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Catastrophe sanitaire et grossesses non désirées suite au séisme de 2010 en Haïti

Par Newdeskarl Saint Fleur *

Soumis à AlterPresse

L’une des phases clés en gestion des risques et des désastres est la réponse aux catastrophes. On peut réduire considérablement le nombre de victimes si on a une bonne capacité de réponse. Cette dernière se voit dans les systèmes de secours, les voies d’évacuation et surtout les hôpitaux. Des hôpitaux qui résistent à la catastrophe et dont les services continuent de fonctionner après le désastre sont une valeur sûre de la résilience.

Pourtant, après le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti, le secteur de la santé faisait partie des plus grandes victimes : le ministère de la santé publique a été détruit, l’école nationale des infirmières et des sages-femmes s’est écroulée, des infrastructures sanitaires détruites ou sévèrement endommagées ou des services paralysés par manque d’équipements, de personnels et de salaires. C’est le cas des services de planification familiale de certains centres de santé dans les zones affectées par le séisme.

Une étude publiée en 2016 dans Studies in family planning a révélé les impacts du séisme de 2010 sur la santé reproductive des Haïtiennes [1]. Un jeu de données sur la démographie et la santé entre 2005 et 2012 a été analysé. Des échantillons de 10 757 femmes en 2005 et 14 287 en 2012. Les scientifiques ont regardé l’effet du séisme sur l’accès à la planification familiale et exploré d’autres facteurs capables d’influencer la santé reproductive incluant l’activité sexuelle, la dynamique de « partnership », entre autres.

Les femmes sous contraception utilisant des injections comme leur principale forme de contraception sont passées de 39% en 2005 à 54% en 2012. On constate toutefois des effets négatifs du séisme sur les injections parce que ces dernières nécessitent une assistance médicale qui n’était pas évidente dans le sillage de goudougoudou. Les femmes ne pouvaient pas non plus se permettre de grands déplacements pour trouver cette assistance. L’étude a montré également que plus une zone était affectée par le séisme, plus les femmes sont tombées enceintes (1). Des grossesses non désirées pour la plupart.

Le séisme n’aurait aucun effet sur la probabilité qu’une femme en couple puisse refuser une relation sexuelle avec son partenaire. Toutefois, l’étude révèle que cette même femme peut ne pas avoir l’aptitude à négocier l’utilisation du préservatif (1).

En février 2010, Vicky Claeys [2] a rapporté qu’environ 63 000 femmes étaient enceintes à Port-au-Prince dont 7 000 l’avaient été au mois de janvier 2010.

« Les catastrophes naturelles coïncident souvent avec une augmentation des trafics et des violences sexuelles à l’égard des femmes - situations où les femmes ont peu de contrôle sur la reproduction et l’utilisation des contraceptifs », ont rappelé Julia Andrea Behrman et Abigail Weitzman, sociologues et spécialistes de la démographie (1). Suite au séisme en Haïti, les promesses d’offrir des maisons aux sinistrés ont exposé certaines Haïtiennes à cette triste et répréhensible réalité. Motivés par le rêve de posséder leurs propres maisons, les membres d’une même famille se séparent pour avoir plus de logements. Imaginons une famille avec 3 adolescentes. Chacune occupe une tente pour montrer à tort aux décideurs qu’elle a une maison détruite. Hors de contrôle parental, elles sont devenues vulnérables ou des proies sexuelles.

Cinq mois après le tremblement de terre, « 12% des femmes résidant dans les camps étaient enceintes. Malheureusement, les deux tiers de ces grossesses n’étaient pas désirées », peut-on lire dans un rapport publié en janvier 2011 par le Fonds des nations unies pour la population [3]. Plus de 7% des grossesses signalées concernent des filles âgées de 15 à 17 ans. Que deviennent ces femmes et leurs enfants de 9 ans aujourd’hui ?

De plus, d’après Onusida [4], près de 70 000 personnes vivaient déjà avec le VIH avant le séisme dans les zones sinistrées. Or, les méthodes contraceptives préférées des Haïtiennes sont les injections et les pilules, pas les condoms. On peut imaginer la catastrophe sanitaire...

10 ans après, les nouvelles sur le secteur sont des plus inquiétantes. Des services dysfonctionnels à la défaillance organisationnelle du ministère de la santé publique. Les Haïtiens vivent dans la peur de tomber malades.

Nous avons beaucoup à faire. La gestion des risques et des désastres implique beaucoup de secteurs et de stratégies. Le secteur de la santé est très important pour au moins la prise en charge des blessés après une catastrophe naturelle. Au même moment la santé reproductive des femmes doit être maintenue voire améliorée pour éviter un autre désastre qui, lui, peut impacter des générations.

* Chercheur
Contact : newdeskarl@gmail.com

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[1Behrman, J. A., & Weitzman, A. (2016). Effects of the 2010 Haiti earthquake on women’s reproductive health. Studies in family planning, 47(1), 3-17.

[2Claeys,V. (2010). Beyond despair—Sexual and reproductive health care in Haiti after the earthquake. The European Journal of Contraception and Reproductive Health Care, 15(5), 301–304.