P-au-P, 28 juill. 2020 [AlterPresse] --- Il faut promouvoir une véritable politique d’autosuffisance alimentaire en Haiti, à partir des enseignements tirés de la pandémie de Covid-19 (le nouveau coronavirus) liée à la crise sanitaire, recommande le principal responsable de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), l’ingénieur-agronome Harmel Cazeau.
Cazeau intervenait, le jeudi 23 juillet 2020, à un webinaire, dont des extraits sonores ont été diffusés, le lundi 27 juillet 2020, à l’émission FwoteLide sur AlterRadio 106.1 F.m.
La Cnsa plaide en faveur d’une récupération des emplois perdus, du développement de nouveaux pôles d’emplois, des services publics de proximité à travers le territoire national, du renforcement des capacités à travers des programmes de recherches, d’innovation et de vulgarisation.
Elle appelle aussi à rendre disponibles des données et des indicateurs bien analysés, qui permettront de faire une bonne articulation entre l’urgence et le développement, entre autres.
La pandémie de Covid-19 a accentué les problèmes d’insécurité alimentaire. Des entreprises ont été obligées de fermer leurs portes à l’échelle mondiale, y compris en Haïti.
Les transferts d’argent de la diaspora devraient baisser de 20% dans l’Amérique latine et dans les Caraïbes, selon la Banque mondiale.
Il y a eu les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement au niveau mondial, qui ont causé l’augmentation des prix des denrées alimentaires en Haïti.
Pour faire face aux problèmes d’insécurité alimentaire dans le contexte de Covid-19, un ensemble de politiques de redressement devraient être envisagées.
La Cnsa cite, entre autres, une politique de rééquilibrage macroéconomique pour freiner la hausse des prix des produits alimentaires de base, une politique d’accompagnement des petites et moyennes entreprises (Pme), qui sont totalement asphyxiées après les chocs successifs, dus à la paralysie des activités durant les périodes de troubles et à l’arrivée de la pandémie de Covid-19.
Durant la période de 2018 à 2020, la situation économique n’a pas cessé de se détériorer.
Sur les 12 derniers mois, le prix du panier alimentaire de référence a augmenté de 25%. Plus spécifiquement le prix du riz a augmenté de 34%, souligne la Cnsa.
En termes de sécurité alimentaire en Haïti, il y a 4,1 millions de personnes qui se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, dont 1,2 million est en situation d’urgence alimentaire.
Il y a deux types d’insécurité alimentaire : l’insécurité alimentaire aiguë, qui, temporaire, est due à des chocs, et l’insécurité alimentaire chronique, qui est surtout d’ordre structurel, explique la Cnsa.
Différents facteurs permettraient de faire face aux problèmes structurels, comme l’accès aux aliments et leur disponibilité.
La Coordination nationale de la sécurité alimentaire considère la disponibilité des aliments comme un facteur mineur, en raison du déclin de la production agricole et de l’augmentation de la dépendance de l’importation, malgré le potentiel agricole du pays.
De plus, il existe une mauvaise utilisation de la nourriture, sans oublier les problèmes liés à l’accès à l’eau et aux services de base concernant la nutrition et la santé, à l’érosion des sols et à la perte de la biodiversité, entre autres.
Plusieurs stratégies pourraient alors être mises en œuvre, suivant quatre axes d’une politique publique déjà élaborée par le gouvernement du 4 mars 2020,
Il s’agit de la « politique nationale de souveraineté et de sécurité nationale et de nutrition de manière multisectorielle ».
Il conviendrait de « rebalancer la dominance des politiques favorisant le commerce international, en faveur des politiques visant à atteindre la souveraineté à travers la sécurité alimentaire et nutritionnelle ».
Selon cette politique, il faudrait aussi s’appuyer sur l’agriculture familiale et l’agro-industrie comme secteurs moteurs de la relance de l’économie haïtienne.
Cette politique publique ambitionnerait également d’investir dans les filières sociales, de faciliter l’accès aux services de base nécessaires à la sécurité nutritionnelle et de renforcer les capacités nationales, en termes de ressources humaines nécessaires à la bonne mise en œuvre de ses différents programmes.
Nécessité d’une concertation entre les actrices et acteurs
« L’une des choses les plus importantes, c’est la concertation. Si les actrices et acteurs pouvaient se mettre ensemble, par filières, pour discuter des mesures à être prises rapidement, sans nécessité d’argent, nous pourrions trouver des solutions », pense le docteur Michel Chancy de la Fédération nationale des productrices et producteurs de lait (Fenaprola), lors de son intervention au webinaire du 23 juillet 2020, dont des extraits sonores ont été aussi diffusés, le lundi 27 juillet 2020, à l’émission FwoteLide sur AlterRadio 106.1 F.m.
Des actrices et acteurs, comme la Banque de la république d’Haïti (Brh = Banque centrale) sont très intéressés dans la production agricole. Les universités, le ministère de l’agriculture ainsi que d’autres regroupements et d’autres organisations de productrices et de producteurs, la coopération internationale devraient s’inscrire dans cette démarche, visant à l’institutionnalisation du dialogue.
« Il y a beaucoup de filières, qui pourraient être, pour nous, des opportunités. Les chiffres indiquent que les prix des produits importés augmentent plus rapidement que les productions locales », relève Chancy.
Certains produits essentiels dans l’agriculture devraient bénéficier automatiquement de franchises douanières. Il faudrait aussi renforcer le contrôle sanitaire sur les produits importés, qui contribuent dans l’affaiblissement de la production nationale, suggère-t-il.
« Les productrices et producteurs de lait payent 15% de droits de douane sur les bouteilles de verre et 10% de droits de douane sur les capsules, alors que nous paierons seulement 5% de droits de douane sur les bouteilles de lait déjà préparé », déplore Michel Chancy.
Docteur Michel Chancy espère également qu’il y aurait une alliance entre les actrices et acteurs au niveau de la commercialisation et des transformations des produits...
« Haïti produit 50% des denrées alimentaires. Cependant, la bataille contre le riz est perdue. La production de la viande, notamment de bœufs, est totalement locale. La production du riz peut être remplacée par des tubercules, les patates, les bananes », dit-il.
L’insécurité alimentaire en Haïti est, avant tout, une question d’argent. La production ne rapporte pas aux productrices et producteurs. L’augmentation des revenus des productrices et producteurs serait l’un des moyens pour faire face à l’insécurité alimentaire.
La majorité de la production agricole haïtienne est naturelle, parce qu’il n’y a pas une forte utilisation d’engrais, ni de nourriture concentrée pour les animaux.
Quoi qu’il en soit, la production agricole haïtienne ne peut pas être classifiée comme étant une production bio. La production bio requiert un ensemble de dispositions très strictes, notamment l’eau pour la consommation pour les animaux et pour l’arrosage des terres, explique Dr. Michel Chancy.
« Pour augmenter la production agricole nationale et avoir des rendements plus importants, nous devrions nous tourner vers d’autres mécanismes, qui nécessiteraient l’utilisation d’engrais », soutient, pour sa part, l’ingénieur-agronome Phillipe Matthieu, président de la Société de consultation et d’appui dénommée « Agroconsult » et ancien titulaire (16 mars 2004 - 9 juin 2006) du Ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (Marndr).
« Nous devons être réalistes, en cherchant des solutions plus naturelles, qui pourraient nous permettre de résoudre les problèmes avec les moyens dont nous disposons », affirme Philippe Matthieu. [mj emb rc apr 28/07/2020 12:10]