Résumé : A l’heure de la pandémie de Covid-19 (le nouveau coronavirus), cet article propose une présentation de l’accessibilité des services sociaux de base en Haïti. Il se focalise sur des points clés, comme l’eau, l’assainissement, le logement et l’énergie électrique. Il présente également des éléments importants de la situation économique de la population haïtienne. Eu égard à l’importance du système sanitaire, dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, une présentation particulière lui est accordée. Un (1) mois après la déclaration (le jeudi 19 mars 2020) de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, on constate un faible niveau d’applicabilité des mesures, annoncées par le gouvernement. Aussi, devien-il nécessaire de les questionner. En somme, cet article se veut une présentation critique de ces mesures, notamment celles qui portent sur le confinement, la distanciation physique et la limitation de déplacement des citoyennes et citoyens. Mots clés : confinement, distanciation physique, services sociaux, système sanitaire, énergie électrique.
Par Mardochée Gédéon et Joe Hendle Léandre *
Soumis à AlterPresse le 28 avril 2020
1. Introduction
L’épidémie de Covid-19 sévit dans le monde d’une façon alarmante.
Le 19 mars 2020, les autorités haïtiennes ont annoncé la confirmation de deux (2) cas d’infection au nouveau coronavirus sur le territoire national.
Cette nouvelle réalité a intégré Haïti, malheureusement, dans la longue liste des pays, touchés par cette pandémie.
Dans le but de limiter sa propagation, les premiers pays, ayant contracté le nouveau coronavirus, considèrent le confinement et la distanciation physique comme étant les meilleures solutions, dans l’attente d’un vaccin.
De son côté, le gouvernement haïtien a décidé d’adopter ces mêmes mesures, à travers un arrêté présidentiel, daté du 20 mars 2020, dans lequel il déclare l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour une période d’un (1) mois.
On y retrouve six (6) mesures principales.
La première porte sur la fermeture de certaines institutions, dont les universités, les écoles, les parcs industriels et aussi celle des frontières et des aéroports internationaux.
La deuxième concerne des dispositions, visant à fournir aux hôpitaux des fournitures médicales nécessaires et appropriées, pour lutter contre le nouveau coronavirus.
La troisième se centre sur la mise à disposition, pour l’État, des services d’isolement des hôpitaux et des cliniques privés.
La quatrième parle du confinement et de la limitation de déplacements.
La cinquième vise la mise en quarantaine de personnes, provenant de zones à risque, pour une période de quatorze (14) jours.
Et la dernière concerne la réquisition éventuelle des biens et structures privés, par l’État, afin de secourir la population.
L’état d’urgence sanitaire représente un ensemble de mesures exceptionnelles, dans un contexte bien spécifique. Il permet à l’État de prendre des dispositions, susceptibles de protéger la population contre toutes menaces de catastrophe sanitaire, à l’image d’une épidémie ou, dans le cas actuel, d’une pandémie.
Ainsi, pour assurer la protection maximale de toutes et de tous, l’État pourrait-il utiliser toutes les ressources et les moyens disponibles et nécessaires.
C’est dans cette optique que l’État haïtien a publié l’arrêté, en date du 20 mars 2020, déclarant l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire national.
Dès lors, on devrait s’attendre à ce que les autorités mettent en place des stratégies pratiques et des actions d’accompagnement, à l’exécution de ces mesures annoncées.
Cependant, le 20 avfril 2020, un mois après la publication de cet arrêté présidentiel, on constate, malheureusement, la non-exécution de ces mesures.
Certaines de ces dernières n’ont pas pu se concrétiser dans la réalité, notamment les plus urgentes, celle qui porte sur le confinement et la limitation de déplacements, et également celle qui voudrait mettre en quarantaine toutes personnes, provenant de zones à risques, pour une période de quatorze (14) jours ».
En dépit de tout, le lundi 20 avril 2020, le gouvernement a renouvelé, pour un (1) mois supplémentaire (jusqu’au 20 mai 2020), l’état d’urgence sanitaire dans le pays.
De tels déplorables constats continuent à alimenter des débats intenses et contradictoires, sur la capacité de mettre en pratique une partie, voire l’ensemble des mesures, qui ont été annoncées par les dirigeants.
Les questions les plus récurrentes, alimentant ces débats, au sein de la population, sont les suivantes :
Le confinement est-il possible dans le pays ?
Quel est le niveau d’applicabilité de la mesure de distanciation physique, dans les quartiers populaires et très denses du pays, où les logements ne sont séparés que d’un corridor de quelques centimètres ?
