P-au-P, 23 janv. 2020 [AlterPresse] --- Des juges et avocats plaident pour la mise en place d’un plan de sécurité globale, pour s’attaquer, en profondeur, aux problèmes d’insécurité en Haïti, dans différentes interviews, accordées à l’agence en ligne AlterPresse.
« Le mieux serait de monter un plan de sécurité de façon urgente, incluant les zones 1re, 2e et 3e avenues, et toute la zone du Bicentenaire (au bas de la ville, à Port-au-Prince). Ce plan devrait être stratégique et prendre en compte les personnes, qui alimentent les gangs en armes, munitions et argent », suggère Me. Sonel Jean-François, ancien responsable de l’Unité centrale de renseignements financiers / Ucref (illégalement révoqué en 2017 par Jovenel Moïse, alors qu’il avait été nommé, en 2016, pour un mandat de trois ans) et ancien commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince.
Il règne, au Bicentenaire, un climat de criminalité planifiée et installée, contrairement à l’insécurité, qui est une situation accidentelle, analyse-t-il.
« C’est, en effet, ce climat, entretenu dans les parages du Palais de justice, qui empêche les professionnelles et professionnels du droit de travailler », explique Me. Sonel Jean-François, questionné par AlterPresse.
« Nous avons payé des autorités, dont le président de la république, pour veiller à la bonne marche des institutions, le secrétaire d’Etat à la sécurité publique, le directeur général de la police, entre autres, pour notre sécurité. Alors, il faut qu’ils s’arrangent à monter un plan de sécurité », exige fermement Me. Sonel Jean-François.
« Lors d’une visite, fin décemmbre 2019, aux Gonaïves, le président a rencontré le citoyen Paulda, chef de gang. est-ce un bon signal ? », s’interroge Jean-François, soulignant combien il est nécessaire de traquer également les « grandes » personnalités, impliquées dans ce phénomène.
L’avocat et ancien juge Sonel Jean François rejette l’idée de déplacer le palais de justice, situé au Bicentenaire.
Faut-il déloger le palais de justice au Bicentenaire ?
La reprise des activités juridiques devrait passer par le déplacement du Palais de justice, situé au Bicentenaire, estime l’Association nationale des magistrats haïtiens (Anamah), dans des propos à l’émission FwoteLide sur AlterRadio 106.1 Fm.
« Dans tous les pays du monde, lorsqu’il y a des différends, des problèmes, il revient à la justice de trancher. Quand la justice se trouve dans un endroit, où il ne peut pas trancher, c’est comme si vous disiez aux citoyennes et citoyens de se rendre justice eux-mêmes ? », déclare Jean Wilner Morin, président de l’Anamah.
« Si les autorités jugent important de permettre aux tribunaux de travailler, même provisoirement, elles devraient déplacer le tribunal, où il se trouve, au moins pour pouvoir délivrer à la population ce service public, qui est la justice ».
« Les instances sécuritaires de l’État ne sont jusqu’ici pas en mesure de trouver la meilleure stratégie pour sécuriser la zone. On ne peut pas demander aux professionnelles et professionnels de la justice de se rendre au Bicentenaire », regrette-t-il.
Chaque fois que des détonations d’armes à feu sont entendues, les magistrats, les juges sont obligés de s’abriter sous des chaises, sous des bancs, puis de rentrer rapidement chez eux.
Depuis octobre 2019, les audiences civiles, pénales ainsi que les dossiers au niveau du cabinet de l’instruction sont restés bloqués. Cette situation provoque une augmentation du nombre de personnes détenues dans les prisons, déplore l’Anamah.
Dans ce contexte, « les droits des prisonniers sont bafoués dans les prisons, alors que la Convention interaméricaine des droits humains et la Déclaration universelle des droits humains exigent que les prisonniers doivent rencontrer leurs juges dans un délai raisonnable ».
La zone du Bicentenaire, plongée dans l’insécurité, loge le Palais de justice, le parlement, la Banque centrale et le Bureau du Premier ministre.
Ces périmètres doivent être sécurisés pour permettre aux professionnelles et professionnels de faire leur travail, souhaite, de son côté, l’ancien titulaire du Ministère de la justice et de la sécurité publique (Mjsp), Me Camille Leblanc, qui intervenait à l’émission FwoteLide sur AlterRadio 106.1 Fm.
Me. Leblanc appelle les autorités à mettre en place un plan de sécurité, dans la zone de Bicentenaire, réputée pour des actes de banditisme.
« En attendant de s’attaquer aux problèmes de fond de ce phénomène, la police nationale devrait faire des déploiements, afin d’assurer la reprise normale des activités dans la zone », recommande Me. Leblanc.
Pendant le passage, du lundi 4 au mercredi 13 novembre 2019, du navire-hôpital américain USNS Comfort, en Haïti, la présence de la police nationale a été très remarquable dans la zone. Durant cette période, les bandits n’avaient le choix que de rester dans leurs fiefs, se rappelle Me. Camille Leblanc.
Ce bateau médical américain avait accosté dans les eaux de la capitale haïtienne, pour apporter des soins à la population, durant la période de paralysie globale des activités dans le pays (« pays locked »), débutée à la mi-septembre 2019.
Me Camille Leblanc déplore le manque de moyens et de matériels, accordés à l’institution policière haïtienne, qui l’empêche de travailler normalement.
« Les autorités devraient faire des sacrifices, pour doter la police de moyens adéquats pour sécuriser la population. L’embargo d’armes à feu, imposé à Haïti, par les forces impérialistes, ne saurait être un obstacle à la police de se procurer des armes et munitions ».