Par Joà« l Lorquet
Soumis à AlterPresse le 1er juin 2005
Depuis le 22 avril dernier se tient au Parque Independencia dans la capitale de la République Dominicaine une exposition itinérante de photos grand format présentant des réalités de différents pays, régions et continents du monde. Les 140 photos exposées reflètent la variété des milieux naturels et des expressions de la vie aussi bien que l’empreinte de l’homme et son incidence dans le milieu ambiant. Oeuvre du photographe français Yann Arthus-Bertrand, ces photos aériennes sont présentées sur le thème : « La Terre vue du Ciel » (La Tierra Vista desde el Cielo).
L’Ambassadeur de France en République Dominicaine, M. Jean Claude Moyret, qui rappelle que la France est fermement engagée dans le combat pour la protection de notre terre qui traverse une crise très grave comme en témoignent les changements climatiques en cours et prévisibles qui affecteront l’île caraïbe, indique « qu’en circulant sur les cinq continents, cette magnifique exposition constamment enrichie de nouvelles images et qui inclut maintenant des photographies de la République Dominicaine, s’inscrit donc dans un processus de réaction mondiale à la dégradation de l’environnement. Elle s’adresse à la sensibilité et à la conscience de tous les publics, de toutes les générations et en particulier les jeunes qui auront bientôt à assumer le destin de notre planète ».
Voyager autour du monde en quelques minutes via la photographie
Dans la plupart des photos, les aspects positifs sont surtout privilégiés et à côte de quelques rares exceptions, rien de dérangeant n’est vraiment mis en exergue pour le visiteur. Les prises de vues offrent, entre autres, des images de Bora Bora (Polynésie française), du Mont Everest (Himalaya, Népal), de l’Inde qui est symbolisée par un abattoir en plein air à New Delhi et des tapis multicolores fabriqués en coton à Japur (Rajasthan). Des milliers de flamants roses égayent le décor du Kenya (Lac Nakuru) ; on y montre également des vacanciers se baignant au Lagon bleu en Islande (Cerca de Grindavik) alors que la beauté de la paysannerie de Bali en Indonésie se fait envier. Ceux qui n’ont pas eu la chance de visiter l’Italie seront émus devant la beauté de Venise tandis que le Pérou est symbolisé par la très jolie Cordillère des Andes.
Pour vendre la douce France, le photographe offre au passant, la possibilité de découvrir les sédiments marins des Bouches-du-rhône, le Château de Vaux-le-Vicomte (Maincy, Seine-et-Marne) sans oublier, évidement, le Château de Versailles qui est présenté dans toute sa splendeur un jour de beau coucher de soleil (à Yvelines). Cependant, les images des ghettos de Paris et d’autres villes de France ne sont pas du tout mentionnées ; quel contraste !
Les 17 photos choisies par l’artiste pour présenter la République Dominicaine font état, par exemple, de la Marina (à la Romana), du Parc national Los Haiteses, de la Fortaleza Ozama (Torre del homenaje), du Jardin Botanique national, du Palais national, de la Montagne de la Cordillère septentrionale (évidemment très boisée, contrairement aux montagnes dénudées choisies pour présenter Haïti). Quand à la ville de Santo Domingo, elle est saluée par une superbe vue de la Place de l’Indépendance démontrant une capitale moderne surplombée d’imposants gratte-ciels.
Pour le photographe français, Yann Arthus-Bertrand, Haïti se résume au bidonville de Cité Soleil
Cependant, à côté des quelques images décrites ci-dessus, une photo dérange réellement. C’est que pour présenter Haïti, le photographe Yann Arthus-Bertrand et les organisateurs de l’exposition ont sélectionné une vue aérienne du bidonville de Cité Soleil ! Cette photo qui, visiblement, choque est accompagnée des commentaires suivants pour favoriser la compréhension, susciter la réflexion ou faire plus d’impact sur le visiteur : « Port-au-Prince, une zone d’une extrême pauvreté. Port-au-Prince, capitale de la République d’Haïti est une agglomération intense de 2.500.000 habitants remplie de couleurs et avec de fortes traditions locales. Cependant, une grande pauvreté et le manque de conditions sanitaires confèrent à beaucoup de zones un aspect déprimant et les rivières d’eau noire serpentent entre les chaussées. La ville est en décadence à cause de la situation économique et politique... ».
Par leurs hochements de tête, leur attitude de dédain ou simplement leur mépris ouvertement démontrés, il était facile de se faire une idée du comportement des nombreux visiteurs dominicains face à cette image.