Comment l’État, dans cette période de pandémie de Covid-19, va-t-il répondre aux besoins primaires de la grande majorité de la population, qui vit déjà dans des conditions de précarité ?
L’État peut-il mettre réellement en quarantaine des individus, qui vivent dans des zones, qui échappent totalement à son contrôle ?
Dans le but d’apporter des éléments de réponse à ces questions, il nous parait nécessaire de jeter un regard sur la situation du pays, tout en mettant un accent particulier sur celle des villes.
Vu l’importance politique et socioéconomique de l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, nous lui accordons beaucoup plus d’attention.
Alors, notre travail se propose d’analyser, plus précisément, les conditions actuelles de l’accès aux services sociaux de base, qui représente, pour la majorité de la population haïtienne, un luxe.
Pour ce faire, nous nous proposons de procéder à une présentation de la situation économique de la population, d’abord, et un constat sur le système sanitaire, ensuite.
Une analyse des conditions de logement, la problématique de l’accès à l’eau et à l’assainissement, et celle de l’énergie électrique constituent les autres points abordés dans ce texte.
2. La situation économique de la population haïtienne
La pandémie de Covid-19 arrive à un moment, où la situation économique du pays est chaotique.
Le pays est marqué par un taux de chômage très élevé.
Environ 59 % des Haïtiennes et Haïtiens vivent, en 2017, dans la pauvreté, selon un ouvrage, publié par la Banque mondiale sur les villes haïtiennes.
Subsistant sous le seuil de la pauvreté, qui correspond à 2 dollars américains par jour (Ndlr : US $ 1.00 = 105.00 gourdes ; 1 euro = 118.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.10 gourdes aujourd’hui), les Haïtiennes et Haïtiens sont, en effet, plus de 6,2 millions à être incapables de satisfaire leurs besoins de base.
Autrement dit, en considérant le taux actuel de référence (17 avril 2020) de la Banque de la république d’Haïti (Brh ou Banque centrale), qui est de 99.7352 gourdes pour un (1) dollar américain, plus de 6,2 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens vivent avec moins de 199.4704 gourdes par jour.
A souligner également qu’ils sont environ 2,5 millions, ne pouvant pas se nourrir.
En outre, 4,6 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens, dont 970,000 habitantes et habitants dans la capitale, soit environ 40 % de la population, sont dans une insécurité alimentaire aiguë, selon le Plan de réponse humanitaire révisé pour 2020, publié, en février 2020, par « Office for the coordination of humanitarian affairs (Ocha) ».
De ces personnes, 1,2 million est en phase d’urgence. Sans oublier que 134,326 enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition, dont 40,808 de forme sévère.
Ce qui fait d’Haïti le pays le plus pauvre, dans la région Amérique latine et Caraïbes (Lac).
Pour assurer leur survie, dans la quasi absence de l’État, les gens recourent aux diverses stratégies de subsistance, au sein du secteur informel.
Ils sont très nombreux à pratiquer le petit commerce de détail, dominé par les produits agricoles importés et locaux, la restauration aleken, les boissons, les produits manufacturés, les vêtements importés usagés pèpè et neufs, les appareils domestiques, les matériels de transports, etc.
Ces différentes activités ont lieu, non seulement dans les marchés publics, mais aussi dans diverses rues et sur les trottoirs dans différentes villes du pays.
Les commerces de rue jouent un double rôle : d’une part, ils permettent aux petites commerçantes et aux petits commerçants urbains de subsister ; d’autre part, ils favorisent l’approvisionnement, à meilleur prix, des différentes catégories sociales urbaines.
Ces pratiques de survie, dans une grande partie des cas, ont lieu quotidiennement.
Autrement dit, l’absence d’une ou de plusieurs journées de travail aura de lourdes conséquences sur le fonctionnement des ménages urbains.
Dans un pays, où la grande partie de la population dépend, à plus de 80%, du secteur informel, il est presqu’impossible, pour ces gens, de rester chez eux.
Telle est la situation économique du pays, à l’heure de la pandémie de Covid-19.
Quel constat pour les autres secteurs du pays ?
Le secteur sanitaire, qui sera, sans nul doute, le plus sollicité, peut-il faire face à l’épreuve du coronavirus ? Les dirigeants, les médias et certaines personnes de la société civile ne cessent pas de claironner qu’il faut respecter les principes d’hygiène et, surtout, se laver les mains régulièrement. Qu’en est-il de l’accès à l’eau et à l’assainissement dans le pays ?
