Par Joà« l Lorquet
Soumis à AlterPresse le 29 avril 2005
Du 10 au 17 avril dernier, à l’initiative du Professeur Paul Lucien Lacarrière, Coordonnateur de Programmes en langues étrangères à l’Université Quisqueya (UNIQ), un groupe d’étudiants en provenance de plusieurs universités du pays a effectué un séjour linguistique en République Dominicaine. Ce voyage devait permettre aux participants de parfaire leur connaissance de la langue espagnole, en développant les fonctions langagières en tenant compte des registres et se familiariser avec la culture dominicaine dans ses aspects sociaux, économiques, politiques et artistiques.
Grâce aux techniques d’enseignement utilisées, l’utilisation des expressions idiomatiques, les variantes castillanes et latino-américaines et l’emploi pragmatique de la langue espagnole en situations interactionnelles de communication, les participants ont beaucoup appris sur les caractéristiques de nos voisins dominicains. Ils ont réalisé que l’espagnol est présent dans beaucoup de mots que nous utilisons de manière déformée en Créole (Konpayèl = compañero ; gwayil = pariguayo ; tchoul = papi chulo ; komokyèl = como tu quiere ; etc).
Un programme bien rempli
Des cours de géographie, d’histoire, de projections de films-documentaires du producteur René Fortunado, ont été suivis de commentaires sur le passé récent de la République Dominicaine « El poder del Jefe » et « La Herancia del tirano » mettant en évidence le dictateur Rafael Leonidas Trujillo Molina (dont la tante était d’origine haïtienne, de la famille Chevalier) et le Dr Joaquin Balaguer ; Plages, buffets, soirées de danse, apprentissage de chants en espagnol (« Sin un Amor », « Penas de Amor de Dyango », « Nada de Nada », etc), vraiment rien ne manquait pour intéresser les participants. L’un des cours les plus intéressants s’intitulait « Tu Actitud y tú » avec le directeur du Centro de Recursos Pedagogicos de Barahona, M. Juan Luis Perez Chevalier, l’un des rares Dominicains à pouvoir s’exprimer dans un français châtié. Ce dernier a fait ressortir l’importance de garder une attitude positive en toute circonstance et envers notre prochain à qui nous ne devrions pas faire ce que nous n’aimerions pas qu’on fasse à nous-mêmes. De son côté, l’avocat d’origine haïtienne, Me. Pedro Gerardo Cuevas a présenté un intéressant exposé sur « Les relations haitiano-dominicaines et la migration haïtienne en République Dominicaine », ce qui a permis aux étudiants d’appréhender les problèmes socio-économiques qui ont jalonné l’histoire de ces deux peuples et de cerner les lacunes de la justice dominicaine vis-à -vis des travailleurs haïtiens.
Les universitaires ont eu la possibilité de visiter le prêtre épiscopal Smith Milien de la Iglesia Episcopal Jesu El peligrino, qui a initié un projet d’éducation et d’encadrement au bénéfice d’enfants d’Haïtiens vivant dans un batey près de Barahona. Ils ont pu également s’entretenir avec quelques étudiants d’ascendance haïtienne mais nés en République Dominicaine qui ont partagé la réalité qu’ils sont en train de vivre, leur rêve et leur espoir dans un pays ou la couleur noire symbolise encore l’Haïtien ou ce vocable symbolise parfois l’injure « Diablo Haitiano ! ». En dépit de tout et malgré le fait qu’ils n’ont jamais connu le pays de leurs grands-parents, ils demeurent Haïtiens dans leur âme et veulent continuer à parler créole. Cependant, le fait d’apprendre que les Haïtiens sont parmi les meilleurs étudiants et dépassent de loin leurs camarades dominicains, a été un autre motif de fierté et d’encouragement pour le groupe. La visite à la capitale s’est révélée une enrichissante expérience pour certains, puisque ceux qui découvraient Santo Domingo pour la première fois n’ont pas manqué de rester stupéfaits devant l’allure que prend cette ville aujourd’hui qui donne à certains endroits aux visiteurs l’impression de se trouver quelque part à Miami. Cela n’a pas manqué de susciter la réflexion de nos compatriotes qui se sont interrogés sur la façon dont Port-au-Prince et le reste d’Haïti sont gérés jusqu’à se demander s’il y a encore espoir devant le constat actuel et l’attitude démissionnaire affichée par les autorités locales établies...
UCATEBA ou des possibilités d’études en terre étrangère à moins de 15.000 Gourdes l’an Conscient de la nécessité de l’éducation comme étant un élément fondamental pour le développement des peuples, l’Archevêché du Diocèse de Barahona créa en août 1995, l’Institut Catholique Technologique de Barahona (ICATEBA). Ce dernier a été élevé officiellement au rang d’université par décret présidentiel sous le gouvernement d’Hipolito Mejia le 9 août de l’année 2004.
Située dans cette ville fondée par Toussaint Louverture en 1801, l’Université Catholique Technologique de Barahona (UCATEBA), a établi et développé les mécanismes et les structures adéquates pour accomplir sa mission qui se définit entre autres la formation de la personnalité des étudiants au niveau spirituel, intellectuel et physique, la culture de son attitude et son comportement social en vue de rendre de meilleurs services à la communauté ; la conservation, l’étude, la transmission et la promotion de la culture ; la formation de professionnels dotés de solides connaissances et d’expérience par le truchement des études, la pratique, la persévérance et le sérieux, tant dans le respect des professions libérales comme les carrières de type technique que nécessite la province de Barahona, la région de Enriquillo et le pays en général ; la science et la technologie comme moyen de développement et enfin l’utilisation efficace des connaissances dans les solutions des problèmes confrontés par les autorités et le secteur privé.
