Cet article [1] synthétise une analyse générale du système d’enregistrement des naissances en Haïti, avec un regard soutenu sur ses faiblesses, ses menaces, et ses impacts sur la protection des enfants. Il fait aussi un survol autour de quelques mesures intéressantes, ayant été adoptées en vue de contribuer à la modernisation et l’argilisation du système. L’article se termine par une proposition méthodologique, qui permettra de conduire un diagnostic en profondeur de la question.
Par Mickens Mathieu [2]
Soumis à AlterPresse le 28 janvier 2020
L’enregistrement des naissances, définition et les différentes étapes
L’enregistrement est un acte juridique, par lequel la naissance d’un enfant sur un territoire donné est reconnue de manière officielle et permanente. À travers cet acte, les autorités nationales compétentes établissent la personnalité juridique de l’enfant, en lui garantissant le bénéfice d’un ensemble de prérogatives fondamentales attachées à tout individu, comme le droit à une identité, un nom et un prénom, une date de naissance, un sexe (ou à la rigueur une identité sexuelle), des parents, une nationalité, une personnalité juridique et un héritage.
L’ensemble de ces droits sont consacrés aux articles 7 et 8 de la Convention des Nations unies, relative aux droits de l’enfant, et aux articles 6 et 15 de la Déclaration universelle des droits humains (Dudh).
Les dispositions juridiques, établies dans l’article 55 du code civil haïtien, font obligation aux parents (père ou mère) ou au personnel soignant (médecins, chirurgiens, sages-femmes), et autres personnes présentes lors de l’accouchement, de procéder à la déclaration de la naissance du nouveau-né, au cours du mois de l’accouchement, dans le bureau de l’officier de l’état civil du lieu de domicile de la mère ou du lieu de naissance de l’enfant.
Les dispositions du code pénal haïtien, en ses articles 294-299, prévoient des peines, pouvant aller jusqu’à 30 jours d’emprisonnement, contre toute personne ayant assisté à la naissance d’un enfant et n’ayant pas effectué la déclaration de celle-ci aux autorités compétentes.
Conformément aux prescriptions juridiques en vigueur en Haïti, l’enregistrement des naissances se réalise en trois étapes principales (Rousseau, 1991, Loutis, 2007 ; Bertin et Drogue, 2012) :
• La première étape est la déclaration, à l’officier d’état civil, de la naissance de l’enfant, du lieu de résidence habituelle de la mère ou, le cas échéant, du lieu de l’accouchement ;
• La deuxième étape est l’enregistrement, qui consiste à consigner, officiellement dans l’acte de naissance, un ensemble d’indications en rapport au nouveau-né, telles que le nom et le prénom, la date de naissance, le sexe, la légitimité, les noms et prénoms du père et de la mère, la profession du père et de la mère, le lieu habituel de résidence de la mère et du père, le lieu et la date de l’enregistrement ;
• La troisième étape est l’émission d’un document juridique authentique et officiel, scellé et signé par l’officier d’état civil et par le Doyen du tribunal civil (bien que presque jamais respecté). Il est appelé acte de naissance (ou en Créole batistè). Ce document, une fois émis, représente une attestation de l’enregistrement de la naissance de l’enfant et sert de preuve juridique de la reconnaissance légale de l’enfant, sur le territoire national, par l’Etat.
Lorsque l’accouchement a eu lieu dans un centre hospitalier, une attestation de naissance est délivrée aux parents. Celle-ci servira, par la suite, à l’enregistrement du nouveau-né au bureau de l’état civil, tel que prévu par la loi.
Lorsque l’accouchement se réalise à domicile, il revient au père, ou à toute personne présente lors de l’événement, de procéder à la déclaration de l’enfant, auprès de l’officier de l’état civil, en vue de l’obtention du certificat de naissance.
Le non-enregistrement des naissances un défi majeur pour la protection des enfants
En dépit des progrès remarquables, enregistrés au cours de ces dernières décennies, le non-enregistrement des naissances reste et demeure un phénomène de grande ampleur dans la société haïtienne.
