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Politiques migratoires en Amérique Latine entre 2010 et 2020, et choix du Brésil comme pays de destination par les migrantes et migrants d’Haïti

Soumis à AlterPresse le 14 décembre 2020

Par Pierre Rigaud Dubuisson [1]

Ils sont estimés à des dizaines de milliers, le nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens éparpillés en Amérique du Sud. Environ 85,000 se trouvent au Brésil.

Derrière ce phénomène, il y a des résolutions et lois prises par des gouvernements de certains pays, qui ont, forcément, des incidences sur le choix de destination des migrantes et migrants haïtiens.

Une maison détruite dans le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. Crédit Photo : Inured

Contexte global de la migration haïtienne en Amérique Latine

Depuis la fin des années 2000, l’Amérique du Sud est devenue un nouveau pôle d’attraction pour la migration haïtienne.

Cette migration s’est intensifiée après le tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010, qui a frappé Haïti. Ainsi, sont-ils estimés à des dizaines de milliers, le nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens, éparpillés en Amérique du Sud.

Ce phénomène exige qu’on analyse certaines résolutions et lois, prises par les gouvernements du Brésil, de l’Équateur, du Pérou et du Panama, qui ont su accélérer ou ralentir le flux des migrantes et migrants haïtiens au Brésil.

Résolutions prises par le gouvernement du Brésil

La migration haïtienne au Brésil s’est intensifiée suite au tremblement de terre de 2010, qui a provoqué une crise généralisée dans le pays. Cependant, la présence de troupes brésiliennes en Haïti [2], depuis 2004, aurait déjà contribué à propager l’idée du Brésil comme pays d’opportunités.

Certains auteurs ont lié l’intensification de cette migration à certaines décisions de politiques publiques, prises par le gouvernement brésilien.

Il s’agit de la Résolution Recommandée No. 06/08 du Conseil national de l’Immigration (CNIg) de mars 2011, qui permet l’octroi, pour des raisons humanitaires, de résidence permanente aux Haïtiennes et Haïtiens, qui sont au Brésil ; la Résolution Normative No. 97, publiée le 13 janvier 2012, qui décide d’octroyer annuellement 1,200 visas aux Haïtiennes et Haïtiens, et la Résolution Normative 102/2013, publiée le 29 avril 2013, qui révoque la limite de 1,200 visas annuels.

Depuis, le nombre de migrantes et migrants haïtiens vivant au Brésil ne cesse point d’accroître : des estimations de 2016 y relatives font état d’environ 50,000 (selon les données du Ministère de la Justice brésilien) et de 85,000 (suivant les données de l’Ambassade d’Haïti au Brésil).

Donc, associées au séisme de 2010, ces décisions du gouvernement fédéral brésilien avaient fait du Brésil la destination privilégiée de la migration haïtienne en Amérique Latine.

En outre, la migration haïtienne au Brésil est également liée aux politiques migratoires de certains pays de transit, comme l’Équateur, le Pérou et le Panama.

Lois prises par le gouvernement de l’Équateur

Quoique les flux migratoires haïtiens vers l’Équateur aient augmenté dès 2010, c’est la disposition - émise par le président Rafael Correa, dans la Constitution du 20 juin 2008, de ne pas exiger de visa aux citoyennes et citoyens de n’importe quelle nationalité, pour entrer au pays et y rester jusqu’à 90 jours -, qui est à l’origine de la croissance du phénomène migratoire haïtien en Équateur.

Cependant, ce n’est qu’en 2013 que la migration haïtienne commence à être vue, en Équateur, comme un phénomène digne de considération : environ 5,000 entrées des migrantes et migrants haïtiens enregistrées au cours de cette année, contre 298 lors des premières arrivées en 2001 et 1681 en 2010.

Comme pays de transit, qui n’a pas fait trop d’exigences pour l’entrée des citoyennes et citoyens étrangers sur son territoire, l’Équateur a, conséquemment, facilité l’entrée de migrantes et migrants haïtiens au Brésil. Mais, tel n’a pas été le cas, ni pour le Pérou, ni pour le Panama, deux autres pays de transit très exploités par les migrantes et migrants haïtiens.

