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Haïti : Le syndicalisme militant face à la répression étatique

Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (Rehmonco)

Soumis à AlterPresse le 7 octobre 2020

Historiquement, l’État capitaliste se porte garant de l’exploitation et de la dépossession des travailleuses et travailleurs du fruit de leur travail, au profit des patrons. Mais, ce processus ne se fait pas de manière identique, dans toutes les sociétés. Le niveau d’acuité de l’exploitation et de la dépossession varie d’une société à une autre.

Dans le cas de la société haïtienne, ce processus semble arriver à une nouvelle dimension, depuis les dix dernières années. L’État s’acharne contre les travailleuses et travailleurs, et leurs syndicats, dans les différentes branches de l’économie. Pour garantir le profit des patrons, il mobilise tout son appareil répressif pour les réduire au silence. L’objectif consiste à permettre au patronat d’accumuler des profits, pendant que l’État s’assure que règne un silence de cimetière.

Depuis la réouverture des classes, le 3 août 2020, après la levée des mesures officielles de confinement, les syndicats des travailleuses et travailleurs du milieu scolaire revendiquent de meilleures conditions de travail et le paiement de plusieurs mois d’arriérés de traitements.

La réponse de l’État ne se fait pas attendre. Les syndicalistes sont traquées et traqués de toutes parts. Les membres, dirigeantes et dirigeants, sont arbitrairement renvoyés ou contraints à travailler dans des districts scolaires, éloignés de leurs lieux de résidence. D’autres sont à la fois poursuivies et poursuivis par la « justice » et menacés de mort par les gangs criminels, à la solde du pouvoir et de l’oligarchie.

C’est le cas, par exemple, des syndicalistes Josué Mérilien, coordonnateur de l’Union nationale des normaliennes et normaliens haïtiens (Unnoh), Rose Magalie Georges de la Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (Cneh) et Georges Wilbert Franck de l’Union nationale des normaliennes et normaliens, éducatrices et éducateurs d’Haïti (Unnoeh). Même les manifestations des élèves, réclamant de meilleures conditions d’apprentissage, sont sauvagement réprimées par des forces spécialisées de la police. Le lâche assassinat de l’étudiant Grégory Saint-Hilaire, vendredi soir 2 octobre 2020, au sein même de l’École normale supérieure (Ens) de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), est encore la preuve de l’ensauvagement du pouvoir.

Par ailleurs, les travailleuses et travailleurs des usines de textile sont non seulement soumis à la plus brutale répression policière et à des attaques des gangs fédérés, mais elles/ils sont également assujetties/ assujettis à un double mécanisme de dépossession et d’exploitation.

D’une part, leurs salaires ne sont pas ajustés à l’inflation galopante, entraînant une perte de près de 50% de leur pouvoir d’achat, au cours des 10 dernières années.

D’autre part, les patrons prélèvent des frais d’assurance, à hauteur de 3% de leurs salaires, depuis plusieurs années, alors que ces travailleuses et travailleurs ne jouissent véritablement d’aucune couverture d’assurance.

Dans les faits, les patrons gardent, sans scrupules, l’argent prélevé du salaire des ouvrières et ouvriers, au lieu de le verser à la compagnie d’assurance. Ainsi, les ouvrières et ouvriers sont-ils nombreux à se voir refuser tout accès aux soins médicaux. Un vol inqualifiable, surtout dans une branche d’activité, où persiste un salaire de misère !

Le cas de Sandra René, dernière victime en date de l’escroquerie du patronat, est éloquent. Elle a travaillé, pendant près d’une décennie, à Palm Apparel S.A., une usine de fabrication de T-shirts pour la marque américaine Guildan en Haïti. Chaque quinzaine, son patron a prélevé des frais d’assurance de son salaire. Enceinte de 6 mois, Sandra René est morte, suite au refus des hôpitaux de la soigner, parce que son patron n’avait pas véritablement transféré les cotisations, prélevées de son salaire, à l’assureur. L’État haïtien rend possible cette injustice abjecte et se sert de tout son appareil répressif, pour faciliter l’exploitation de la main-d’œuvre par les capitalistes locaux et internationaux.

Ce processus d’exploitation et de dépossession des travailleuses et travailleurs n’est pas une spécificité de l’État haïtien ; il constitue une caractéristique des États capitalistes, en général. Les bourgeois ont la protection de l’État, pour sucer le sang des travailleuses et travailleurs. Dans le cas d’Haïti, il met en branle sa police et ses « gangs fédérés » pour réprimer toutes formes de revendications des travailleuses et travailleurs.

Cette répression ne s’effectue pas uniquement sur les lieux du travail, elle s’étend également dans les quartiers, où habitent les travailleuses et travailleurs et leurs familles. Là, elle prend la forme la plus brutale. À l’instar d’un film d’horreur, les femmes, les enfants et les vieillards sont déchiquetés sous la mitraille des armes automatiques des gangs fédérés. De surcroit, le viol collectif contre les femmes se transforme en politique d’État.

Pour garantir l’exploitation de la main-d’œuvre, les États capitalistes des pays du centre soutiennent à bout de bras l’État haïtien. Au cours des trois dernières années, les États-Unis d’Amérique ont doublé le budget, alloué aux forces répressives en Haïti. Le Canada et l’Union européenne ont agi dans le même sens. L’intervention de la Banque interaméricaine de développement (Bid) est encore plus significative, puisqu’elle a consacré quarante millions de dollars en appui aux quartiers, qui sont contrôlés par les gangs fédérés.

Ce soutien des États capitalistes du centre à l’oligarchie et à l’État haïtiens s’étend également au maintien des structures de gouvernance. L’ambassade américaine et le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh) interviennent directement dans la préparation du conseil électoral et l’élaboration d’une nouvelle Constitution, qui serait plus adaptée aux besoins d’exploitation et de pillage des ressources du pays. Cela rappelle les années d’occupation américaine (1915-1934), au cours de laquelle l’occupant, à travers son chargé de mission Franklin Delano Roosevelt, rédigea une Constitution pour Haïti, qui répondait mieux à ses intérêts politiques et économiques.

À l’ère de l’impérialisme, l’alliance des capitalistes, pour perpétuer l’exploitation des travailleuses et travailleurs, n’est plus à démontrer. Elle transcende les barrières géographiques.

En conséquence, l’émancipation des travailleuses haïtiennes et travailleurs haïtiens ne constitue pas un enjeu local et isolé. Cette lutte contre les capitalistes en Haïti mérite d’être articulée, tant à la construction du leadership des travailleurs des autres pays des Caraïbes que des pays du centre.

De ce fait, nous soutenons la construction d’un leadership commun des travailleuses haïtiennes et travailleurs haïtiens, en articulation tant avec la lutte des travailleuses et travailleurs se trouvant à la périphérie qu’au cœur de l’économie capitaliste.

Face au capitalisme mondialisé, mondialisons la lutte !

Pour authentification,

Renel Exentus, Ricardo Gustave

Montréal, le 8 septembre 2020