De même, il constitue un handicap majeur à la protection et au développement personnel des enfants ainsi qu’au développement socio-économique du pays.
En effet, un enfant, privé d’un acte de naissance délivré par l’État haïtien, est comparable à un enfant vivant dans l’anonymat juridique, dans l’incognito ou dans la clandestinité.
Le fait pour un enfant de ne pas détenir cette pièce administrative risque d’entraver son accès à un ensemble de droits socio-économiques fondamentaux, tels : l’éducation, la santé, la citoyenneté et la protection.
L’absence de cette pièce administrative peut aussi priver l’enfant d’autres droits connexes, comme le droit de voter (une fois majeur) et de se faire élire, le droit au mariage formel, celui de posséder un compte bancaire et des propriétés, le droit de détenir d’autres pièces d’identification d’égale d’importance, comme un passeport et une carte d’identité.
Suivant cette même ligne d’idées, il est prouvé que l’absence de documents, justifiant l’âge d’un enfant, peut le démunir de certaines protections spéciales, concernant la justice des mineurs, lorsqu’il est victime ou coupable d’un acte criminel.
De plus, ces problèmes d’enregistrement représentent des pierres d’achoppement à l’application des lois et des politiques publiques, luttant contre certains phénomènes sociaux positionnant les enfants dans des situations de vulnérabilité, telles que le marché du travail, où ils peuvent faire l’objet d’abus et d’exploitation de la part des employeurs de mauvaise foi ou sans scrupule.
Cette observation est aussi valable en cas de mariage illégal (précoce ou forcé) des enfants.
Cette même réalité concerne certains groupes d’enfants abandonnés ou séparés de leurs parents, puis placés en domesticité (restavèk). Ces enfants ont de fortes chances d’ignorer leur âge et leurs noms de famille.
L’absence d’un acte de naissance rend souvent difficile tout processus cherchant à établir un lien de filiation entre l’enfant et ses parents biologiques, ou tout processus conduisant à la réunification familiale.
Les enfants sans acte de naissance sont sujets à l’apatridie, en cas de migration irrégulière ou en cas de naissance sur un territoire étranger de parents sans papiers, submergés par la peur d’être rapatriés au moment d’une déclaration de naissance, si jamais les autorités du pays d’accueil découvrent la non-conformité de leurs statuts de résidence (Unicef, 2002 ; Nations unies, 2014).
Le cadre institutionnel d’enregistrement des naissances, ses faiblesses et ses menaces
Au regard de l’importance de l’enregistrement, dans le développement socio-économique d’un pays et de ses habitantes et habitants, il est pertinent d’établir des diagnostics fiables, capables de fournir une compréhension globale de la situation et d’orienter les politiques publiques, en vue du redressement de la situation.
La priorisation de l’approche exhaustive et transversale, dans une telle démarche, est pertinente, dans la mesure où le succès - en matière d’enregistrement des naissances dans un pays ou une région géographique spécifique - dépend d’un ensemble de facteurs complexes d’ordre politico-institutionnel, familial, économique et culturel.
Le facteur institutionnel revêt une importance capitale, dans la mesure où l’institution existante doit revêtir un cadre juridico-légal et procédural, une structure organisationnelle, d’infrastructures, de technologies, de ressources humaines et financières, en vue de garantir l’enregistrement et la livraison de certificats de naissance, dans un délai préalablement établi à toutes les naissances vivantes, sans discrimination aucune et suivant la mise en œuvre du droit universel à l’enregistrement.
Dans le contexte haïtien, l’enregistrement des naissances fait partie intégrante d’un système d’enregistrement plus large des phénomènes sociodémographiques classiques, incluant les naissances, les décès, les mariages, les divorces et les adoptions.
Trois institutions étatiques interviennent dans la gestion du système de l’état civil en Haïti. Ce sont le Ministère de la justice et de la sécurité publique (Mjsp), le Ministère des affaires étrangères, les Archives nationales, et d’autres institutions non étatiques comprenant les paroisses de l’Eglise catholique romaine et des Organisations non gouvernementales / Ong (Rousseau, 1991, Pnud, 1999).
