Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (Rehmonco)
Soumis à AlterPresse le 11 août 2020
Depuis plusieurs semaines, les organismes de défense des droits humains et d’autres associations de la société civile attirent l’attention sur le processus de création d’une fédération des gangs armés dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et dans certaines villes du pays. Ils y voient une stratégie du pouvoir du Parti haïtien tèt kale (Phtk) de contrôler totalement les élections à venir et de se perpétuer ainsi au pouvoir. En effet, si l’existence des gangs armés criminels fait partie de notre quotidien depuis plusieurs décennies, l’initiative de leur fédération semble toutefois nouvelle. En général, ils sont dispersés et s’affrontent entre eux pour le contrôle de territoires.
Par ailleurs, la bourgeoisie, dans ses différentes fractions, et les officiels de l’État se servent régulièrement du service de ces groupes criminels pour maintenir un climat de terreur dans les quartiers pauvres des grandes villes du pays. Loin d’être un enjeu conjoncturel, ce choix relève d’une stratégie politique de l’État néocolonial en Haïti. L’État haïtien n’est plus en mesure de diriger, sans l’aide des groupes criminels qui sèment la terreur dans les quartiers populeux des principales villes du pays. Dépourvu de toute légitimité, le pouvoir a recours ouvertement à la terreur pour soumettre les classes opprimées.
La propagande autour de la démocratie ne parvient plus à faire dormir les classes exploitées. En effet, l’expérience de la démocratie bourgeoise n’a fait qu’exacerber l’exclusion économique des classes laborieuses, de la paysannerie, des habitantes et habitants des quartiers populaires. On a vu cette démocratie à l’œuvre au cours de l’occupation américaine (1915-1934) et pendant toute la période avant et après Duvalier, quand les masses furent systématiquement exploitées et les rébellions paysannes furent radicalement décimées, mais jamais disparues.
Toutefois, aujourd’hui, la lutte continue, et elle se radicalise dans la mesure où elle ne se limite pas à demander des réformes. Elle revendique le renversement total du statu quo. Ces revendications, qui se manifestaient avec la plus grande clarté, lors des émeutes de 2018-2019, ont fait trembler l’oligarchie mafieuse et ses représentants au pouvoir. Elles mettent également à nu le soutien des puissances impérialistes au statu quo dans le pays.
Objectivement, la prolifération des gangs armés constitue l’unique réponse de la bourgeoisie et du pouvoir à la crise. Cette stratégie s’inscrit dans l’objectif, non seulement de casser la mobilisation populaire, mais aussi d’empêcher que le mouvement atteigne l’ensemble des quartiers pauvres des différentes villes du pays.
Avec l’appui de l’institution policière, les gangs armés ont perpétré les massacres les plus abominables contre les résidentes et résidents pauvres des bidonvilles. Ils n’hésitent devant rien, dans leur travail de destruction de la vie et d’avilissement de la personne humaine. Les enfants, les vieillards, les jeunes sont décapités, parfois torturés jusqu’à la mort, à coups de barre de fer, de pierres, lorsque les gangs ne se contentent pas de les trouer de balles ou de les brûler vifs. En plus de la mort violente, les femmes font l’objet également de viols collectifs à répétition.
Par cette barbarie innommable, les tenants de l’oligarchie locale, avec l’appui de leur tuteurs internationaux, cherchent à frapper l’imaginaire des masses haïtiennes, dans l’objectif de créer une psychose de peur au quotidien. Ils veulent enfermer les classes laborieuses et la paysannerie dans l’anomie, en vue de neutraliser tout mouvement de contestation contre l’ordre social en Haïti.
Par ailleurs, cette initiative de fédérer les gangs témoigne d’une autre réalité : l’incertitude de la bourgeoisie locale et des grandes firmes multinationales à poursuivre l’exploitation à outrance des ouvrières et ouvriers dans la branche de la sous-traitance. Les cadres formels de répression de l’État néocolonial, dont la police, ne suffisent plus à maintenir la paix de cimetière. Le recours aux gangs, voire aux « gangs fédérés », répond à un problème structurel du maintien du capitalisme dépendant en Haïti. Il ne se limite pas seulement à l’agenda électoral du régime Phtk.
Car, les oligarchies locales, sous l’égide des puissances impérialistes, n’ont plus de légitimité à diriger le pays dans le cadre formel de la démocratie bourgeoise. Comme leurs programmes économiques et politiques sont de plus en plus contestés et injustifiés, la répression, les tueries de masses, par les gangs, deviennent, de jour en jour, le seul moyen de maintenir le statu quo.
Cette situation n’est pas un phénomène propre à la crise du capitalisme dépendant en Haïti. Elle fait partie d’une crise plus profonde à l’échelle mondiale. La montée des régimes à tendance fasciste en Amérique et dans plusieurs pays européens révèle le malaise des 1% des plus riches de continuer à maintenir le système d’exploitation capitaliste. Avant l’éclosion de la pandémie du nouveau coronavirus, le mouvement insurrectionnel des masses populaires dans les pays du Sud rejetait cet ordre social oligarchique.
Dans le cas d’Haïti, la classe dominante, avec l’appui de ses tuteurs internationaux, fait tout son possible pour annihiler le processus de construction du leadership des travailleuses et travailleurs et des quartiers populaires. La « fédération des gangs armés » constitue sa dernière carte.
Ce n’est pas un hasard si les puissances impérialistes soutiennent la mise en œuvre de ce nouveau mécanisme d’oppression et de répression. Sans la moindre retenue diplomatique, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh) a applaudi le choix de la Banque interaméricaine de développement (Bid) d’allouer 40 millions de dollars américains pour le développement des projets sociaux dans les territoires strictement contrôlés par les gangs.
Cette situation nous montre clairement qu’il devient de plus en plus évident que l’avenir de notre pays dépend de l’organisation des classes populaires. Malgré les difficultés d’une telle initiative, difficultés aggravées aujourd’hui par la terreur des gangs, c’est le seul moyen pour faire avancer la lutte du peuple, et, par-delà, de construire l’avenir de notre pays. Pour nous, il est évident que la classe politique traditionnelle doit être exclue de cette lutte, y compris les partis réformistes de tout acabit, qui prônent la réconciliation et le changement uniquement par les élections. C’est au prix de cette lutte radicale contre l’ordre néocolonial que nous pouvons jeter les bases d’une nouvelle société sous le leadership des travailleuses et travailleurs.
Pour authentification,
Renel Exentus,
Ricardo Gustave
Montréal, le 10 août 2020
Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com