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Crise : Manoeuvres internationales en Haïti, avant une évaluation du Binuh, mi-février 2020, par le Conseil de sécurité des Nations unies

Par Ronald Colbert

P-au-P, 05 févr. 2020 [AlterPresse] --- « La communauté internationale entreprend, en sous-main, des manoeuvres, pour conforter la présence du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh) », la veille d’une évaluation, à la mi-février 2020, de cette « mission politique spéciale » par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (Onu), avertissent des sources informées, jointes par l’agence en ligne AlterPresse.

Le dialogue, entre une partie des protagonistes politiques, de fin janvier 2020, à la nonciature apostolique catholique romaine, sous les auspices d’une structure inopinée, dénommée « Comité haïtien d’initiative patriotique » (Chif) et sous l’égide du Binuh et de l’Organisation des États américains (Oea) - qui s’est terminé par un échec prévisible -, les différentes déclarations de Jovenel Moïse, un président très décrié, quant à des réformes institutionnelles envisagées, comme la formation d’une Assemblée constituante pour aboutir à une nouvelle Constitution… seraient, en réalité, des mises en place « calculées », pour préparer l’opinion publique à avaler une « pilule inacceptable » de changements irréguliers et illégaux.

Malgré les acquis démocratiques, inscrits dans la Constitution du 29 mars 1987, aucune disposition institutionnelle n’a été adoptée pour garantir la participation populaire dans la gouvernance d’Haïti.

Au contraire, les gouvernements, qui se sont succédé en Haïti, y compris le régime politique actuel, tendent à imposer des modes de gestion anachroniques, totalement en retard avec le XXIe siècle et s’apparentant ouvertement à de la dictature et à de l’oppression des voix discordantes.

Le lundi 13 janvier 2020, Jovenel Moïse a unilatéralement déclaré la fin de mandat de sénateurs, en violation de la Constitution.

Son gouvernement, démissionnaire depuis le lundi 18 mars 2019, a fourni à la Police nationale d’Haïti (Pnh) une liste de noms de sénateurs, qu’il estime « être autorisés » à continuer d’entrer au parlement.

Le titulaire démissionnaire du Ministère des affaires étrangères, Bocchit Edmond, a, dans le même temps, invalidé les passeports diplomatiques de « sénateurs déclarés en fin de mandat », à partir du 13 janvier 2020.

Dans ce contexte, le Binuh, installé le 15 octobre 2019, au fort d’un soulèvement national (« pays locked ») contre le régime tèt kale, n’a pas de bilan.

Or, le Binuh devrait « conseiller le Gouvernement haïtien sur les moyens de promouvoir et de renforcer la stabilité politique et la bonne gouvernance, y compris l’état de droit, de préserver un environnement pacifique et stable, notamment en facilitant un dialogue national sans exclusive entre les Haïtiens, de protéger et de promouvoir les droits humains ; épauler le Gouvernement haïtien dans les activités qu’il mène, en vue : de planifier et de tenir des élections libres, justes et transparentes ; de renforcer la capacité de la Police nationale d’Haïti de faire face à la violence des gangs et à la violence sexuelle et fondée sur le genre et de maintenir l’ordre public, notamment grâce à l’organisation de cours de formation sur les droits de la personne et la maîtrise des foules ; de mettre au point une approche inclusive, associant tous les secteurs de la société en vue de réduire la violence de quartier, et en particulier la violence des gangs ; de lutter contre les atteintes aux droits de la personne et les violations de ces droits et de s’acquitter des obligations internationales, qui lui incombent dans le domaine des droits de la personne ; d’améliorer la gestion de l’administration pénitentiaire et le contrôle des lieux de détention, afin de garantir que les détenus sont traités dans le respect des normes internationales ; de renforcer le secteur de la justice, notamment en adoptant et en appliquant des textes de loi fondamentaux, visant à promouvoir la réforme de ce secteur, en renforçant le contrôle interne et le respect du principe de responsabilité, particulièrement dans le cadre de la lutte contre la corruption, en s’attaquant au problème de la détention provisoire prolongée, et en veillant à ce que la nomination des juges soit fondée sur le mérite et à ce que leurs mandats soient renouvelés en temps voulu ».

Qu’est-ce qui a été accompli, d’octobre 2019 à février 2020, dans le cadre de la mission, attribuée au Binuh ?

La Résolution 2476 (de l’année 2019), créant le Binuh, le dote d’un groupe consultatif « chargé des questions politiques et de la bonne gouvernance, avec capacités consultatives en ce qui concerne la bonne gouvernance, la justice, les élections, la réforme constitutionnelle » ,…

Comment prétendre engager la république d’Haïti dans une série de réformes, en l’absence d’un gouvernement légitime (avec la présence d’un gouvernement illégal depuis le 18 mars 2019), avec le dysfonctionnement du parlement, la vassalisation du système judiciaire ?

De 1994 à 2020, la communauté internationale a délibérément refusé de se mettre à l’écoute des revendications nationales, en s’alliant avec les oligarchies politiques, qui oppriment la population, selon le constat de plusieurs organisations.

Les différentes missions des Nations unies auraient, plutôt, « contribué à l’aggravation de la situation sociale, sécuritaire et politique de la république d’Haïti ».

« Le bilan des différentes missions des Nations unies, qui se sont succédé de 2004 à date (2020), reste peu convaincant.

D’une part, les causes fondamentales de l’instabilité et de l’insécurité n’ont pas pu être résolues. En témoignent, entre autres, la remontée et l’amplification de la violence des gangs, le banditisme et l’insécurité généralisée, le dysfonctionnement du Parlement haïtien, et le manque d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire haïtien, etc.

D’autre part, les missions des Nations unies, particulièrement la Mission des Nations unies de stabilisation en Haïti (Minustah), ont rajouté aux malheurs du pays, par l’introduction du choléra, qui a tué des milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens, et par la perpétration de nombreux actes d’exploitation sexuelle à l’encontre de femmes, de fillettes et de garçons par les casques bleus, sans que les victimes aient reçu les réparations auxquelles elles ont droit. Toutes ces violations des droits du peuple haïtien sont restées impunies et cela contribue au renforcement de l’impunité dans le pays.

Malgré la présence, pendant les deux dernières années (de 2017 à 2019), de la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth) - dont les principales tâches étaient d’appuyer le développement de la Police nationale d’Haïti (Pnh) et de renforcer le système judiciaire haïtien -, l’institution policière reste très faible, même quand le nombre de policiers a augmenté ».

Au lieu d’une « logique d’une multiplication des missions spéciales en Haïti », le Conseil de sécurité des Nations unies devrait plutôt « s’engager dans une évaluation, sans parti pris, du bilan, qu’ont laissé les différentes missions onusiennes, de 1994 à 2020 », estiment des sources informées, interrogées par AlterPresse. [rc apr 05/02/2020 0:00]