Le Ministère de la justice et de la sécurité publique, à travers le service d’inspection et de contrôle de l’état civil de la Direction des affaires judiciaires, détient la responsabilité de recrutement, de nomination, de contrôle, de supervision des officiers de l’état civil, dans la réalisation de leurs fonctions.
Sur la base de ces prérogatives, il est clair que l’état civil haïtien fait partie intégrante du Ministère de la justice et de la sécurité publique, qui assure la gestion des ressources financières, humaines et financières, allouées à ses différentes activités.
Il est à remarquer que les structures, appelées à gérer le système d’enregistrement de l’état civil en Haïti, n’existent que de nom. Ces dernières ne sont pas fonctionnelles, par manque de budget.
Cette situation offre le champ libre aux officiers de gérer les bureaux sans respect des procédures légales en vigueur.
Le Ministère des affaires étrangères s’occupe des documents, relatifs à l’état civil des
Haïtiennes et Haïtiens résidant à l’étranger, par l’entremise des ambassades et des consulats haïtiens des pays de résidence.
Les Archives nationales d’Haïti (Anh), de leur côté, constituent une structure déconcentrée du Ministère de la culture et de la communication (Mcc). Elles ont pour mission de stocker, protéger et conserver le double des registres de l’état civil haïtien, en particulier, et le patrimoine écrit de la république, de manière générale.
Elles sont habilitées à fournir, sur demande, un extrait des requérants nationaux. Cet extrait est l’un des rares documents officiels, acceptés par les instances, tant nationales qu’internationales, pour les inscriptions à l’Université ou pour entreprendre les démarches relatives aux voyages vers les pays étrangers.
Les Archives nationales sont confrontées à un ensemble de problèmes majeurs, non résolus jusqu’alors, en relation avec la sécurisation des documents, le relais et le contrôle du travail des officiers d’état civil, l’encombrement, dû en grande partie à des dossiers en souffrance, suite à leur non-enregistrement dans les archives nationales, l’envahissement des raketè.
Les Ong occupent une place centrale au niveau des organisations non étatiques.
Ces institutions apportent généralement leur appui au système d’état civil, à travers des assistances techniques, financières, en sensibilisation et en vulgarisation.
Parmi ces Ong, on peut citer la plateforme Groupe d’appui aux rapatriés et refugiés (Garr), Droits et Démocratie, la Fédération luthérienne mondiale (Flm), la Fondation Nouvelle Haïti (Fnh).
Actuellement, sur toute l’étendue du territoire national, sont dénombrés moins de 200 bureaux d’état civil - fonctionnant sous la juridiction de moins de 20 tribunaux civils - moins de 10 inspecteurs et moins de 20 contrôleurs, devant desservir une population de plus de 11 millions d’habitantes et d’habitants (Bertin et Drogue, 2012).
Les bureaux d’Etat civil, à raison d’un par commune, sont traditionnellement localisés dans les centres urbains et des bourgs du pays, laissant les communautés des sections communales au dépourvu, en dépit du fait que la majorité de la population haïtienne ait toujours vécu dans les espaces ruraux et aient mis leurs enfants au monde dans le foyer parental, souvent à dix mille lieux des centres urbains.
Les derniers chiffres de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (Ihsi) montrent qu’environ 60% de la population haïtienne réside en milieu rural.
Le personnel des bureaux d’état civil est principalement constitué d’un officier, dit officier d’Etat civil, et de quelques clercs, qui l’assistent, théoriquement, sous forme de bénévolat dans la réalisation de leurs fonctions, surtout en appui auprès des populations éloignées.
L’officier d’Etat civil est un fonctionnaire de l’Etat haïtien, nommé par le président de la république, sur recommandation du ministre de la justice. Cette nomination se réalise généralement sous influence des relations politiques et sans formation préalable, en raison du fait qu’il n’existe pas, en Haïti, de centre de formation pour ce type de fonction.
