Enquête
Par Marlyne Jean
P-au-P., 08 nov. 2020 [AlterPresse] --- Vivre dans les méandres de la prostitution en Haïti, avec les risques potentiels d’attraper des Infections sexuellement transmissibles (Ist), représente un calvaire, dont les travailleuses du sexe évitent souvent de parler, pour ne pas réveiller les mauvais souvenirs qui les hantent, selon les données recueillies, en octobre 2020, sur le terrain, par l’agence en ligne AlterPresse.
Élevant trois enfants, deux filles et un garçon, Carole (nom d’emprunt), est une cheffe de famille, dans la trentaine.
Elle gagne sa vie, depuis près de 5 ans, comme travailleuse du sexe dans des clubs.
En cherchant à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, elle s’est retrouvée, du jour au lendemain, infectée au Virus de l’immunodéficience humaine/Syndrome immunodéficitaire acquis (Vih/Sida).
A l’agence en ligne AlterPresse, cette travailleuse sexuelle a décidé de se confier, sous couvert d’anonymat.
Dans cette enquête, AlterPresse utilise le nom d’emprunt « Carole ».
A la recherche d’emploi...
Après la mort du père de ses deux premiers enfants, en 2010, Carole a été contrainte, faute d’emploi, d’accepter n’importe quel boulot, pour prendre soin de ses enfants et de sa mère. Une femme très âgée, qui ne peut pas s’occuper d’elle-même.
Et c’est dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, qu’elle finira, un jour, par trouver un emploi... comme serveuse dans un club.
Elle travaillait durant 12 heures de temps par jour : de 5:00 p.m. (22:00 gmt) à 5:00 a.m (10:00 gmt).
Comme tâche, Carole doit porter les clients du club à consommer les produits mis en vente, pour garder son emploi.
Gagner de l’argent sous couvert de professionnelle du sexe
A la nuit tombée, à partir de 11:00 p.m., Carole ainsi que plusieurs autres serveuses travaillent comme professionnelles du sexe.
Les serveuses, qui ne veulent pas pratiquer le commerce du sexe, n’ont d’autre choix que de quitter le club.
Les trois enfants de Carole ne sont, jusqu’ici, pas au courant de son travail.
Elle se contente de leur dire qu’elle travaille simplement dans un restaurant, une façon d’éviter de leur donner de mauvais exemples.
Les serveuses accueillent habituellement leurs clients avec de simples lingeries, dans un espace aménagé pour les circonstances. L’intimité des gens n’est nullement préservée.
« La nuit tombée, on nous donne des matelas pour que nous puissions travailler. Nous travaillons l’une près de l’autre, sans problème. Nous ne nous surveillons pas », explique Carole, une pointe de tristesse dans la voix.
Carole gagne habituellement 250.00 à 500.00 gourdes, pour chaque rapport sexuel tarifé avec un homme. Toutefois, les prix varient selon le niveau de jouissance du client.
Après les ébats, la travailleuse du sexe subit parfois des abus, de la part de clients, qui ne veulent pas payer le prix conclu.
Certains clients réclament même des rapports sexuels non protégés, fait-elle savoir.
« Quand je ne trouve pas assez de clients, celui, qui vient vers moi, m’exige de coucher avec lui sans préservatifs. Je n’ai pas le choix. Je ne peux pas le laisser partir, car je dois nourrir mes enfants et payer leur écolage », justifie-t-elle, sans mesurer les conséquences, que cela pourrait avoir sur sa vie.
Ces rapports sexuels non protégés coûtent entre 1,500.00 à 2,500.00 gourdes par client, précise-t-elle.
Bien souvent, les hommes, qui vous obligent à coucher avec eux, sans préservatifs, connaissent pertinemment leur statut, déplore Carole, devenue une Personne vivant avec le Vih (Pvvih), mais sous traitements (réguliers) Antirétroviraux (Arv).
« Vous vous imaginez coucher avec un homme, sans préservatif, alors qu’il pourrait être malade et ne pas suivre régulièrement son traitement » ?
Les conditions des rapports sexuels tarifés, exigées par le club
En plus de s’exposer au risque d’attraper n’importe quelle maladie, Carole doit donner mensuellement, au responsable du club, un montant de 8,500.00 gourdes, comme paiement pour l’espace qu’elle utilise.
Est-ce que les travailleuses du sexe mesurent les risques encourus, avec des rapports sexuels non protégés ?
Les conditions économiques précaires des travailleuses du sexe les poussent, parfois, sans volonté réelle, à prendre des risques dans le métier et même à avoir des rapports non protégés, dans le club.
Les Travailleuses du sexe (Ts) ou Professionnelles du sexe (Ps) figurent parmi les groupes les plus à risque de contracter le Vih/Sida.
Sur un taux de prévalence nationale de 2%, concernant les personnes contaminées par le Vih/Sida, les travailleuses du sexe accusent, à elles seules, un taux de 8.7%, selon le rapport 2016-2017 de l’Enquête mortalité, morbidité et utilisation des services (Emmus VI).