Où en sommes-nous avec l’énergie électrique ? Cette dernière, qui a été au centre des débats, d’abord avec la déclaration du président de la république, le 17 juin 2017, de rendre l’électricité disponible vingt-quatre (24) heures par jour sur tout le territoire national, dans vingt-quatre (24) mois, et, ensuite, avec les conflits (depuis le mois d’octobre 2019) entre l’État haïtien et l’une des productrices indépendantes d’électricité privée, la Sogener.
3. Le système sanitaire haïtien : un constat déplorable
En se basant sur les données de l’Enquête sur la mortalité, morbidité et l’utilisation des services (Emmus-VI 2016-2017), sur quelques rapports fournis par le Ministère de la santé publique et de la population (Mspp) et l’Organisation panaméricaine de la santé / Organisation mondiale de la santé (Ops/Oms) sur le système sanitaire haïtien, un tableau sombre s’offre à nous.
Le nouveau coronavirus arrive dans le pays, à un moment où la situation sanitaire est très lamentable : une grande carence d’établissements sanitaires. Les rares
établissements sanitaires existants sont, malheureusement, dépourvus de professionnelles et professionnels qualifiés, d’infrastructures, d’équipements et de matériels...
Haïti détient les indices les moins élevés en matière de santé dans la région Lac.
Les données de l’Emmus-VI 2016-2017 indiquent que le taux de mortalité néonatale (décès avant d’atteindre un mois) est de 32 %, tandis que celui de la mortalité infantile est de 59 décès pour 1,000 naissances vivantes.
Cela veut dire qu’un (1) enfant sur dix-sept (17) décède avant d’atteindre son premier anniversaire.
Quant à la mortalité juvénile (décès entre le premier et le cinquième anniversaire), elle est de 24 %.
Cela signifie qu’un (1) enfant sur 42 meurt entre le premier et le cinquième anniversaire.
Une des causes principales, de ce taux élevé de mortalité infanto-juvénile, est l’absence des services de soins prénatals, durant la naissance et postnatals.
En effet, seulement 2/3 des femmes (67 %) ont reçu des soins prénatals (quatre visites au minimum) par un personnel formé. Le rapport de mortalité, liée à la grossesse, est assez élevé : 646 décès maternels pour 100,000 naissances vivantes.
La majorité des accouchements se fait en dehors de tout établissement sanitaire (61%), tandis que seulement 42 % des naissances ont bénéficié d’une assistance, par un personnel formé, durant l’accouchement.
De son côté, le rapport de mortalité maternelle est élevé : 529 décès maternels pour 100,000 naissances vivantes.
Concernant les soins postnatals, 69 % des mères n’en ont reçu aucun, en plus des 55 % des nouveau-nés.
Une grande carence d’établissements sanitaires se fait également remarquer.
En effet, en nous référant à l’ « Évaluation de la prestation des services de soins de santé-Haïti, 2017-2018 (Epss-II) », le pays est doté seulement de 1,007 établissements sanitaires [1], comprenant 7,597 lits, dont 13 % seulement sont des hôpitaux, soit 131 hôpitaux pour une population de presque 12,000,000 d’habitantes et d’habitants, et un lit pour 1,502 habitantes et habitants.
De ces établissements sanitaires, le secteur public gère seulement 34 % (344, dont 38 hôpitaux).
Le secteur privé gère presque la totalité des établissements sanitaires : 30 % à but lucratif (300, dont 34 hôpitaux) et 19 % (189, dont 11 hôpitaux) sont mixtes.
Le département de l’Ouest, où se trouve la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, et qui a une population de plus de 4,200,000 habitantes et habitants, a le plus grand nombre d’établissements sanitaires : 366, dont 51 hôpitaux, soit un (1) hôpital pour 82,632 habitantes et habitants. 36 de ces hôpitaux se trouvent dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince.
Le département des Nippes (une partie du Sud-Ouest d’Haïti), qui a le taux le plus faible d’établissements sanitaires et la plus faible population, a 34 établissements sanitaires, dont 2 hôpitaux pour plus de 358,000 habitantes et habitants, soit un (1) hôpital pour 179,106 habitantes et habitants.
En plus de la grande insuffisance des institutions sanitaires, il faut signaler combien sont très limités, voire parfois inexistants, les infrastructures, les équipements et les matériels, nécessaires pour le bon fonctionnement de ces établissements.
