Lettre ouverte au gouvernement haïtien de la part de Solidarité Frontalière et Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants
Soumis à AlterPresse le 18 mai 2005
Ouanaminthe, le 18 mai 2005
à€ Son Excellence, Mr. Gérard Latortue
Chef du Gouvernement Provisoire de la République d’Haïti
Mr. Le Premier Ministre,
En ce moment où Haïti traverse une transition politique très difficile, l’Etat dominicain a décidé d’expulser de son territoire les haïtiens et dominicains d’origine haïtienne et de couleur noire causant ainsi une crise humanitaire à Ouanaminthe, ville frontalière où il n’existe aucun service de base et infrastructure.
à€ la frontière Nord, SOLIDARITE FWONTALYE/SJRM a été témoin de l’expulsion durant le week-end écoulé (du vendredi 13 mai au dimanche 15 mai) de plus de 2000 personnes, dont nous avons reçu 1414, qui sont arrivés à Ouanaminthe dans les conditions les plus inhumaines : en guenille, affamées, entassées dans les véhicules qui les transportaient, blessées physiquement, émotionnellement et dans leur dignité.... Il y a lieu de faire remarquer que la majorité des personnes expulsées sont des femmes et des enfants. Ces expulsions massives se déroulent en dehors de tout respect de la loi, du Protocole d’Entente sur les Mécanismes de Rapatriement signé le 2 décembre 1999 entre Haïti et la République Dominicaine et des Traités Internationaux.
Mr. Le premier ministre, nous sollicitons vivement la présence du gouvernement, dont vous êtes le chef, et de l’Etat haïtien à Ouanaminthe, sur les 4 postes frontières, spécialement celui de Ouanaminthe- Dajabón, et tout au long de la frontière haïtiano- dominicaine, pour recevoir les rapatriés, tel que le Protocole du 2 décembre 1999 vous le prescrit.
En outre, nous vous demandons de prendre une décision ferme face à l’Etat et au gouvernement dominicains pour qu’ils cessent ces expulsions massives d’haïtiens et de dominicains d’origine haïtienne et de couleur noire. D’autant plus, il est impérieux que ces déportations se réalisent selon les engagements pris par eux dans le Protocole comme par exemple :
1. Vérifier la nationalité des personnes en processus de déportation.
2. Ne pas réaliser les rapatriements durant la nuit, entre 6 heures P.M.
et 8 heures A.M.
3. Eviter la séparation des membres d’une même famille nucléaire.
4. Ne réaliser les rapatriements que dans ces 4 postes frontières :
Jimanà- Malpasse, Dajabón- Ounaminthe, Elàas Piña- Belladère et
Pedernales- Anse-à -Pitre, et non pas à travers la rivière Massacre où les rapatriés risquent de se noyer.
5. Faire que les autorités dominicaines adoptent des mesures concrètes
pour que les citoyens haïtiens en processus de déportation puissent récupérer leurs effets personnels et leurs documents et recevoir une copie du formulaire qui contienne l’ordre de rapatriement, et pour que les autorités diplomatiques haïtiennes accréditées en territoire dominicain reçoivent dans un délai raisonnable la liste de nom de ces citoyens.
Quoique vous soyez une autorité provisoire, cependant vous ne pouvez pas éluder votre responsabilité. Au contraire, vous devez négocier avec le gouvernement dominicain et avec la Communauté Internationale pour faire que l’Etat dominicain cesse ce « nettoyage ethnique » en cours et respecte les droits humains, la vie et la dignité des citoyens haïtiens en République Dominicaine.
Ces rapatriements massifs nous ont révolté la conscience en tant qu’haïtiens, chrétiens et êtres humains et nous obligent à nous diriger au gouvernement haïtien afin qu’il ne traite pas avec légèreté ces violations des droits des haïtiens en République Dominicaine et les abus auxquels ils sont exposés dans ce climat xénophobe et anti-haïtien qui règne sur le territoire de la République voisine.
C’est une occasion historique, en ce jour de 18 mai, fête du drapeau haïtien, pour tous les haïtiens de nous montrer sensibles et solidaires avec nos frères et sœurs qui se trouvent en Haïti et ailleurs, car une seule et même histoire nous unit tous et toutes, où que nous soyons.
Cher Premier Ministre, nous vous remercions d’avance et vous réitérons que votre présence et action à Ouanaminthe s’avèrent nécessaire et urgente pour recevoir les expulsés haïtiens et protéger leurs droits, leur vie et leur dignité, tel que la Constitution Haïtienne de 1987 vous l’exige.
Pour terminer, SOLIDARITE FWONTALYE/SJRM lance un dernier appel à l’Etat et au gouvernement haïtiens et à la société civile en général pour qu’ils restent vigilants puisque, dans les jours à venir, les opérations d’expulsion des haïtiens pourront s’intensifier.
Pour le Bureau de SOLIDARITE FWONTALYE/SJRM
Lissaint ANTOINE S.J.
Directeur