Désespoir de Carole
Après une série de symptômes de fièvre persistante, de malaise et d’amaigrissement, Carole décide de se rendre dans un centre hospitalier, pour faire un test de grossesse.
Elle était convaincue être tombée enceinte de son troisième enfant.
Au centre hospitalier, les prestataires de soins lui ont recommandé de faire un test de dépistage du Vih/Sida.
C’est là que tout va basculer.
Le test effectué, Carole apprend qu’elle est à la fois infectée par le Vih, tout en étant enceinte, d’un client du club, où elle offre ses services de travailleuse du sexe.
Le père du bébé en gestation est un client, qu’elle n’est pas arrivée, jusqu’à date, à identifier.
« J’avais envie de mourir, voire de me suicider. Je ne me sentais pas bien. Je croyais que tout était fini pour moi. J’avais perdu tout espoir », témoigne, à AlterPresse, Carole, très émue.
Accompagnement d’un centre hospitalier à Carole
Un centre hospitalier l’a alors accompagnée, en lui inculquant toutes les mesures à respecter.
Peu à peu, elle a repris espoir et goût à la vie.
Aujourd’hui, malgré son statut de séropositive, Carole considère qu’elle se porte plutôt bien.
Elle affirme suivre correctement ses traitements Antirétroviraux.
« Je prends régulièrement mes médicaments Antirétroviraux (Arv). Je respecte scrupuleusement les rendez-vous à l’hôpital. Je suis en pleine forme ! », se réjouit Carole, soulignant combien la prise de son traitement régulier a permis à son troisième enfant de naître en bonne santé, sans avoir contracté le Vih/Sida.
Malgré son statut de séropositive, Carole continue de travailler dans le club, comme travailleuse du sexe, mais en utilisant des préservatifs.
Le combat et l’engagement de Carole contre le Vih/Sida
D’une voix apaisante et avec une humeur enchanteresse, Carole explique à AlterPresse comment elle a su transformer son calvaire en combat, afin d’aider les autres à traverser, dans leur vie, cette impasse combien difficile.
Carole raconte comment elle stimule les jeunes à faire le test de dépistage et à utiliser les préservatifs, à chaque rapport sexuel.
La travailleuse du sexe a reçu une formation, comme paire éducatrice, pour encourager les gens à pour se protéger contre le Vih/Sida.
« Mes actions de sensibilisation ont déjà convaincu plusieurs travailleuses du sexe à se faire dépister, dont l’une s’est révélée positive », fait-elle savoir.
Carole indique avoir réussi à convaincre 12 clients du club à se faire dépister, dont seulement trois n’ont pas été infectés par le Vih/Sida.
Parmi ces clients, figurent des hommes, qui sont en couple avec des femmes, qui ne sont pas au courant de leurs activités de débauche, signale Carole.
« Le test de dépistage permet de contrôler notre état de santé », évoque-t-elle, auprès de celles et de ceux qu’elle sensibilise.
« Je fais ce travail de sensibilisation, parce que je ne voudrais pas que mes enfants se retrouvent, demain, dans ma situation de Pvvih. Si on n’arrive pas à freiner la maladie, elle continuera à s’étendre ».
Carole souhaite aussi conduire une campagne de sensibilisation, auprès des responsables des clubs, pour interdire aux clients de réclamer des rapports sexuels non protégés aux travailleuses du sexe.
« Nombreux sont les clients, qui ne veulent pas porter de préservatifs », avoue-t-elle.
« Que le test soit révélé négatif ou positif, il faut prendre des précautions. Avec un statut de séropositif, il faut se protéger beaucoup plus contre d’autres infections sexuellement transmissibles ».
Les recommandations du Mspp aux Pvvih
Interrogé par AlterPresse, le docteur Kesner François, responsable du service de prise en charge au Programme national de lutte contre le Sida (Pnls), au Ministère de la santé publique et de la population (Mspp), conseille aux Personnes vivant avec le Vih/Sida de suivre régulièrement leurs traitements.
Le principe de suivre régulièrement les traitements Antirétroviraux peut permettre aux Personnes vivant avec le Vih/Sida d’être moins exposées à un virus résistant, lors d’une relation sexuelle avec une personne infectée.
Les personnes, qui ne respectent pas les consignes de traitements antirétroviraux, tendent à développer une résistance face aux médicaments, du fait qu’elles ne les prennent pas régulièrement, précise Dr. François.
La charge virale (quantité de virus dans le sang) d’une personne séropositive devient indétectable, si celle-ci suit régulièrement le traitement antirétroviral.
Une fois indétectable, la personne infectée ne peut pas transmettre le virus, même dans les rapports sexuels non protégés, rappelle le Dr. Kesner François du Pnls au Mspp. [mj emb rc apr 08/11/2020 14:50]