Actuellement, les officiers d’Etat civil haïtiens sont, en grande partie, des personnes relativement âgées, titulaires d’un BAC I et/ou BAC II.
En raison de leur faible compétence et du manque de recyclage autour des tâches à exécuter, les officiers d’Etat civil n’exercent pas avec efficacité leurs fonctions. Ils commettent souvent des erreurs au niveau du contenu des actes de naissance des citoyennes et citoyens.
Ces erreurs, commises généralement dans les noms et les dates de naissance, ne peuvent pas être facilement détectées par les parents de faible niveau de scolarité.
Ces mêmes erreurs constitueront, plus tard, des difficultés énormes pour l’obtention d’un autre papier important, comme un passeport ou un extrait d’archives de l’acte de naissance, auprès de l’administration publique.
Le prix à payer, pour la correction de ces erreurs, est généralement exorbitant, au regard des possibilités économiques de la majorité de la population haïtienne, en dépit du fait que les dernières aient été commises par un agent public (Bertin et Drogue, 2012).
Il est à noter que les actes de naissance, émis par les officiers d’Etat civil, sont souvent entachés d’irrégularités, falsifiés, trop facilement falsifiables, non répertoriés, non enregistrés, ou enregistrés suivant des procédures irrégulières.
Pour ces raisons, ils sont systématiquement considérés comme non fiables pour la réalisation de certaines démarches importantes, auprès de l’autorité publique haïtienne, en vue de l’obtention, par exemple, d’un passeport, d’une carte d’identité, d’un numéro d’enregistrement fiscal, d’un acte de mariage et d’un compte bancaire.
La requérante ou le requérant doit, à cette fin, procéder à l’acquisition d’un extrait des archives, offrant une plus grande garantie d’authenticité, étant délivré avec un hologramme, peu enclin à la falsification.
En fait, l’extrait d’archives ou extrait des registres des actes de l’Etat civil est une copie du registre, tenu par les officiers de l’Etat civil, expédiée, chaque année, au Ministère de la justice, puis aux Archives nationales d’Haïti (Anh), en regard des pratiques et des procédures en vigueur.
Selon ces dernières, les informations en Français, portées sur l’acte manuscrit, doivent être consignées par l’officier, dans un registre qui reste au bureau et dans un autre, qui doit être expédié au Ministère de la justice à Port-au-Prince.
L’obtention d’extraits d’archives constitue un autre casse-tête pour la majorité des Haïtiennes et Haïtiens, en raison des frais administratifs et judiciaires élevés, du coût des transports et du logement, et de la lenteur de l’administration publique haïtienne.
Dans ce contexte, l’obtention d’un extrait d’archives est le résultat d’un processus lent, à cause des allers-retours incessants, et le processus représente un parcours de combattant.
Il est à remarquer que des officiers, surtout ceux des villes et des bourgs de province, peuvent passer des années, sans transmettre les registres au bureau central de Port-au-Prince.
Les raisons avancées sont surtout le coût des transports et la sécurité des documents.
En raison de cette situation, des milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens se trouvent dans l’impossibilité d’obtenir un extrait d’archives, les registres contenant les informations relatives à leurs naissances n’ayant pas été retrouvés aux Archives nationales à Port-au-Prince. Ils sont donc contraints d’entreprendre une longue et coûteuse démarche, sans aucune garantie que le processus aboutira et qu’ils pourront récupérer, avec certitude, un extrait d’archives fiable et authentique, ce en bonne et due forme.
Dans le budget de fonctionnement du pays, il n’existe pas de rubrique, consacrée à la croissance ou à l’investissement dans les bureaux d’Etat civil haïtien.
Les fonds, alloués par le Ministère de la justice et de la sécurité publique, sont historiquement faibles. Ces fonds ne sont pas à même de couvrir les frais de fonctionnement des bureaux, y compris l’achat des fournitures et mobiliers et l’entretien des locaux.
La plupart des bureaux de l’Etat civil haïtien ne disposent pas de coffres-forts, en vue du stockage et de la sécurisation des documents, émis en faveur de la population desservie.