Lois prises par le gouvernement du Pérou

Avant 2012, le Pérou n’exigeait pas de visas aux Haïtiennes et Haïtiens, qui désiraient le visiter. Ce pays constituait, donc, un atout majeur pour les migrantes et migrants haïtiens, voulant entrer au Brésil via la frontière Iñapari à Madre de Dios.

Entre 2010 et le 26 mars 2013, on a enregistré 16,856 entrées et sorties de citoyennes et citoyens haïtiens à destination et en provenance du territoire péruvien.

Cependant, le 10 janvier 2012, le gouvernement péruvien a établi le « visa temporaire à titre de touriste » comme condition aux Haïtiennes et Haïtiens pour leur entrée sur le territoire. Alors, avec cette décision, il allait y avoir une diminution des entrées et sorties des Haïtiennes et Haïtiens sur le territoire péruvien : 908 en 2012 et 32 pendant les trois premiers mois de 2013.

Ce qui, forcément, a ralenti le flux de migrantes et migrants haïtiens à destination du Brésil, transitant par le Pérou.

Lois prises par le gouvernement du Panama

Le Panama est un point très important pour les migrantes et migrants haïtiens, qui transitent soit vers le Nord pour se rendre aux États-Unis d’Amérique, soit vers le Sud pour se rendre au Brésil, en passant par l’Équateur. En 2010, en termes de rentrée de « passagères et passagers » antillais sur le territoire panaméen, Haïti était classé 3e avec 4,788 « passagères et passagers ». En 2016, le nombre de « passagers » haïtiens rentrés au Panama était 2213

Par ailleurs, le 24 juin 2020, le gouvernement du Panama a publié le décret exécutif no 451, relatif à la création de la sous-catégorie de visas de touristes en transit, dans la catégorie migratoire des non-résidentes et non-résidents, aux étrangères et étrangers de nationalité haïtienne en transit au Panama, qui exige, entre autres, aux Haïtiennes et Haïtiens, une adresse dans le pays de destination et une lettre d’invitation, venant d’une personne dans le pays de destination.

À cet effet, le lundi 09 novembre 2020, le titulaire du Ministère haïtien des Affaires étrangères et des cultes (Maec), Dr Claude Joseph s’est entretenu, par visioconférence, avec son homologue du Panama, Dr Alejandro Ferrer. Les discussions ont porté sur les difficultés, auxquelles font face certaines citoyennes et certains citoyens haïtiens, vivant en Amérique du Sud et transitant par le Panama.

Bien qu’il n’existe pas assez de données récentes, pouvant nous permettre d’établir clairement toutes les conséquences de cette décision, il y a, toutefois, certaines migrantes et certains migrants haïtiens, ayant acheté leurs billets d’avion, bien avant même la publication de ce décret, qui se sont plaints, à travers des commentaires, via la page Facebook officielle du titulaire du Ministère haïtien des Affaires étrangères, sur le fait qu’ils vont perdre leurs billets si rien n’est fait.

Dans cette lignée, il faut s’attendre à ce que les exigences, faites pour avoir accès à ce visa de transit, ouvrent de nouvelles routes aux migrantes et migrants haïtiens pour rallier l’Amérique du Sud et particulièrement le Brésil.

En résumé, le flux migratoire haïtien vers le Brésil est fortement lié aux différentes lois et résolutions, prises par les gouvernements de certains pays. Ces lois et résolutions ont donc des impacts sur le choix du Brésil comme pays de destination, car si le Brésil et l’Équateur permettent l’intensification de cette migration, le Pérou et le Panama, par contre, contribuent à son ralentissement.


[1Assistant de Recherche, Centre de recherche sur la migration pour le développement et l’égalité (Mideq, https://www.mideq.org/fr/) et Institut interuniversitaire de recherche et de développement (Inured, http://www.inured.org/).

[2Le Brésil avait les commandes des troupes Onusiennes de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah).