Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) recommande à l’État haïtien de faire le recensement des camps d’hébergement et sites de relocalisation ainsi que des familles qui y vivent. Dans un rapport publié le 10 janvier 2020, deux jours avant le 10e anniversaire du terrible qui a ravagé Haïti, l’organisme suggère la mise en oeuvre de programmes sociaux en vue d’accompagner les victimes.
Depuis 10 ans, des milliers de victimes logent dans des taudis, sous des bâches, sous des tentes ou dans des abris semi‑temporels, fournis par les agences humanitaires, rafistolés depuis et devenus par la force des choses, permanents.
Le Rnddh demande aussi d’outiller les cellules de la protection civile, en vue de former la population en général et les élèves d’écoles, sur les comportements à adopter avant, pendant et après les catastrophes naturelles dont les séismes, et de superviser les nouvelles constructions, en vue d’exiger qu’elles soient conformes aux règles parasismiques.
AlterPresse publie un extrait de ce rapport.
I.
1. Le séisme du 12 janvier 2010 a engendré des pertes humaines et matérielles énormes. L’Etat haïtien, mis à genoux par la catastrophe, était dans l’incapacité totale de venir en aide aux victimes. Conséquemment, le pays n’aurait pu s’en sortir sans l’aide en eau, nourriture, soins médicaux, abris, etc., offerte alors par les agences humanitaires internationales. Cependant, le Rnddh déplore le fait que le pays était transformé en un marché d’agences humanitaires dont plusieurs se battaient pour leur visibilité et pour les interventions desquelles, aucun bilan n’est disponible.
2. L’une des premières décisions prises par les autorités étatiques d’alors a été de s’offrir la possibilité de gérer la catastrophe à coup de déclaration d’état d’urgence sur le territoire national. Ceci leur a permis d’engager exceptionnellement des sommes faramineuses pour l’exécution de projets dont les résultats sont demeurés invisibles.
3. Les espaces qui ont été déclarés d’utilité publique pour la relocalisation des victimes n’ont pas été, pour la plupart, préparés à les recevoir. Conséquemment, ils se sont vite transformés en bidonvilles. Certains autres sites de relocalisation, préparés par des agences humanitaires, sont aujourd’hui, insalubres. Les abris semi-temporels alors offerts, sont tombés en décrépitude. Pour sa part, le projet 16/6 mis en œuvre pour déloger les victimes de seize (16) camps localisés alors à Port-au-Prince, a accéléré le processus de bidonvilisation de nombreuses zones de la capitale. Malgré les mises en garde des organisations de droits humains sur les effets néfastes de ce projet, il a été réalisé avec la bénédiction des autorités étatiques.
4. Dans le cadre de ce rapport, le Rnddh a visité dix-huit (18) camps d’hébergement et sites de relocalisation. Ces visites lui permettent d’affirmer que les autorités étatiques font peu cas des victimes du séisme qui vivent aujourd’hui encore dans des conditions infrahumaines, sans électricité, sans accès à l’eau potable, à l’éducation, aux soins de santé, aux latrines et sans accès au transport public.
5. De plus, les abris de ces victimes sont constitués de tentes et des bâches usées et trouées, incapables de les protéger contre les intempéries. Oubliées par l’Etat haïtien, elles sont la proie de bandits armés, les rares antennes de police mises à leur disposition n’étant pas équipées pour leur venir en aide lors de la commission d’actes attentatoires aux vies et aux biens.
6. En raison de l’absence de politique d’urbanisation et de construction de logements sociaux par l’Etat, plusieurs occupants-tes des sites de relocalisation ont construit des maisonnettes en dur.
7. Par ailleurs, le centre-ville de Port-au-Prince a été partiellement déclaré d’utilité publique. Certains propriétaires expropriés ont été dédommagés. D’autres ont été expulsés par des individus armés, chargés par les autorités étatiques d’instaurer la peur dans les quartiers concernés, portant ces propriétaires à fuir les zones concernées. Des édifices effondrés qui devaient y être reconstruits, certains ont effectivement vu le jour alors que de nombreux autres ne peuvent même pas être retracés.
8. Parallèlement, dès la fin de l’année 2010, des personnes qui s’étaient réfugiées dans les camps, ont été expulsées avec violence par les propriétaires de terrains privés qui craignaient de ne pouvoir les porter à partir si la situation perdurait. Celles qui avaient investi les places ou d’autres espaces publics, ont été expulsées par les autorités étatiques. Si certaines avaient reçu des sommes allant de cinq mille (5,000) à vingt mille (20,000) gourdes, d’autres, accusées d’engendrer des troubles à l’ordre public et de s’adonner à des actes répréhensibles, ont été chassées à coups de pierres, de tessons de bouteilles ou par le feu mis dans certains abris.
9. Pour sa part, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh) n’a pu tenir ses promesses. Gérée dans l’opacité la plus totale et ayant approuvé des projets pour des sommes d’argent faramineuses, elle constitue la plus grande preuve du fiasco engendré par la mauvaise gestion du séisme tant par les autorités étatiques que par la communauté internationale composée de pays amis d’Haïti et de grandes agences humanitaires et de développement. Les attentes de la société vis à vis de cette structure n’ont pas du tout été comblées.
10. Les autorités étatiques ne ratent jamais une occasion pour affirmer que le pays peut faire face à un séisme, ayant retenu les leçons du 12 janvier 2010. Le Rnddh estime que c’est faux. D’une part, la population n’a pas été formée sur les comportements à adopter avant, pendant et après les séismes. D’autre part, la mauvaise gestion, qui a été faite du séisme qui a frappé, en date du 6 octobre 2018, les départements du Nord-Ouest et de l’Artibonite, a clairement démontré que l’Etat haïtien était incapable d’organiser l’octroi des soins de santé aux victimes ou de faire le suivi des cas préoccupants, incapable d’acheminer l’aide à temps, en qualité et en quantité suffisante aux victimes, incapable d’organiser les distributions de l’aide, dans le respect de la dignité humaine et incapable de coordonner les équipes d’évaluation de bâtiments qui avaient été déployées sur le terrain.
11. Les dix (10) dernières années ont tout simplement été utilisées par les autorités étatiques pour cacher du regard, les victimes du séisme et se débarrasser d’elles.
12. Les dix (10) dernières années ont aussi été utilisées par des candidats pour promettre aux victimes la réalisation de leurs droits socioéconomiques et l’amélioration de leurs conditions de vie. Après leur élection, ils ont élaboré, en leur nom, des projets qui n’ont jamais vu le jour.
13. Les dix (10) dernières années ont enfin été utilisées pour appauvrir encore plus la population haïtienne.
14. Aujourd’hui, les camps d’hébergement et sites de relocalisation se sont incorporés au système urbain d’Haïti. Et, aucun plan de développement du pays ne peut être mis en œuvre sans tenir compte de cette population.
15. Sur la base de ces considérations, le Rnddh recommande aux autorités étatiques de :
• Faire le recensement des camps d’hébergement et sites de relocalisation ainsi que des familles qui y vivent ;
• Mettre en œuvre des programmes sociaux en vue d’accompagner les victimes du séisme du 12 janvier 2010 ;
• Outiller les cellules de la protection civile en vue de former la population en général et les élèves d’écoles, sur les comportements à adopter avant, pendant et après les catastrophes naturelles dont les séismes ;
• Superviser les nouvelles constructions en vue d’exiger qu’elles soient conformes aux règles parasismiques.