Lorsque les formulaires d’enregistrement ne sont pas disponibles, les déclarations sont inscrites dans un cahier ordinaire, parfois rongé par des bestioles, afin d’être retranscrites, par la suite, dans les registres conçus à cette fin.
Les bureaux d’Etat civil, tout comme des tribunaux de première instance du pays, offrent, parfois, des spectacles affligeants, en raison de l’état de délabrement de leurs locaux et de leurs mobiliers (tables et chaises bancales, poussiéreuses, surannées).
Cet état de faits est non seulement une source de répulsion de la part des parents, mais aussi source d’un système de financement parallèle et de corruption, servant à assurer le fonctionnement des bureaux et à favoriser l’enrichissement des officiers et des collègues appartenant à leurs réseaux.
Dans ce contexte, une facture anormalement élevée est reçue pour l’obtention des actes de naissance, qui sont légalement gratuits.
Il est important de souligner que la gratuité de l’acte de naissance est souvent ignorée des parents, habitués à utiliser les services des raketè, qui se font passer pour des facilitateurs. Ces raketè se font parfois passer pour des avocats, promettant aux individus de leur faciliter l’octroi, en toute célérité, des pièces recherchées, une fois versée la somme d’argent sollicitée.
Cependant, ces papiers sont souvent des faux, avec des sceaux invalides et n’ayant pas été enregistrés dans les archives du système de l’Etat civil national. Dans ce cas, la personne bafouée est obligée de reprendre le processus et de payer les frais supplémentaires nécessaires. Ce genre de pratiques provoque une perte de temps, d’argent et l’effritement de la confiance de la population aux services et autorités étatiques.
En plus des défaillances de l’administration de l’Etat civil haïtien, les facteurs socio-culturels sont aussi fondamentaux pour comprendre les causes des succès ou des échecs, observés dans l’enregistrement des enfants en Haïti.
En effet, des milliers de parents, en raison de leur faible niveau de scolarité et de leurs lieux de résidence, ne sont pas capables de comprendre la nécessité et les retombées, immédiates ou à termes, de l’inscription de leurs enfants, nouvellement nés dans les registres de l’État civil.
Lorsque l’espacement des naissances est très proche, les parents peuvent avoir plusieurs enfants, n’ayant pas été inscrits dans le système d’Etat civil haïtien.
Le besoin d’entreprendre une telle démarche se fait sentir, lorsque les enfants tombent malades, doivent se faire vacciner, s’inscrire à l’école ou bénéficier d’une aide quelconque d’une agence gouvernementale ou non gouvernementale.
Selon la tradition, certains parents sont réticents à enregistrer leurs enfants, parce que la date de naissance de ces derniers peut être utilisée par des méchants ou des move je pour faire du mal à l’enfant, au moyen de la sorcellerie.
Ces faits et pratiques socio-culturels sont en corrélation avec le faible niveau de scolarité, le faible accès à l’information de certaines couches de la population haïtienne.
En effet, les parents faiblement scolarisés ou non alphabétisés, en milieu rural haïtien (autrefois nommés paysans, ils détenaient un acte de naissance, différent de celui de la population citadine), peuvent ignorer complètement les démarches administratives à suivre, en vue d’enregistrer et d’obtenir l’acte de naissance de leurs enfants.
De même, ils peuvent ignorer complètement l’existence, le contenu des textes de lois, régissant la matière, au regard de la complexité et de la diversité de ces derniers.
Le poids des familles monoparentales, dirigées par des femmes, influence, dans une certaine mesure, la sous-déclaration des naissances, par crainte d’être mal jugées ou stigmatisées par l’officier ou le personnel du bureau.
En effet, les enfants des mères monoparentales sont fréquemment nés en dehors des liens de mariage ou des relations matrimoniales formelles. En plus, les pères ont tendance à abandonner ou refuser de reconnaître les enfants, nés de femmes avec lesquelles les relations n’ont pas été formellement établies.