A titre d’exemple, seulement 42 % de ces institutions offrent l’ensemble des services de base. En dépit de l’importance de l’électricité, 76% de toutes ces institutions n’en disposent pas régulièrement. Seulement 61 % disposaient de toilettes pour les patientes et patients. Seulement 28 % ont accès à des véhicules de transport en urgence des malades.
Les travaux de reconstruction du plus grand centre hospitalier du pays, l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (Hueh), qui ont débuté en 2011, n’ont pas pu être achevés en 2017, contrairement aux prévisions. De tels travaux de reconstruction sont aujourd’hui interrompus. Malgré la pandémie de Covid-19, les locaux de l’Hueh sont dans un état lamentable.
Pour ce qui est du personnel de santé (médecins, sages-femmes, infirmières et infirmiers), le constat demeure très critique.
Pour l’ensemble de la population du pays, on recense 8,615 personnels médicaux, dont 3,354 médecins (un médecin pour 3,353 habitantes et habitants), 219 sages-femmes et 5,042 infirmières et infirmiers (une infirmière ou un infirmier pour 2,230 habitantes et habitants).
Une situation, qui ne devrait pas être surprenante, si on tient compte du faible budget, consacré à la santé dans le pays.
Durant les années 2014-2018, le montant consacré à la santé, dans le budget public national, est de 5 %, selon les statistiques sanitaires, pour l’année 2018, publiées, en novembre 2019, par le Mspp. Or, le seuil de référence de l’Oms est de 15%.
En 2017, en termes de pourcentage de dépenses publiques en santé, dans le Produit intérieur brut (Pib), Haïti est à la dernière place sur 35 pays, relève un rapport quinquennal (2012-2017) de l’Organisation panaméricaine de la santé (Ops) sur la santé dans les Amériques.
Selon ce rapport, les dépenses publiques en santé ne dépassaient pas 2 % du Pib en Haïti, alors que le seuil de référence est de 6 %.
Dans quelques pays voisins d’Haïti, la République Dominicaine et la Jamaïque ont dépensé plus de 3 % de leur Pib.
Les seuls pays, qui ont dépassé le seuil de 6 %, dans les Amériques, sont le Canada, le Costa Rica, les États-Unis d’Amérique, l’Uruguay et Cuba.
Dans les Amériques, Cuba est le premier pays, qui dépense le plus en santé, presque 11 % de son Pib. Les États-Unis d’Amérique, en deuxième position, ne sont qu’à plus de 8 % de leur Pib.
En 2014, plus de 34 % des dépenses directes de santé provenaient des ménages en Haïti. Ce qui constitue, selon l’Ops (2017 : 62), « un manque de protection financière contre les risques de santé ».
En 2012, par manque de moyens financiers, deux patients pauvres sur trois n’allaient pas en consultation.
Des constats, qui révèlent le peu d’intérêt des dirigeants, en Haïti, pour l’accès de la population aux services de santé.
Par ailleurs, en 2012, le gouvernement haïtien a publié une politique publique de santé, intitulée « Politique nationale de santé », considérée comme l’ensemble des choix stratégiques à adopter, en matière de santé, pour les 25 prochaines années (jusqu’en 2037).
De cette « Politique nationale de santé », a découlé un « Plan directeur de santé 2012-2022 ».
Entre autres objectifs : permettre une évolution du système de santé et une diminution significative de la morbi-mortalité, grâce à un système de santé adéquat, efficient, accessible et universel, et un accès équitable aux services et soins de qualité pour toute la population ; promouvoir l’articulation des médecines, moderne et traditionnelle ; assurer une augmentation progressive du pourcentage du budget du trésor public, alloué à la santé.
Une telle augmentation devrait, en principe, atteindre les 15 % du budget national.
Quoique la rédaction de cette politique publique soit une initiative très louable, les mesures, qui y sont prévues, sont faiblement financées, tandis que leurs matérialisations, en mesures concrètes, capables d’améliorer l’état de santé de la population et le système sanitaire du pays, tardent encore.
En 2020, huit (8) ans après la publication de cette politique publique, la situation sanitaire du pays en constitue un exemple probant.
4. Les conditions de logement en Haïti
Les habitats, dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, sont caractérisés, entre autres, par une vulnérabilité face aux risques environnementaux, un déficit qualitatif et quantitatif important de logements (Lizarralde et al., 2018).
Pour l’ensemble des autres villes du pays, la situation n’est pas trop différente. Elles sont, certes, moins denses que l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, mais les conditions de logement demeurent à peu près similaires.
Au niveau national, dans 34 % des logements c’est la terre/sable qui recouvre le sol, souligne l’Emmus-VI.
