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Haiti : " Caricature d’un pouvoir populiste "

Par Jacques-Michel Gourgues [1]

Le docteur Jacques Michel Gourgue signe ce 26 mai à Port-au-Prince, dans le cadre de la foire « Livres en Folie », son ouvrage intitulé « Caricature d’un pouvoir populiste » [2], où il tente d’analyser le rôle de la dérision dans la contestation de l’ancien régime lavalas. AlterPresse publie des extraits de l’introduction de l’ouvrage.

« ...Dans cet ouvrage, j’essaierai de montrer comment le rire, l’humour, bref la dérision peuvent être des formes de résistance, de contestation du pouvoir en place. La dérision sera d’abord une simple plaisanterie qu’on se partage innocemment. Et au fur et à mesure que les individus commencent à se rendre compte de la dérive totalitaire du pouvoir, elle prend une forme de plus en plus cinglante, devenant une fronde pour ressembler à une impossible révolte ! En s’internationalisant par l’utilisation du Net, la dérision connaît une plus grande dimension qui la rend encore plus anonyme et insaissisable. En passant cette sphère, elle augmente la communauté des rieurs sans frontières et, par ce biais, sa relation avec l’inconscient, plus précisément avec l’inconscient collectif se démultiplie. Elle sera illustrée par l’exemple togolais décrit si bien Tomi Coulabor (1992) qui nous fait voir avec d’autres collègues comment les sociétés prennent leur revanche sur les pouvoirs dictatoriaux en se servant de ce « mode populaire d’action politique ».

Je présenterai les deux modèles théoriques qui supportent mon analyse des matériaux glanés ici et là en écoutant les personnes, les stations de radio de la capitale haïtienne. J’ai campé l’approche de Carl Jung sur l’inconscient collectif et l’archétype de l’ombre, en particulier. Ses réflexions allant plus loin que celles de Freud m’ont permis de mieux comprendre les processus psychiques chez les individus. Et celles de Lloyd deMause m’ont aidé à approfondir la conception de Jung et à donner la perpective nécessaire pour mettre en exergue la chronique d’une disparition annoncée, celle d’Aristide et de son groupe politique Lavalas.

Je tenterai, au moyen d’exemples divers, d’illustrer comment les Haïtiens ont utilisé différentes tactiques pour contrer le pouvoir Lavalas, le jeter à bas et liquider son leader, Aristide. Je dégagerai ainsi le sens généré par l’analyse de ces exemples pour montrer ce qui se passe dans l’inconscient collectif avec son corollaire, l’ombre. Je ferai ressortir aussi avec l’aide de deMause les fantaisies de groupes - le côté sombre du moi personnel et collectif - qui visent entre autres la mise à mort du leader. Ces fantaisies de groupe sont caractérisées par les émotions, les désirs des individus formant une nation, une communauté, fantaisies qui se matérialisent à travers les actions ou les comportements d’une personne ou d’un groupe de personnes. Elles circulent par le biais de messages subliminaux enfouis dans l’inconscient collectif et s’expriment dans des traanses sociales.

Le thème des mots en jeu dans la dérision du pouvoir Lavalas et de son leader, Jean-Bertrand Aristide mérite qu’on lui consacre des efforts pour comprendre comment les émotions, les désirs des individus peuvent prendre corps dans la vie d’une nation. Certains voient dans le grand rire des groupes sociaux subordonnés aux dépens des autorités en place qu’un simple échappatoire renfermant du scepticisme et pouvant emmener à la torpeur et à l’abandon. Par contre, pour moi, il représente une recherche d’ordre psychologique concernant un domaine semblant marginal pour les sciences sociales et possède une valeur qu’il est impossible d’estimer au prime abord. Qu’il me soit permis de rappeler le caractère succulent des mots en jeu qui se renouvellent au fil de l’actualité de la vie nationale. Dès qu’une dernière histoire drôle commence à circuler, elle fait l’effet d’un événement important et intéressant et se passe sur toutes les lèvres : on dirait l’annonce d’une victoire de l’équipe de football du Brésil. »


[1Né à Pétionville (Haïti), le 1er. Janvier 1956, Jacques-Michel GOURGUES, l’auteur, est détenteur du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.) en Sciences de l’Education, option administration de l’Education de l’Université de Montréal. Il enseigne dans les institutions privées d’enseignement supérieur et a enseigné à l’Institut national de Gestion et des Hautes Etudes internationales (INAGHEI) de l’Université d’Etat d’Haïti. Fonctionnaire de carrière, il fournit aussi ses services comme consultant indépendant auprès d’institutions nationales et internationales

[2Publié aux Presses Nationales d’Haïti, Essai 2005