Il est aussi à remarquer que la législation haïtienne accorde la primauté au père, au moment de la déclaration de l’enfant, lorsqu’elle établit, à l’article 55 du code civil, que « …. la naissance de l’enfant sera déclarée par le père, ou à défaut du père, par la mère légitime …. ».
Cet article consolide les us et coutumes haïtiens, en rapport au rôle du père au moment de la déclaration des nouveau-nés. Les mères se retrouvent généralement dans une situation d’inconfort et de réticence, lorsqu’elles doivent réaliser cet acte, en absence du père.
La vulnérabilité socio-économique des mères monoparentales représente un autre facteur contraignant, en raison du fait que la priorité est donnée à la survie de leurs enfants et non à l’enregistrement de leurs naissances. De plus, ces mères sont souvent privées du soutien économique d’un mari, père de l’enfant venant de naître (Nations unies, 2014).
Il peut aussi exister des cas, où les mères attendent le retour de leurs maris, se trouvant en situation de migration temporaire dans d’autres pays ou dans d’autres zones du pays, pour l’enregistrement de leurs nouveaux-nés.
Ces situations sont fréquentes dans les zones affectées par de forts mouvements migratoires internes et internationaux, vers les milieux offrant des opportunités de travail dans le secteur agricole (Artibonite, Arcahaie, Plaine des Cayes, République Dominicaine).
Un survol de quelques mesures intéressantes des organismes étatiques et non étatiques
Depuis l’année 2005, le gouvernement haïtien, avec l’aide de ses partenaires internationaux, à travers le Programme interaméricain d’enregistrement universel de l’État civil dans les Amériques (Puica), a initié une série de projets, orientés vers la modernisation, l’autonomisation et la simplification du système de l’état civil national.
Le projet Puica a bénéficié du financement de l’Organisation des Etats américains (Oea), de l’Agence canadienne de développement international (Acdi), de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), du Vénézuéla et du Japon.
Dans le cadre de l’implémentation de ce projet, l’Office national d’identification (Oni) a été mis en place, en vue de permettre au pays d’enregistrer plus de six millions de ses filles et fils.
Cependant, des millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens, n’ayant pas encore atteint l’âge majoritaire, n’ont pas été habilités à s’inscrire dans ces registres civils de l’État.
Durant cette même période et plus précisément en 2006, les Archives nationales d’Haïti (Anh) ont mis en œuvre le projet intitulé « Système intégré de gestion de l’État civil » (Sigec).
L’objectif de ce projet consistait à digitaliser, déconcentrer et accélérer les opérations des Archives nationales. Il a bénéficié de l’appui financier de l’Association internationale des maires francophones (Aimf) et de l’Oea (Celicourt, 2017).
Il est à noter que ces projets de renforcement et de perfection ne sont pas parvenus à la modernisation et à la généralisation du système d’enregistrement de l’état civil en Haïti, en vue de son universalisation.
Ces initiatives constituent, pourtant, des bases efficientes, sur lesquelles le pays pourra capitaliser, afin d’entrer dans une nouvelle ère de son système de l’état civil, marquée par les principes de modernisation, d’universalisation, d’exhaustivité, d’agilisation, de transparence (minimisation des fraudes et des raketè), de fiabilité, d’accessibilité, d’efficacité, de permanence et de non-discrimination.
D’autres initiatives du même genre devraient être conçues et mises en œuvre, dans le but de fournir des services de proximité aux communautés des zones rurales et périurbaines, les plus affectées par la marginalité et la vulnérabilité.
Elles devraient, dans la mesure du possible, être guidées par des référents ou des principes d’inclusion, d’équité, de délocalisation, de décentralisation (transfert de compétences vers les collectivités), de disponibilité et d’accessibilité aux infrastructures et aux services.
Cette démarche doit être accompagnée par des mécanismes de sensibilisation, concernant l’utilité de l’enregistrement des naissances pour la reconnaissance et la jouissance des droits fondamentaux et des opportunités disponibles sur le territoire national.
Les médias, les universités, les écoles, les églises, les organisations de la société civile pourraient jouer un rôle de premier plan, dans le processus de mise en œuvre de telles initiatives.
