Par Salvatory R. ST VICTOR*
Soumis à AlterPresse le 5 novembre 2020
C’est confirmé ; la nouvelle est tombée tel un glas sonnant une oraison funèbre et s’est répandue comme une trainée de poudre. Il a rendu l’âme. Après avoir passé plusieurs heures de vie à trépas, à genoux, une balle dans le dos, il a succombé à ses blessures infligées par une arme lourde de long calibre de la Police. Grégory St-Hilaire est tombé sous les balles assassines d’un agent de la garde présidentielle couramment appelée USGPN. Il ne saurait imaginer qu’il aurait pu être abattu dans l’enceinte même de sa faculté, pancarte en main. Il revendiquait une meilleure qualité d’éducation au sein du système éducatif haïtien avec l’intégration bien-sûr de professeurs.es compétents.tes au sein de celui-ci.
Troisième enfant parmi deux frères et deux sœurs, Grégory faisait le bonheur et la fierté de sa maison. Les témoignages de sa mère sont poignants. Normalien supérieur et étudiant en 2ème année des Sciences juridiques, il brisait les unes après les autres, avec l’aide de ses parents, les barrières que l’État érigeait sur son passage. Plus d’un mois après son assassinat, ces derniers sont toujours aux abois, tenant dans une main les promesses fallacieuses du gouvernement, et dans l’autre le cadavre de leur fils encore en proie au froid glacial d’une morgue de la capitale. N’empêche que Grégory a incarné le profil parfait du citoyen modèle et accompli. Brillant enseignant qui a su former plusieurs promotions en dispensant des cours de Sciences sociales dans différents établissements scolaires, il est entré à l’École Normale Supérieure en 2013 après des études secondaires au Lycée Toussaint. Il en est sorti renforcé dans ses convictions qui l’ont poussé à s’engager dans cette lutte incessante pour une société plus juste. Issu de Village de Dieu, il a vu en l’éducation son arme de combat pour défier l’exclusion sociale dont sont victimes ses pairs. Très tôt, il a vite compris le rôle moteur joué par l’État dans les vicissitudes de la vie et a eu l’intelligence de comprendre que sa citoyenneté établissait entre lui et l’État un lien politique, et que celui-ci lui était redevable d’organiser la société en permettant à chacun de s’épanouir et de développer sa libre individualité. Cette conception a été centrale dans sa posture intellectuelle. Elle a nourri son engagement durant toute sa vie, ôtée trop tôt par le bras armé de cet État dont les actions définissent et renforcent au quotidien le malheur de tous les Haïtiens en général mais des plus vulnérables en particulier.
Sa formation universitaire aidant, Grégory a toujours su que la société ne saurait s’en sortir avec cette administration étatique qui a constamment méprisé la population à cause de la colonisation qu’a connue le pays. Il s’était dressé contre cette logique qui préside à notre système de scolarisation qui fait le pont entre les périodes nationale et coloniale permettant ainsi de reproduire les structures sociales inégalitaires telles qu’elles ont toujours été. Ce n’est pas par hasard qu’il avait choisi l’éducation à la fois comme milieu de profession et comme secteur clé de lutte. Le modèle de citoyen qu’il était savait que ce combat qui était sien, ce combat avec lequel il faisait corps était indispensable pour l’amélioration des conditions de vie en Haïti et se sentait responsable de la société du simple fait d’être lettré. C’est pourquoi il a poursuivi des études en sciences juridiques pour pouvoir porter le mot du droit en faveur de celles et ceux qu’il considérait comme des sans-voix, car il était conscient que son rapport au savoir était politique. Grégory savait en fait que dans toute société le rapport au savoir est politique, donc partisan ; et forcément le relèvement de celle-ci exigeait l’élévation du niveau de vie de sa couche la plus laborieuse. D’où son engagement aux côtés des plus faibles ; engagement dans lequel et pour lequel il n’est pas sorti vivant.
Ce qui est certain, c’est que Greg s’était donné une raison pour laquelle il était prêt à mourir : sa conviction. En agonisant, il a peut-être eu une pensée pour Goug qui, lui aussi, a été prostré, les jambes à demi broyées par le véhicule de sa faculté piloté par son doyen, allongé à même le sol devant la barrière de celle-ci, incapable de bouger voyant la mort en face. Il s’est surement dit que c’est là que tout a commencé. Si aujourd’hui des agents de l’USGPN ont eu le culot de lui tirer une balle dans le dos, c’est bien parce que le coup d’envoi a été lancé de l’intérieur de l’université même avec cet acte barbare de Jean Yves Blot qui s’est vu récompensé pour service rendu par les dirigeants de l’université qui n’ont pas hésité à lui octroyer une bourse d’études à l’étranger, alors qu’il gardait encore son poste de doyen à la Faculté d’Ethnologie en toute impunité.
Alors que la vie lui filait entre les doigts, Grégory s’est subitement rappelé, malgré la douleur de sa meurtrissure, que cet espace d’enseignement supérieur -qu’il considérait comme sa seconde maison- n’était pas fait pour lui ; en fait, il n’était pas fait pour celles et ceux sortis de la géhenne de l’enfer que sont les quartiers précarisés appelés encore quartiers de non-droits par les ayant-droits. Et pour la dernière fois de sa vie, Grégory s’est dit que la société telle que bâtie était en train de lui faire payer à travers l’État, à travers le régime PHTK dirigé à cet instant précis par Jovenel Moise, ce geste déplacé, cet outrage que d’avoir réussi son concours d’admission dans deux facultés qui lui ouvrait les portes de la culture et du savoir réservés aux élus dont il ne faisait pas partie.
*Membre de Nou Pap Dòmi