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Haïti/Covid-19 : La commune de Gros-Morne au temps du Coronavirus

Aucune résonance de l’état d’urgence sanitaire

Par Edner Fils Décime

Gros-Morne (Haïti), 27 mai 2020 [AlterPresse] --- L’ensemble des mécanismes et dispositifs de l’état d’urgence sanitaire, pris par l’administration Moïse-Jouthe, semble ne pas toucher les citoyennes et citoyens hors de Port-au-Prince, notamment dans la commune de Gros-Morne, dans l’Artibonite (Nord), observe l’agence en ligne AlterPresse.

Il est vendredi. C’est jour de marché dans la commune. Au bas de la ville, le marché grouille de monde et étend sa superficie jusqu’en zone résidentielle de la rue du centre.

Vendeuses et vendeurs, acheteuses et acheteurs mènent leurs opérations habituelles. Bousculades, palabres, rencontres, tout se déroule comme d’habitude. Quelques rares personnes masquées troublent le paysage.

La fameuse distanciation sociale, répétée dans les différents spots de sensibilisation du Ministère de la santé publique et de la population (Mspp) et autres institutions, n’existe pas. Triste contraste, à l’entrée est du marché, le récepteur d’un taxi-moto, branché sur une radio locale, diffuse justement un message de sensibilisation.

« Je suis obligé de sortir dans les rues pour travailler. Je n’ai pas de masque. J’utilise un mouchoir. Les autorités ne nous donnent pas de masque. Toutefois, j’écoute toujours les radios qui passent des messages sur le corona et surtout quand je suis en attente d’un client près du marché », explique Ricardo Etienne, jeune chauffeur de taxi-moto.

La commune de la mangue « Francisque » (franc-sucre à Gros-Morne) vit sa chaude vie. Insolite. Celles et ceux, qui se protègent à l’aide d’un masque, sont l’objet de moqueries.

« Dans la rue, les gens te regardent comme si tu venais d’une autre planète. Ça gène un peu. Mais le plus triste c’est quand ils te sortent des expressions comme quoi tu porterais ‘une couche-culotte sur le visage’, ou des questions du genre : ‘est-ce que ce serait pour cacher ta mauvaise haleine’ », se plaint cette enseignante, frisant la cinquantaine.

Si certaines personnes comprennent pourquoi il faut porter le masque, comment il protège du Covid19, d’autres, parmi les rares usagères et usagers, le portent, juste parce que quelqu’un leur en a fait don.

« Comme je ne vais pas très loin, quand je sors dans la rue, mon cache-nez ne se salit pas. Je peux le porter deux ou trois fois, avant de le laver. Je n’ai pas intérêt à l’abimer. Il te faut quand même 250.00 gourdes (Ndlr : US $ 1.00 = 111.00 gourdes ; 1 euro = 126.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.10 gourdes aujourd’hui) pour t’en procurer trois », explique Minouche Bernard, tout étonnée d’apprendre qu’il faut laver le masque, après chaque utilisation.

Le lavage des mains est plus connu des habitantes et habitants rencontrés. Cependant, les mouvements spécifiques ne sont pas réellement maîtrisés.

Des messages sont, certes, diffusés, dans les radios locales, sur les gestes barrières. Certains groupes de jeunes tentent la sensibilisation par des graffitis sur les murs. D’autres utilisent les « sound truck » comme la « Génération pour le Changement Global ».

JenerasyonZa (Génération de l’Art) utilise surtout les réseaux sociaux, notamment facebook.

Les gens savent que le Covid19 est présent en Haïti, mais il n’y a pas vraiment une éducation à la protection contre le virus.

« Il faut dépasser le stade de slogan : lavez les mains, portez des masques, restez chez vous. Il faut éduquer la population sur le pourquoi se protéger et comment le virus se transmet-il et tous les risques », croit Wanshel Regné, journaliste et directeur général de Radio Polprompt.

« Ma radio fait de son mieux. Plusieurs de nos programmes sont consacrés au Covid-19. Nous tentons de faire l’éducation de la population. Sensibiliser sur le Covid-19 ne peut pas se réduire à des slogans et à connaître le nom du virus », ajoute-t-il.

La Plateforme communale des organisations communautaires de base de Gros-Morne (Pocb), grâce à un support du projet Toujou pi fò ansanm, cofinancé par l’Union européenne (Ue), a établi un centre d’appels-sensibilisation. Des citoyennes et citoyens ont reçu des appels téléphoniques, par lesquels ils ont été sensibilisés sur la pandémie de Covid-19.

Le constat est triste. La pandémie ne semble pas inquiéter les Gros-Mornaises et Gros-Mornais, comme ce jeune, déclarant « Nous n’avons pas à nous faire de souci. Gros-Morne n’est jamais cité dans la liste des communes enregistrant des cas confirmés. On ne s’est inquiété qu’une seule fois. Seulement, quand il y avait une rumeur, concernant 8 personnes avec une forte fièvre, dans les locaux d’une institution internationale. »

Plusieurs habitantes et habitants ont témoigné avoir présenté ou présentent encore les symptômes du Covid-19 : fièvre, perte du goût et de l’odorat, grosse fatigue.

Mais, pour elles et pour eux, c’est juste une épidémie habituelle. De bonnes doses de tisane d’Artemisia (armoise) ou d’autres plantes les « ont remis debout », disent-ils.

La ville de Gros-Morne ne dispose que d’un hôpital et de quelques centres de santé ou dispensaires, ne pouvant prodiguer aucun soin relatif au Covid-19.

Au 27 mai 2020, Haïti compte 1,174 cas confirmés, dont 1,119 actifs, 22 guéris et 33 décès. Le département de l’Artibonite dénombre 84 cas, répartis sur 11 des 17 communes.

Gros-Morne est en pleine période de récolte de sa mangue Franc-sucre, sa principale ressource. La commune semble ne pas s’inquiéter.

Entre-temps, un bras de fer prend corps entre le maire principal et un groupe de jeunes sur quel symbole placer à l’entrée à l’entrée de la ville : l’ancienne croix, pour rappeler que la faucheuse guette chaque Gros-Mornaise et Gros-Mornais, qui ne respectent pas les gestes barrières, ou la mangue franc-sucre pour espérer de meilleurs lendemains après avoir passé le cap du Covid-19. [fd gp apr 27/05/2020 13:00]