesse ou vérité.
Cet argumentaire est aussi valable pour tous les autres pays entretenant une relation diplomatique avec Haïti et qui se montrent indiffèrent à un mal planétaire (situation économique désastreuse, l’élimination barbare des institutions démocratiques, l’assassinat tragique d’un Bâtonnier, arrestation sauvage de juge de la Cour suprême sans le moindre respect des procédures, des enfants massivement enlevés et violés, des massacres de civils par des fonctionnaires du Gouvernement/rapport rendu, des millions de dollars dissipés, le trafic de la drogue à la hausse, les transactions des armes de guerre et le drame des gangs responsables de plusieurs incendies communautaires et de la traite de personnes, etc.).
Malheureusement, par l’effet de boomerang, les actes de complicité de corruption des Etats-Unis perpétrés à l’extérieur de son territoire conditionnent le mental de certains américains qui, de plus en plus, se soulèvent contre le gouvernement américain sur le constat d’une politique étrangère inefficace à l’égard des pays en voie de développement.
Somme toute…
Que chacun comprenne d’où provient ce dilemme qui défie l’idéal démocratique de l’Amérique. L’impasse dans laquelle se trouvent les Etats-Unis est née du refus d’accepter publiquement l’incontestable vérité constitutionnelle.
Les Etats-Unis auraient dû déroger aux principes généraux de diplomatie dans un contexte politique singulier caractérisé par des crimes spectaculaires en cascade sur des civils innocents. De toute façon, la vérité doit prévaloir sur la sagesse.
Car la sagesse se rapporte à un moment ponctuel intéressé ; la vérité s’étend sur l’avenir dans l’intérêt de tous.
Honnêtement, Monsieur Jovenel Moïse a été relativement victime d’un désordre récurrent, reprise d’un scrutin assorti du refus d’organiser la prestation de serment IMMEDIATEMENT, le même jour de la validation, soit le 3 janvier 2017. Désolé ! Mais que les politiciens conçoivent dorénavant qu’on ne corrige pas un désordre par un désordre.
La Constitution revêt un caractère rigide et irréductible. Le respect scrupuleux de la loi fondamentale de la nation a primauté sur nos intérêts personnels, aussi raisonnables et vraisemblables puissent être nos prétentions.
* Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Fort-Liberté
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