Des réactions à chaud
Nul n’ignore qu’Haïti, comme tous les pays sous-développés, fait face à des situations difficiles, cependant, est-ce une raison d’ignorer les facettes positives de ce pays, s’interrogent les observateurs ? Si la République Dominicaine est présentée à travers 18 photos, pourquoi les organisateurs n’ont-ils pas pris la peine d’exposer également des images de la Citadelle Laferrière classée patrimoine mondiale par l’UNESCO, des belles plages de la partie occidentale de l’Ile d’Hispaniola comme Labadie, de la Foret des Pins, de la ville de Jacmel où des villages modernes comme Belle-Ville, Les Collines, etc.? La réalité haïtienne se limite-t-elle uniquement à Cité Soleil ? Haïti n’est pas le seul pays confronté au phénomène des bidonvilles, d’autant plus qu’en République Dominicaine il existe également des zones marginales où il est très difficile même pour la police d’y pénétrer. Pourquoi les organisateurs de l’exposition n’ont-ils pas présenté également les fameuses « favelas » du Brésil ? L’on se rappellera également qu’au cœur de Manhattan, dans le Harlem, des enfants sont mangés par des rats...
Interrogés sur la signification de la photo représentant Haïti à cette exposition, la majorité des visiteurs étrangers semblent ne pas vouloir acheter, les yeux fermés, cette nouvelle publicité négative à l’endroit d’Haïti tandis que les Haïtiens se sentent indignés :
Pascale Roumer une Haïtienne qui réside à Santo Domingo depuis environ un an, déclare : « c’est vraiment humiliant, dégradant ». Selon elle, « les Dominicains font tout leur possible pour montrer ce qui n’est pas bon d’Haïti tandis que les Français de leur côté veulent démontrer que les Haïtiens ne peuvent pas faire avancer leur pays tous seuls après avoir subi leur colonisation contrairement à la Martinique et la Guadeloupe » ; avis partagé également par M. Tardieu.
Angel Soto, un citoyen dominicain, « ne se représente pas ainsi Haïti et pense que la pauvreté existe partout, tout comme en République Dominicaine ».
Junior dont le père a visité Haïti à plusieurs reprises, se demande pourquoi on n’a pas montré les vues des villas des riches situées dans les hauteurs d’Haïti notamment à Thomassin, Fermathe, Kenscoff, etc.
Carlo Alberto Ramirez de la Province Indépendante La Descubierta réalise qu’il y a un manque d’organisation en Haïti mais, il sait que le pays n’est pas ainsi car il a eu la chance de visiter la Forêt des pins et Fonds Verrettes. Il note toutefois que certaines zones d’Haïti (...) sont abandonnées et connaissent beaucoup le déboisement car il n’y a aucune surveillance. Cependant, il ne croit pas qu’il y a discrimination du fait de l’exhibition de la photo.
Ingrid Costal, pour sa part, affirme « qu’il existe des quartiers pauvres similaires en République Dominicaine, cependant elle ne sait pas pourquoi les organisateurs de l’exposition n’ont pas jugé bon de les présenter ».
Clary, une citoyenne haïtienne rencontrée également sur les lieux, note « que notre pays apparaît le plus laid parmi toutes les photos présentées dans cette exposition ». Elle affirme « qu’elle se sent très mal, car c’est humiliant, face à ceux-là qui n’ont jamais mis le pied en Haïti ».
Henry, un touriste polonais qui a visité Haïti par le passé précise que « c’est quelque chose de dramatique » mais, il pense que « les organisateurs de l’exposition cherchent à montrer des choses étranges pour susciter la réflexion ».
Deux autres photos captées à partir d’un hélicoptère sont encore présentées cependant, cela ne change rien puisqu’elles évoquent encore des aspects négatifs notamment les montagnes déboisées de la région frontalière d’Haïti avec la République Dominicaine (d’une extension de plus de 300 kilomètres) et un lopin de terre agricole où se pratique l’agriculture avec des techniques archaïques notamment « les carreaux ». Même pour présenter le marché public délabré de La Puljos, on relie sa situation lamentable aux Haïtiens.
Dénoncer l’inaction des autorités haïtiennes
Ce n’est sûrement pas de la faute des Dominicains manifestant des sentiments racistes à l’endroit des Haïtiens, quand on sait que jusqu’ici aucune initiative d’envergure n’a été initiée, en vue de projeter une meilleure image d’Haïti à l’étranger, notamment chez les voisins Dominicains.
D’aucuns pensent que le gouvernement haïtien (le Ministère du Tourisme, celui de la Culture et de la Communication, le Ministère des Affaires Etrangères et l’Ambassade d’Haïti à Santo Domingo) devrait donner la réplique en organisant au même endroit une exposition similaire, mais objective et équilibrée, en vue de montrer aux spectateurs Dominicains et étrangers « Les Vrais visages d’Haïti ».
Cette grande exposition à l’air libre, accessible à tous, intitulée « La Terre vue du Ciel » est organisée, à l’initiative de l’Ambassade de France à Santo Domingo, de concert avec plusieurs organismes publics et privés dominicains. Elle a déjà été présentée dans 80 villes du monde, à l’appréciation de plusieurs millions de spectateurs dont deux millions à Paris seulement ! Elle s’achèvera le 25 juin prochain.
Joà« l Lorquet,
SantoDomingo
Joellorquet@yahoo.com