Pour le pays, le taux de précarité du logement s’élève à environ 80 % (Herrera, et al., 2014). Une donnée, qu’il faut prendre, néanmoins, avec beaucoup de réserve, car elle date de 2012, deux (2) ans seulement après le tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010. A cette époque, beaucoup de gens vivaient encore dans des camps et d’autres abris provisoires.
Au-delà des précarités dans les logements, les ménages vivent entassés, dans une chambre ou deux. Globalement, 41 % des ménages du pays vivent dans une pièce et 40 % disposent de deux pièces. Pourtant, la taille moyenne des ménages dans le pays est de 4.3 personnes (Emmus-VI 2016-2017). Ce qui risque de susciter une propagation accélérée de la pandémie de Covid-19 dans les ménages.
Dans ces conditions, il s’avère problématique d’appliquer la distanciation physique, malgré le contexte de grande vulnérabilité face aux catastrophes naturelles et aux différentes maladies infectieuses et/ou parasitaires. Quand plus de quatre (4) personnes vivent dans une (1) pièce de maison, le confinement parait être un défi majeur.
5. L’eau et l’assainissement dans le pays : un accès difficile à toutes et à tous
L’accessibilité à l’eau et à l’assainissement représente un véritable défi pour les ménages haïtiens.
Seulement 74 % des ménages du pays ont accès à une source améliorée d’eau de boissons [2], selon les données de l’Emmus-VI 2016-2017.
De ce nombre, 19% utilisent les robinets publics.
En 2015, sur cent quarante-trois (143) quartiers « défavorisés », dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, quatre-vingt (80) n’étaient pas desservis en eau (Direction nationale d’eau potable et d’assainissement / Dinepa, 2016a).
Seulement 14 % des ménages ont accès à l’eau à domicile. 30 % des habitantes et habitants mettent plus de trente (30) minutes pour s’approvisionner en eau de boisson (Emmus VI).
Ce qui fait de l’eau potable une ressource rare, pour beaucoup de gens.
Bien que 55 % de la population métropolitaine ait accès au système public de distribution d’eau, moins d’un tiers (1/3) l’utilise pour boire, selon une étude de la Banque mondiale (2018) sur les services en eau et en assainissement dans le pays.
A l’échelle nationale, seulement 52 % des personnes, qui ont accès au système public de distribution d’eau, utilisaient cette eau pour boire.
Depuis l’apparition du choléra, en octobre 2010, l’eau du système public est utilisée, en grande partie, pour les activités ménagères (cuisson, nettoyage, lessive...). Probablement, ces personnes doutent de sa qualité.
Dans le pays, l’eau en bouteilles représente 36 % de la source d’approvisionnement. L’eau en bouteilles n’est pas réservée à toute la population, qui n’a pas de moyens de s’en acquérir.
Dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, près de 57 % des Haïtiennes et Haïtiens utilisent les services du secteur privé, pour s’approvisionner en eau potable, tandis que, pour le reste des villes en Haïti, 45.5 % recourent aux services du secteur privé, selon la Banque mondiale.
Or, la ressource en eau, tendait à s’épuiser dès les premières semaines de l’apparition du choléra en Haïti. Ce qui fait, probablement, que les dépenses en eau, dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, aient été si importantes.
Les dépenses en eau représentent 15 % des dépenses par ménage. 8 % de ces dépenses sont consacrées à l’achat d’eau dans les camions citernes et 5 % à l’achat d’eau en bouteilles et/ou en sachets.
En 2012, les dépenses globales en eau des ménages étaient estimées à 2,5 milliards de gourdes (environ 57,5 millions de dollars), dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince.
18 % de ces dépenses en eau allaient à la Dinepa, 41 % aux entreprises vendant des bouteilles et/ou sachets d’eau, et 40 % aux camions citernes et aux kiosques privés.
Pour combattre le nouveau coronavirus, il est recommandé de se laver les mains régulièrement.
Or, dans la majorité des ménages (60 %), où ont été observés les endroits pour se laver les mains, lors de la réalisation de l’Emmus VI, il n’y avait ni eau, ni savon, ni aucun autre quelconque produit nettoyant.
Seulement 12 % de ces endroits disposaient d’eau, et 25 % de savon et d’eau.
Une difficulté majeure semble, alors, se dresser contre la pratique du lavage régulier des mains, en dépit de la volonté des ménages.
Pour ce qui est de l’assainissement, à la charge aussi de la Dinepa, la situation est compliquée.
