Actualisation : 30 juillet 2020, 21:25
P-au-P, 30 juill. 2020 [AlterPresse] --- Une conjonction de plusieurs facteurs, comme l’attitude jugée arrogante du président Jovenel Moïse, les problèmes internes au sein de l’institution électorale et les pressions sans cesse renouvelées des secteurs de l’opposition politique à l’endroit du pouvoir, entre autres, semblerait être à l’origine de la démission en bloc des 8 membres restants du Conseil électoral provisoire (Cep), selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.
Ces derniers temps, Jovenel Moïse, pressé par le temps, tend à marteler une détermination d’organiser des élections municipales, législatives et présidentielle en Haïti, en dépit des avis contraires exprimés par l’opposition politique.
Le contexte actuel, marqué par une recrudescence des actes de banditisme et de criminalité, ne s’y prête pas, selon des forces vives du pays.
Lors d’une adresse à la nation, le 18 mai 2020, Jovenel Moïse a réitéré son appel à la réalisation des prochaines élections, tout en invitant ses adversaires politiques à passer uniquement par les joutes électorales pour prendre le pouvoir.
Jovenel Moïse a même chargé son titulaire du Ministère des affaires étrangères (Mae) de chercher formellement de l’aide technique, auprès de l’Organisation des États américains (Oea), pour l’organisation d’élections qu’il dit souhaiter « honnêtes, crédibles et démocratiques ».
Une correspondance a été aussi adressée au Conseil électoral provisoire (Cep), pour lui demander de travailler sur le projet de loi électorale, préalablement envoyé au parlement avant son dysfonctionnement, à partir du lundi 13 janvier 2020, et de le transformer en « avant-projet de décret électoral ».
Quid des problèmes internes au Cep ?
Des discussions ont été aussitôt engagées entre les conseillères et conseillers électoraux sur cette correspondance présidentielle, avait confié au journal « Le Nouvelliste » un membre du Cep, sous couvert de l’anonymat.
Le Cep devrait envoyer, au milieu du mois de juin 2020, l’« avant-projet de décret électoral » au président, avait aussi annoncé ladite source au quotidien de la rue du Centre.
Cette demande présidentielle aurait apparemment suscité des controverses au sein de l’institution électorale.
Le document intitulé « avant-projet de décret électoral », a été transmis par les membres restants du Cep à l’Exécutif, en même temps que leur démission, « suite aux réflexions et aux délibérations institutionnelles », selon la lettre de couverture, signée de l’ex-président du Cep, Léopold Berlanger.
Dans cette correspondance adressée au directeur de cabinet de Jovenel Moïse, Nahomme Dorvil, Berlanger précise que « le Conseil s’est penché sur quelques modifications, jugées souhaitables, qui traitent essentiellement d’une mise en cohérence du document en matière de logistique électorale ».
Mais l’ex-secrétaire générale, Marie Frantz Joachim, s’est démarquée de cette démarche, à travers une note rendue publique le 26 juillet, dans laquelle elle déclare que l’ « avant-projet de décret électoral », transmis par le Cep à l’exécutif, « ne m’engage pas ».
« Dès le 24 juin 2020, par lettre acheminée aux membres du Conseil, je leur ai fait part de mon retrait des séances de travail sur la révision du projet de loi électorale de 2018, transformé aujourd’hui en « avant-projet de décret électoral », a-t-elle rappelé.
Marie Frantz Joachim a aussi affirmé avoir explicité son désaccord sur la démarche, produit des observations sur la forme et le fond du document, ainsi que des recommandations pour assurer son applicabilité, en regard de la Constitution, et parfaire sa qualité technique, dans un mémoire déposé le 8 juillet 2020 au Conseil électoral provisoire.
En pleine période de délibérations sur le cadre légal électoral, Jean Simon Saint-Hubert, représentant des droits humains, avait déjà démissionné, le vendredi 3 juillet 2020, du conseil d’administration de l’institution électorale, dans un contexte de gangstérisation d’Haïti.
Trois semaines plus tard, c’était la démission en bloc, le vendredi 24 juillet 2020, des huit membres restants. Cette décision du Cep, nommé en 2016, a pris son plein effet le lundi 27 juillet 2020.
Maladresse apparente de l’exécutif
Quelle que soit la période de réalisation des élections, personne ne pourrait prendre le pouvoir entre les mains du Parti haïtien tèt kale (Phtk), avait déclaré, d’un air arrogant, Jovenel Moïse, quelques jours avant le retrait du Cep, soit le dimanche 19 juillet 2020, à Port-au-Prince, dans le cadre d’un « dialogue communautaire ».
Le 22 juillet 2020, la présidence avait adressé des correspondances aux 9 secteurs, qui avaient délégué, en 2016, des représentantes et représentants au sein du Cep, pour les inviter à confirmer le maintien de leurs représentantes et représentants respectifs, ou bien d’en designer d’autres au niveau de cette institution électorale.
Une démarche réprouvée par des mouvements de femmes, qui dans « ce contexte de tous les dangers », ont dénoncé, le 23 juillet, les velléités de vassalisation des institutions de l’État, et du Cep en particulier. « La démarche pressante du Président, envers chaque secteur séparément, relève clairement d’une inacceptable volonté de mainmise. Face à ce constat, il revient aux membres du Cep d’assumer leurs responsabilités patriotiques », avaient-elles déclaré.
Mandat de Jovenel Moïse et pressions de l’opposition
Alors que la démission de Jovenel Moïse est vivement réclamée depuis plusieurs années par diverses organisations politiques de l’opposition, le retrait des membres du Cep a aussi été souhaité par quelques secteurs.
La question du mandat de Jovenel Moïse a également été agité dans ce contexte. Jovenel Moïse avait affirmé qu’il n’entendait laisser le pouvoir qu’à la date du 7 février 2022, au lieu du 7 février 2021, comme l’exigent diverses organisations, notamment politiques et de droits humains.
Un dossier épineux, sur lequel le Cep n’avait pas écarté de donner son avis « technique et juridique » s’il en avait été saisi, selon ce qu’avait rapporté le Nouvelliste le 17 juin, citant « un contact » au sein de l’institution.
A la suite des déclarations excessives de Jovenel Moïse sur la question électorale, différents partis, regroupements politiques et personnalités se sont engagés à trouver un accord commun pour le remplacer à la présidence d’Haïti, en vue de freiner ses dérives.
Dans une prise de position le 26 juillet, ils ont relevé « le refus délibéré du président de créer les conditions pour que le Cep pût organiser des élections, en 2018, en vue de remplacer le premier tiers du sénat, et, en octobre-décembre 2019, pour renouveler la chambre des députés, le deuxième tiers du sénat et les organes des collectivités territoriales ».
Cette attitude visait, selon ces secteurs, à créer « volontairement un vide institutionnel pour lui permettre (à Jovenel Moïse) de s’accaparer tout le pouvoir et diriger sans partage le territoire national. Ce qui est symptomatique de sa mégalomanie et de son mépris des règles du jeu démocratique ».
Ces partis, regroupements politiques et personnalités ont noté « avec le plus grand intérêt » la démission en bloc des membres du Cep. Ils ont salué cette « décision inattendue » et appelé tous les secteurs de la vie nationale à empêcher la mise en place d’un Cep croupion « aux ordres d’un président aux abois ». [emb rc apr 30/07/2020 14:10]