Español English French Kwéyol

Haiti / Dossier Neptune : Le Conseil des Sages se prononce

Le Conseil des Sages note avec beaucoup d’inquiétude les dérives de plus en plus marquées qui caractérisent la gestion politique du dossier de l’ex Premier Ministre du gouvernement Lavalasse, Yvon Neptune, qui est incarcéré suite à sa mise en cause dans la tuerie de La Scierie à Saint-Marc (février 2004) et non pour ses opinions politiques. Ces dérives sont observées tant chez les autorités haïtiennes que chez certains partenaires étrangers, en particulier la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) relayée par M. Luigi Enaudi, Secrétaire Général Adjoint de l’OEA (Organisation des Etats Américains). Ces dérives découlent du non respect de certains principes fondamentaux que le Conseil des Sages tient à rappeler.

1. Dans un Etat de Droit, les citoyens-nes sont égaux en droit et devant la Loi. Les traitements de faveur accordés à M. Neptune sont déjà en soi des atteintes à ces principes. Se prévaloir de ces faveurs pour exiger sa libération inconditionnelle constitue un mépris de la Justice haïtienne et une atteinte grave aux droits des autres prévenus-es. Au nom de quelle particularité ces principes ne seraient-ils pas applicables en Haïti, pour ceux-là même qui clament vouloir aider à l’instauration d’un Etat de Droit Démocratique ?

2. La Constitution haïtienne consacre l’indépendance du Pouvoir Judiciaire qui a donc l’entière responsabilité du dossier Yvon Neptune dans ses différents aspects humanitaire, sécuritaire et juridique. Au nom de quelle légitimité particulière, le Pouvoir Exécutif, ou la Communauté Internationale, aurait-il le monopole de la raison humanitaire, ce au détriment du Système Judiciaire que l’on prétend vouloir aider à renaître des cendres qu’a particulièrement laissées le régime Lavalasse ? Par le biais d’un passe-droit, on veut permettre à M. Neptune de contourner les lenteurs d’un Système Judiciaire qu’il avait pourtant, en tant que Premier Ministre, la responsabilité de rendre plus performant. C’est une iniquité envers les autres prévenus-es qui subissent les effets de la détention provisoire prolongée, ce d’autant plus que M. Neptune a lui-même aggravé les lenteurs en contestant systématiquement les procédures.

3. La lutte contre l’exclusion, qui est une exigence démocratique vitale pour l’avenir du pays, doit se traduire concrètement par une justice impartiale et équitable qui traite sur un pied d’égalité tous les citoyens-nes. Comment peut-on en même temps prôner la lutte contre l’exclusion et faire pression pour que le Gouvernement de Transition accorde un traitement exceptionnel au justiciable Yvon Neptune ?

4. Au nom du principe du droit à la défense, Yvon Neptune, tout comme tous les autres prévenus-es, doit avoir la possibilité de se défendre des accusations portées contre lui. Au nom des Droits de la Personne, l’accès aux soins que requiert son état de santé doit lui être garanti, tout comme à tous les autres prévenus-es.

Le Conseil des Sages exhorte le Chef de l’Etat, le Premier Ministre et l’ensemble des membres du gouvernement ainsi que les autorités judiciaires, à baser leurs décisions et leurs actions sur le respect des principes évoqués. L’Exécutif doit avoir une position univoque sur ce dossier et en informer les populations, afin d’éviter d’autres dérives et une exploitation politicienne de la situation. C’est la seule façon de démontrer aux populations qu’il y a une volonté politique de gouverner de manière responsable et de permettre que justice soit correctement rendue. C’est également par la conformité de ses déclarations et des ses actes que la Communauté Internationale pourra rendre crédible les objectifs déclarés au sujet de l’accompagnement pour le renforcement des institutions étatiques. Le jugement de M. Neptune, qui en soi relève de l’action judiciaire normale, revêt dans le contexte actuel un caractère hautement symbolique.

Port-au-Prince, le 10 mai 2005

Pour le Conseil des Sages

Danièle Magloire, Porte parole