L’accès à l’assainissement a lieu, grâce à des solutions individuelles ou partagées (latrines), selon la Dinepa.
Sur tout le territoire national, aucun réseau d’égouts ne fonctionne bien. Seule une station de dépotage contrôlé des boues de vidange fonctionne à l’échelle nationale (Dinepa, 2016b).
Au niveau national, près de 31 % des ménages disposent de toilettes améliorées non partagées. Près de 24 % utilisent des toilettes, partagées par un ménage ou plus, et 20 % des ménages ne disposent que de toilettes non améliorées, indique l’Emmus VI.
Dans 69 % des ménages, les toilettes se trouvent à l’extérieur du logement (79 % des cas en milieu rural contre 59 % en milieu urbain).
A l’échelle nationale, plus d’un quart (1/4) des ménages (25 %) ne disposent d’aucunes sortes de toilettes, Ces ménages, dont près de 10 % vivent dans les milieux urbains, défèquent en plein air. Un constat étonnant, car la Dinepa (2016a) s’est donnée pour objectif d’éliminer la défécation à l’air libre, d’ici l’année 2023.
A l’heure de la pandémie de Covid-19, cette situation devient plus qu’alarmante.
En ce qui concerne la collecte et la gestion des résidus solides, les services publics n’arrivent pas encore à desservir la population.
93 % des ménages pauvres, dans les quartiers « défavorisés », n’ont aucun accès aux services des instances publiques, d’après Bras et Joseph (2018).
Haïti a le taux de collecte de déchets solides le plus bas (12.4 %) dans la région Lac.
Le Paraguay, l’avant-dernier pays dans la région Lac, a un taux de 57 % (Banque mondiale, 2018).
Les ménages, en Haïti, doivent trouver, eux-mêmes, un moyen pour gérer et éliminer leurs déchets. Les méthodes priorisées ne sont pas toujours en concordance avec la protection de l’environnement. Ils sont environ 87.7 % des ménages, dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, à utiliser des ravines pour l’élimination de leurs déchets (Bras et Joseph, 2018).
En mars 2017, le gouvernement haïtien a décidé de remplacer le Service métropolitain de collecte des résidus solides (Smcrs) - instance qui était placée sous la tutelle du Ministère des travaux publics, transports et communications (Mtptc) -, considéré trop limité dans ses actions, par le Service national de gestion des résidus solides (Sngrs), placé sous la direction du Ministère de l’environnement (Mde). Ne pouvant pas remplir sa mission, le Smcrs, qui avait pour mission de desservir uniquement la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, a été remplacé par une nouvelle institution, avec une mission plus étendue, celle de collecter et de gérer les résidus solides à l’échelle nationale.
En 2009, à travers une loi-cadre et dans l’objectif de garantir un meilleur accès à l’eau et à l’assainissement sur le territoire national, les autorités haïtiennes avaient pris la décision de remplacer la Centrale autonome métropolitaine d’eau potable (Camep) et le Service national d’eau potable (Snep) - qui géraient l’eau dans le pays - par la Direction nationale de l’eau Potable et de l’assainissement (Dinepa).
La loi-cadre de 2009 a aussi créé des structures déconcentrées au sein de la Dinepa : les Offices régionaux de l’eau potable et de l’assainissement (Orepa), qui sont au nombre de quatre (4) (Nord, Plateau central, Sud, Ouest).
Pour chaque réseau dans sa juridiction, un Orepa met en place un Centre technique d’exploitation (Cte) [3], pour réaliser le suivi et l’entretien des installations, la facturation et le service à la clientèle.
Les Orepa, représentés par les Unités de développement rural (Udr), aident les opératrices et opérateurs ruraux des Comités d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement (Caepa), des Comités d’eau potable et d’assainissement (Cepa) et des Comités de point d’eau (Cpe).
En novembre 2010, pour lutter contre l’émergence du choléra, la Dinepa a mis en place des équipes d’agentes et d’agents de terrain, de Techniciennes et techniciens communautaires en eau et assainissement (Tepac) [4], pour assurer des tâches de prévention, liées à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène.
En dépit de ces mesures et des efforts réalisés, en termes d’assainissement, d’hygiène et d’accessibilité à l’eau potable, pour lutter notamment contre le choléra, la situation demeure critique.
Forts de ces constats, nous pouvons affirmer, sans ambages, qu’il est difficile de demander à des personnes, qui n’ont pas accès à l’eau, de rester chez elles, pendant une certaine période.
