Par Gotson Pierre
P-au-P., 04 mars 2020 [AlterPresse] --- Après nous avoir servi de délectables portraits de personnalités hautes en couleur, de créateurs et chercheurs de notre milieu, de tranches importantes de notre parcours historique, le cinéaste Arnold Antonin porte notre regard sur la mer qui entoure notre moitié d’île.
« Ainsi parla la mer » est le titre de son documentaire qui sort cette semaine à Port-au-Prince. Un film de 50 minutes qui nous fait voyager sur toutes les côtes d’Haïti, où la mer dévoile son immense beauté, mais aussi les pires souffrances que nous lui faisons endurer.
La mer, omniprésente, étale toutes ses nuances de bleu Caraïbe et se raconte à travers la voix de Gessica Généus, bercée par la musique de Roosevelt Saillant (BIC). L’écrivain Gary Victor lui donne les mots pour se dire et lancer son SOS.
Ce film est un appel à « protéger la mer, pour se protéger ». Elle a toujours été là, la mer. Témoin de notre histoire tumultueuse. Ses vagues nous ont ballotés d’un continent à l’autre depuis la nuit des temps. Hier, elle a transporté colons et esclaves. Aujourd’hui, le fil de l’eau nous porte vers des rives parfois inconnues, en quête d’avenir.
La mer qui baigne partout nos terres. Quelle richesse et quelle merveille ! Ici, des coraux magnifiques. Là, des vagues prennent leur temps à caresser des récifs coralliens et s’évanouiront en trouvant leur bonheur avant d’atteindre la plage. « Un spectacle ». Des baies exhibent toute l’élégance de leur courbe nuancée. Des paysages sous-marins incroyables. « Bijoux fragile ».
Nos relations avec la mer sont troublantes. Les histoires sont multiples autant que les regards portés par des prêtresses vaudou, des pêcheurs, des marchandes, des artistes, des entrepreneurs, des experts urbanistes, historiens, biologistes, des experts climatiques, qu’interpelle la caméra d’Antonin.
La mer, la mort, la peur. Le mystère. Les constats sont navrants. La mer, partout dans notre peinture, qui honore « Mèt agwe » et sa femme la Sirène. La mer source d’inspiration inépuisable de nos poètes. Mais, nous n’avons pas appris à embrasser l’eau. Moins de 5% des Haïtiens savent nager. Insulaires, nous sommes pourtant des « faux iliens ». Nous rechignons à laisser la mer garnir nos tables. Nous ne consommons pas assez de poissons. Nous fermons les yeux sur le point où se noue le destin de la mer et du soleil. Nos maisons donnent dos à la mer.
Elle essuie notre insouciance, qui va jusqu’au mépris qui tue. Les mots de la mer sont pour dire aussi sa mort lente. Elle se meurt, la mer. Le contraste est saisissant entre les images de la mer dans le va-et-vient lumineux de ses vagues de vie et celles de la mer jaunie s’éteignant littéralement sous l’effet de l’érosion inexorable. Quand ce ne sont pas nos latrines et nos « pots de nuit » qui s’y déversent.
Mauvaises habitudes qui viennent de très loin dans le temps et qui sont aujourd’hui exacerbées par l’explosion démographique. On aurait voulu volontiers éviter cette promenade, que nous impose la caméra, sur des « plages poubelles ». Et voici la face repoussante d’un littoral oublié, littoral qui se transforme par endroit en vaste garage, cimetière de véhicules « pèpè » irréparables. On découvre, abasourdi, que la ville s’étend parfois au-delà même du rivage. Bidonvilles, les pieds dans l’eau, résultant d’une réponse informelle à la demande d’habitats. Avec le changement climatique, c’est une part de nous-mêmes qui est « condamnée à mort » !
« Ainsi parla la mer » est une invitation à mieux comprendre la mer et s’approprier véritablement de notre territoire liquide. Le film nous dit que le destin d’Haïti est près des côtes. Il n’y a plus de temps à perdre. « Les vagues sont des chances qui passent ». [gp apr 04/03/2020 05:00]