Lettre ouverte du collectif NouPapDòmi à Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’Organisation des Nations unies, en date du 22 juillet 2020
Document soumis à AlterPresse
Monsieur Antonio GUTERRES
Secrétaire Général de l’Organisation des Nations unies
En ses bureaux. -
Objet : Préoccupations face aux actions du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti
Monsieur le Secrétaire Général,
Le collectif de citoyen.ne.s engagé.e.s NOUPAPDÒMI vous présente ses compliments et saisit l’occasion pour attirer votre attention sur ses grandes préoccupations face aux actions du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh).
Monsieur le Secrétaire Général, l’ensemble des missions des Nations Unies en Haïti a toujours eu pour objectif ultime d’instaurer et de maintenir la paix et la stabilité en Haïti. La mission du Binuh créé par la résolution 2476 (2019) du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’est guère différente. Conformément à ladite résolution, l’une des principales tâches du Binuh est de « conseiller le Gouvernement haïtien sur les moyens de promouvoir et de renforcer la stabilité politique et la bonne gouvernance, y compris l’état de droit, de préserver et de favoriser un environnement pacifique et stable ».
Notre collectif partage l’objectif susmentionné dans le cadre de la mission du Binuh et comprend que pour y arriver, des moyens et des stratégies doivent être mis en branle. Cependant, les déclarations de Madame Helen Meagher LA LIME, Représentante spéciale du Secrétaire Général au Binuh, par lesquelles elle incite à entamer le processus de réforme constitutionnelle, mettent à mal l’objectif imposé par la résolution 2476 (2919). Ce plaidoyer de Madame LA LIME en faveur d’une réforme constitutionnelle dans le contexte actuel contrevient manifestement à l’objectif déclaré du Binuh de renforcer l’état de droit en Haïti.
Monsieur le Secrétaire Général, s’il est vrai que la majorité des acteurs politiques et les experts en droit constitutionnel s’accordent sur la nécessité de modifier la Constitution du 29 mars 1987, un tel projet doit être réalisé de manière à promouvoir et renforcer la stabilité politique, la bonne gouvernance, l’instauration d’un État de droit, la création et la préservation d’un environnement pacifique et stable. Or, force est de constater que Madame LA LIME, invite ouvertement à outrepasser les dispositions constitutionnelles relatives aux amendements de la Constitution. Effectivement, aucune des conditions posées par la Constitution en vue d’une réforme constitutionnelle n’est réunie, et ne le peut être actuellement, le pays ne disposant pas pour l’instant d’un parlement fonctionnel qui constitue l’un des piliers fondamentaux de notre système de démocratie représentative. Ce constat est d’autant plus vrai pour un changement total de Constitution, qui ne saurait être un coup de force d’un parti politique au pouvoir appuyé par les Nations Unies.
Ces déclarations de votre Représentante font fi des multiples crises que traverse le pays actuellement, ainsi que des intenses mouvements de protestation contre le Gouvernement en place. Les revendications fondamentales au cœur de ces mouvements de protestation sont sans équivoque :
- La démission du Président de la République impliqué dans des scandales de corruption, ainsi que dans la violation répétée de la constitution
- La mise sur place d’une transition de rupture pour : 1) redresser les institutions, 2) juger les responsables des actes de corruption, 3) favoriser un climat sécuritaire propice à des élections libres, inclusives, et démocratiques.
En réduisant les revendications de la population et les propositions des acteurs clés de la crise que traverse Haïti à une simple expression de « mobilisations contre Jovenel Moïse », Madame LA LIME n’a pas tenu compte des conditions nécessaires pour entamer ce type de réforme tel qu’exprimé par les organisations de la société civile. Sans contre-pouvoir, sans l’aval de la société civile, sans l’implication de la classe politique haïtienne, avec un Président décrié, dans un climat d’insécurité, la recommandation du Binuh peut être assimilée à une imposition dans la lignée des décrets adoptés unilatéralement et inconstitutionnellement par le Président de la République.
Il est inconcevable de réaliser une réforme constitutionnelle sous fond de crise politique sous prétexte de vouloir résoudre des problèmes. En recommandant cette réforme dans la conjoncture actuelle, le Binuh se fait le porte-voix du gouvernement actuel, outrepasse son mandat et écarte la position des autres parties prenantes. De plus, il veut imposer un agenda au peuple haïtien sans son consentement et sans aucune base légale. Le Binuh n’est pas un organe d’exécution de la politique gouvernementale.
Monsieur le Secrétaire Général, une telle situation est inquiétante et inacceptable. Sachant que les déclarations de votre Représentante en Haïti sont loin d’être conformes aux objectifs poursuivis par le Binuh, nous signataires de cette lettre, cherchons légitimement à obtenir des réponses des Nations Unies sur les dépassements de Madame LA LIME et exigeons qu’elle soit remplacée par un représentant impartial qui saura tenir compte des revendications de la population haïtienne.
Pour Noupapdòmi,
Vélina Élysée Charlier
Salvatory R. St-Victor
Pascale Solages