Il est compliqué de parler d’application des règles hygiéniques, sans une bonne gestion des déchets solides. Cette recommandation est chimérique, quand une grande partie de la population n’a aucun endroit pour déféquer.
De plus, l’applicabilité des mesures, liées au confinement, relatif à la pandémie de Covid-19, est difficile, quand, dans plusieurs ménages du pays, les toilettes ne se trouvent pas à l’intérieur de la maison.
En somme, comme l’a fait remarquer le Mspp (2012), la transmission de certaines maladies infectieuses et parasitaires (malaria, typhoïde, choléra, Infections respiratoires aiguës /Ira, Infections sexuellement transmissibles/Ist) est favorisée, non seulement par les conditions de vie précaires de la grande partie de la population haïtienne, mais aussi par l’absence des services publics (eau, assainissement, gestion des déchets).
6. L’énergie électrique en Haïti : un défi majeur
En 2017, le taux d’accès à l’électricité dans le pays (un accès à l’électricité, qui se trouve principalement dans l’aire métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince) est très faible (44%).
Dans les autres départements géographiques du pays, le taux est seulement de 3%.
La couverture électrique dans le pays est très faible, moins de 25%, dont 12.5% d’habitantes et d’habitants ont un accès officiel et 12.5% sont connectés illégalement (Pauyo, 2017).
Haïti a le taux le plus faible dans la région Lac, où il s’élève à 98% (Agence internationale de l’énergie/Aie, Banque mondiale/Bm, Agence internationale pour les énergies renouvelables/Irena, Organisation mondiale de la santé /Oms et Division des statistiques de l’Organisation des Nations unies/Dsnu, 2019).
Avec un ratio considérablement faible, l’absence d’entretien, l’incapacité d’alimentation simultanée de tous les circuits, la compagnie publique Électricité d’Haïti (Ed’h) se trouve, dès lors, dans l’obligation de répartir l’énergie électrique en horaires pour chaque quartier. Les citoyennes et citoyens, ayant accès à l’électricité, ont environ 5 à 9 heures, en moyenne, par jour (Lucky, Matthew et al., 2014).
Face à cette rareté, à l’absence totale ou au peu d’heures en électricité publique, les citoyennes et citoyens sont contraints d’utiliser d’autres moyens, afin de s’approvisionner en énergie électrique, d’où l’achat de génératrices, de panneaux solaires, de batteries, de banque d’alimentation externe (Power bank)…
Créée, par décret présidentiel, le 9 août 1971, l’institution responsable de l’énergie l’électrique dans le pays, l’électricité d’Haïti (Ed’h), a été placée sous la tutelle du Ministère des travaux publics, transports et communications (Mtptc).
D’après le décret du 9 août 1971, l’Ed’h est responsable de la production, du transport, de la distribution et de la commercialisation de l’énergie l’électrique, sur tout le territoire national.
Quoique cette institution publique ait été créée pour être la seule entité, sur le territoire haïtien, à produire et à commercialiser l’énergie électrique, l’Électricité d’Haïti achète 60 % de l’énergie totale fournie, de compagnies privées productrices indépendantes d’électricités (Ipp, Banque mondiale, 2016).
La capacité totale, installée de l’Ed’h, est estimée entre 250 à 400 MW (Lucky, Matthew et al., 2014), une quantité qui provient de plusieurs réseaux, dont la centrale hydroélectrique de Péligre (Plateau central), les centrales diesel de Carrefour I, II et III (au sud de la capitale), des compagnies productrices d’électricité indépendantes (Ipp : E-Power, Sogener, Haytrac) et les réseaux régionaux (Jacmel/Sud-Est, Cayes/Sud, Gonaïves/Artibonite, Cap-Haitien/Nord,…) (Rina, 2019).
En 2016, l’Électricité d’Haïti avait envisagé une augmentation de puissance et des réparations de ses infrastructures (centrales électriques à Péligre et à Carrefour), la construction de nouvelles stations, notamment à Tabarre (au nord-est de la capitale), dans le parc industriel près de l’aéroport international de Port-au-Prince, le renforcement de quelques sous-stations, en remplaçant ou en augmentant la puissance des transformateurs de ces dites sous-stations et, enfin, une révision croissante, en nombres et en puissance, de ses circuits de distribution.
Toutefois, la capacité totale disponible est très faible, par rapport à celle installée.
En effet, « la centrale de Carrefour ne fournit même pas la moitié de sa puissance et elle est, certaines fois, à l’arrêt complet », souligne Chantal Agénor.
