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Une centaine de personnalités exige que le Canada retire son soutien à "une dictature répressive et corrompue" en Haïti

Par Bianca Mugyenyi*

Tribune reprise par AlterPresse le 20 février 2021 [1]

Le gouvernement canadien doit mettre fin à l’appui qu’il donne à un président haïtien répressif, corrompu et dépourvu de légitimité constitutionnelle. Au cours des deux dernières années, les Haïtiens ont manifesté une opposition irréductible à Jovenel Moïse dans le cadre de manifestations massives et de grèves générales exigeant qu’il soit démis de ses fonctions.

Depuis le 7 février, Jovenel Moïse occupe le palais présidentiel de Port-au-Prince à l’encontre des articles 134.2 et 134.3 de la Constitution et 239 de la loi électorale reconnus par l’écrasante majorité des institutions du pays. La demande de Moïse de prolonger d’une année son mandat a été rejetée par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la Fédération des Barreaux d’Haïti et d’autres institutions constitutionnelles. L’opposition avait nommé un juge de la Cour de cassation pour qu’il dirige un gouvernement intérimaire après l’expiration de son mandat, mais Moïse a illégalement fait arrêter l’un des juges de la Cour de cassation et en a destitué trois autres. De plus, la police a occupé la Cour de cassation et a réprimé les manifestants, tirant sur deux reporters qui couvraient les manifestations. Les juges du pays ont lancé une grève illimitée pour forcer Moïse à respecter la Constitution.

Depuis janvier 2020, Moïse gouverne par décret. Après l’expiration des mandats de la plupart des membres du gouvernement parce qu’il n’a pas tenu des élections, Moïse a annoncé le projet de réécrire la Constitution. Des élections justes sont impossibles sous la direction de Moïse parce qu’il a récemment fait pression sur l’ensemble du conseil électoral pour que les membres de celui-ci démissionnent, et qu’il a ensuite nommé unilatéralement de nouveaux membres.

La légitimité de Moïse a toujours été faible, et il a recueilli moins de 600 000 voix dans un pays de 11 millions d’habitants. À partir de l’éclatement des manifestations massives contre la corruption et contre le Fonds monétaire international (FMI) de la mi-2018, Moïse n’a pas cessé d’accroître la répression. Un récent décret présidentiel a criminalisé les personnes qui dressent des barricades de protestation, considérant ce geste comme du « terrorisme », tandis qu’un autre décret a créé une nouvelle agence de renseignement ayant des agents anonymes autorisés à infiltrer et à arrêter toute personne considérée comme se livrant à des actes « subversifs » ou menaçant la « sécurité de l’État ». L’ONU a confirmé, dans le cadre d’un des pires cas documentés, la culpabilité du gouvernement haïtien dans le massacre d’au moins 71 civils dans le quartier pauvre de La Saline, à Port-au-Prince, survenu à la mi-novembre 2018.

Toutes ces informations sont à la disposition des autorités canadiennes, mais celles-ci continuent de financer et de former une force de police qui a violemment réprimé les manifestations organisées contre Moïse. L’ambassadeur du Canada en Haïti a assisté à plusieurs reprises à des cérémonies de la police tout en refusant de critiquer les actes de répression contre les manifestants commis par celle-ci. Le 18 janvier, l’ambassadeur Stuart Savage a rencontré le controversé nouveau chef de police Léon Charles pour discuter du « renforcement des capacités de la police ».

Les représentants du Canada de l’influent « Core Group », composé des ambassadeurs des États-Unis, de la France, de l’OEA, de l’ONU et de l’Espagne, à Port-au-Prince, ont offert à Moïse un important appui diplomatique. Le 12 février, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Marc Garneau, s’est entretenu avec le ministre des Affaires étrangères de facto d’Haïti. La déclaration sur la réunion a annoncé des programmes mixtes d’Haïti et du Canada d’accueillir une conférence prochaine. La déclaration ne mentionnait cependant pas le fait que Moïse avait prolongé son mandat et limogé illégalement des juges de la Cour de cassation, qu’il gouverne par décrets ou qu’il criminalise les manifestations.

Il est temps que le gouvernement canadien arrête d’appuyer une dictature répressive et corrompue en Haïti.

* Directrice, Institut canadien de politique étrangère. Ce texte est appuyé par une centaine d’artistes, de militants et d’universitaires, d’ici et d’ailleurs, dont Noam Chomsky, Naomi Klein, Roger Waters, Svend Robinson, Will Prosper et Alain Deneault.


[1Source : https://www.ledevoir.com/ - quotidien canadien