Regard sur les démarches méthodologiques à adopter en vue d’effectuer un diagnostic en profondeur de la question
Il importe de préciser que l’ensemble des éléments d’informations, présentés dans ce texte, devrait être actualisé et faire l’objet d’une analyse plus approfondie, en vue de mieux orienter les programmes et projets à mettre en œuvre, afin de satisfaire les besoins de la population haïtienne en service d’état civil.
Pour réaliser les objectifs d’une telle étude, une démarche méthodologique doit être priorisée.
Elle conjuguera, de façon non séquentielle, une phase quantitative et une autre qualitative.
La combinaison de ces deux approches se justifie par la complémentarité de leur contribution, dans la construction d’une photographie ou d’un diagnostic plus complet du problème, lié à l’enregistrement des naissances en Haïti.
La phase quantitative permet d’estimer et de comparer la taille (nombre), la composition, la distribution ou la concentration des actrices et acteurs, des personnels, des infrastructures et des institutions d’état civil, sur toute l’étendue du territoire national.
Au regard des objectifs spécifiques de l’étude, il ne sera pas nécessaire d’établir des méthodes d’échantillonnage, pour collecter des informations quantitatives auprès des actrices et acteurs, et des institutions.
Pour cette phase, des questionnaires, préalablement élaborés et testés auprès des actrices et acteurs, et des institutions concernées par cette étude, seront administrés par l’équipe désignée à cette fin.
Les données quantitatives, préalablement collectées, feront l’objet de traitements statistiques, à l’aide du tableur Excel et au moyen du logiciel Stata ou SPSS. Les données seront présentées sous forme de tableaux, de graphiques et de matrices.
La phase qualitative, pour sa part, consistera à traiter les aspects difficilement quantifiables de l’étude, comme ceux en lien avec la mission, les objectifs, les enjeux, les forces, les faiblesses, les opportunités, les menaces, les pratiques, les goulots d’étranglement, les besoins, les compétences, les expériences, le leadership, la capacité d’influence, le niveau de maturation, les alliances, les conflits, et la qualité de la gouvernance interne des institutions, impliquées dans l’enregistrement des naissances et des faits d’état civil en Haïti de manière générale.
La réalisation de la phase qualitative permettra une interprétation en profondeur des phénomènes, liés à l’étude, à travers l’analyse des attitudes, motivations, la perception et la trajectoire des institutions.
Bibliographie
Bertin Anne et Drogue Cindy (2012), « Haïti : le casse-tête de l’état civil », Plein droit, no. 94.
Célicourt Moïse (2017), « Analyse des coûts et des avantages de la modernisation de l’état civil en Haïti : Outils informatiques au service de l’enregistrement des naissances », Copenhagen Consensus Center, Haïti Priorise.
Loutis Wiza, Beaubrun Saint-Pierre, Isidor Nadège (2007), « Diagnostic des systèmes d’enregistrement à l’État Civil et d’identification nationale en Haïti », Port-au-Prince, Groupe d’appui aux aapatriés et refugiés (Garr) et Droits & Démocratie.
Nations unies (2014), « Enregistrement des naissances et droit de chacun à la reconnaissance en tout lieu de sa personnalité juridique - Rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ».
Pnud (1999), « Justices en Haïti », Port-au-Prince.
Rousseau Jacques-Hendry (1991), « L’enregistrement des faits d’état civil en Haïti : Problèmes posés par la collecte des données », Port-au-Prince, Haïti, Division d’analyse et de recherche démographique, Institut haïtien de statistique et d’informatique.
Unicef (2002), « L’enregistrement à la naissance : un droit pour commencer », Digest Innocent, no.9, pp.
[1] L’auteur tient à remercier les personnes suivantes pour la relecture du texte et pour les commentaires : a) Jacques Hendry Rousseau, maitre en démographie et professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, b) Bogentson André, docteur en démographie et professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, c) Marie Florence Cauvin, employée du rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti.
[2] Docteur en études de population, professeur à l’Université d’État d’Haïti (Ueh)