Pour une demande en énergie électrique, évaluée à 250 MW (2018 : 272-273), l’Ed’h, quand ses centrales fonctionnent très bien, n’arrive même pas à fournir plus de 130 MW, poursuit Chantal Agénor.
7. Conclusion
Avec la confirmation officielle, le jeudi 19 mars 2020, des 2 premiers cas d’infection au nouveau coronavirus, dans le pays, le gouvernement haïtien a annoncé, à travers un arrêté présidentiel, l’adoption des mêmes mesures, prises par les pays industrialisés d’Europe et d’Asie, touchés par cette maladie.
Les pays, qui ont adopté les mesures de confinement et de distanciation physique, et qui essaient, avec peine, de les appliquer, ont mis en place des stratégies concrètes, afin d’assurer que la majorité de la population n’est pas contrainte de sortir de chez elle, pour aller satisfaire ses besoins primaires.
En fait, l’application de ces mesures nécessite une disponibilité des services sociaux de base pour les ménages.
Or, la république d’Haïti est marquée par un déficit énorme, en matière de disponibilité et d’accès aux services sociaux de base (santé, éducation, énergie, eau et assainissement, logement et habitat).
Par conséquent, quelles sont les mesures d’accompagnement, prises par les autorités haïtiennes, en vue de permettre l’applicabilité de ces mesures ?
Aucune politique sociale n’a pas encore été adoptée par le gouvernement actuel.
Depuis plusieurs décennies, l’absence de projet politique et la corruption sont les principales caractéristiques des dirigeants en Haïti.
Parallèlement, pendant que le pays connaît une croissance urbaine accélérée, celle-ci se révèle non planifiée et débridée. L’expansion des villes ne se fait pas en adéquation avec l’expansion attendue des services sociaux.
La pandémie de Covid-19, qui met à nu les conditions vulnérables de la population haïtienne, invite à réfléchir sur l’accès aux services sociaux de base.
Pour assurer sa survie, la population haïtienne recourt à diverses stratégies, en cours dans le secteur informel.
Pour mener la lutte contre le nouveau coronavirus, il est impératif que le système sanitaire du pays soit en mesure de répondre aux exigences de cette maladie.
L’ensemble des défis, auxquels se heurte actuellement le système sanitaire en Haïti, la précarité dans les conditions de logement et la promiscuité des ménages, les difficultés d’accès en eau et en assainissement de la population, le faible taux de couverture électrique du pays, en dépit des promesses, non tenues, du président actuel, de rendre l’électricité disponible sur tout le territoire national, à partir de juin 2019, … autant de problèmes majeurs, pour une population, appelée à appliquer scrupuleusement les principes d’hygiène.
Les règles d’hygiène semblent difficilement applicables, quand l’Etat ne prend aucune disposition institutionnelle pour assainir les zones insalubres.
De plus, le confinement et la distanciation physique restent difficiles à appliquer dans les milieux urbains, très denses, où les gens, vivent dans la promiscuité physique et sociale.
Le confinement, s’il pouvait être appliqué, ne conduirait-il pas à une catastrophe sociale ?
La situation économique, les conditions de logement, l’accès difficile à l’eau et à l’assainissement, l’élimination des déchets ménagers et le faible accès à l’énergie électrique dans le pays sont des nœuds gordiens à toutes applications de mesures de confinement, de distanciation physique et de limitation de déplacements.
La pandémie de Covid-19 (le nouveau coronavirus) devrait constituer un tournant historique, pour une prise de conscience de la population.
L’irresponsabilité des dirigeants politiques devrait clairement inciter la population à réfléchir sur l’importance de développer une pratique solidaire solide, au profit d’une vision commune.
Bibliographie
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* Étudiants finissants en Sociologie à la Faculté des sciences humaines (Fasch) de l’Université d’État d’Haïti (Ueh)
gedeonmardoch@yahoo.fr
leandrejoehendle@gmail.com
[1] En 2015, selon la liste du Mspp, ils étaient au nombre de 1,048, dont 8 % n’étaient pas fonctionnels. Lors de la réalisation de l’Epss-II 2017-2018, les responsables n’ont pas retrouvé 208 de ces institutions. Pendant le dénombrement, ils ont identifié 194 nouvelles institutions, qui n’étaient pas dans la liste du Mspp.
[2] Les robinets publics/fontaines, les puits à pompe, les forages, les puits creusés, les sources protégées et l’eau de pluie.
[3] Aujourd’hui, ils sont vingt-cinq (25) en fonction.
[4] Ils étaient au nombre de 235 en 2015.