Conformément à son rôle social et en accord avec sa philosophie et ses objectifs, plus de 300 nouveaux professionnels ont été gradués jusqu’ici dans les domaines suivants : l’Education de base, le Droit, les Sciences Infirmières, l’Informatique, l’Administration d’entreprises, le Marketing, les Langues, l’Hôtellerie et Tourisme, le Secrétariat Exécutif, la Comptabilité informatisée, les Techniques de Construction et le Développement rural.
L’Université Catholique Technologique de Barahona (UCATEBA) offre des programmes de Licence en 4 ans à un prix dérisoire. Le coût d’une année d’études ne dépasse pas 7.000 pesos (moins de 15.000 Gourdes). Une opportunité à saisir rapidement par la communauté estudiantine haïtienne désireuse d’étudier dans un pays étranger.
UCATEBA est dotée de 3 laboratoires informatiques branchés sur Internet et toutes les salles de classe sont climatisées. Il existe également une bibliothèque, une cafétéria. Le campus est facile d’accès et situé à moins de 10 minutes du centre-ville. L’Université fonctionne l’après-midi avec un système quadrimestre et de crédit. A noter que Barahona est situé à seulement 105 kilomètres de Malpasse (Haïti) et à 200 kilomètres de Santo Domingo la capitale de la République Dominicaine.
La France continue activement à encourager l’apprentissage de sa langue et de sa culture Qui aurait cru que la lointaine France serait présente jusqu’à Barahona, ce coin hispanophone reculé de la République Dominicaine ? Pourtant, depuis environ trois ans, il existe un Centre de Cours Pédagogique Français fonctionnant au local de l’UCATEBA. Ce centre dispense des cours de français aux professeurs dominicains de langue française et anglaise, qui pourtant ne parlent pas très bien français. Après avoir complété les cours, ces professeurs doivent passer un examen leur permettant d’acquérir leur Diplôme d’Etudes du Français, (DEF) avec un niveau linguistique en français.
Le Centre de Cours Pédagogique Français de Barahona crée des ateliers de lecture, il dispose de documents, de méthodes de français, des bouquins de grammaires et de conjugaisons, des ouvrages faciles à lire, des vidéos présentant les différentes régions de France, des CDs de chansons françaises et des ordinateurs disposant de CD-Rom permettant à l’intéressé, de travailler en auto-apprentissage de français.
Gaelle Bunouf, professeur de français en tant que langue étrangère au Centre de Cours Pédagogique Français de Barahona indique « qu’à côté des professeurs, beaucoup de lycéens dominicains se sont montrés intéressés à l’apprentissage de la langue et la culture françaises, à un tel point qu’on a du créer deux groupes de volontaires, un pour les adultes et un autre pour les adolescents ».
Mlle. Bunouf indique, par ailleurs, que « l’enseignement du français est important pour la France parce qu’en République Dominicaine il y a une communauté française de plus en plus grande pour le tourisme », elle cite en exemple la ville Las Serenas située dans le Sud-Est de l’île où il y a énormément de Français. Elle informe par ailleurs que depuis près de trois ans, le français est une langue obligatoire dans l’école basique en République Dominicaine. Mlle. Bunouf est envoyée par le Ministère français des Affaires Etrangères en tant que stagiaire pour améliorer le niveau des professeurs en français.
A noter que huit centres similaires à celui de Barahona fonctionnent à travers la République Dominicaine.
Pour une coopération soutenue entre Haïtiens et Dominicains pour rentrer véritablement dans la globalization, l’organisateur de ce séjour linguistique à Barahona, le Professeur Paul Lucien Lacarrière, indique qu’il a entrepris depuis tantôt quatre ans ce programme d’échanges culturels avec la République Dominicaine en vue de promouvoir les relations entre les deux pays. « Nous avons un accord de coopération avec UCATEBA qui s’effectue sur une base universitaire avec des échanges entre des universitaires, particulièrement des étudiants de l’Université Quisquéya et ceux de UCATEBA ». M. Lacarrière pense que ce genre d’activités permet aux Haïtiens et aux Dominicains de se connaître et de communiquer davantage car dit-il, « il y a un problème particulièrement sérieux au point de vue de compréhension entre les deux peuples et ce programme de 30 heures de formation permet à l’apprenant de maîtriser la langue espagnol à partir des activités authentiques de conversation et à travers la culture dominicaine ». Le professeur Lacarrière réalise que d’autres aspects sont liés aux relations haitiano-dominicaines, notamment la pertinence des relations entre les deux pays et tout le problème du flux migratoire des Haïtiens vers la République Dominicaine.
Selon M. Lacarrière, il existe un nombre important d’Haïtiens à Barahona en raison de sa proximité avec Haïti car la zone Sud comprend le plus grand nombre de bateys ; la perception des Dominicains de la région est que les Haïtiens sont des coupeurs de canne, « à travers cette activité de formation, cet échange de partenariat, nous essayons de projeter une toute autre image d’Haïti et aussi des Haïtiens », confie-t-il. M. Lacarrière affirme sentir déjà des progrès qui se font en terme de compréhension et pense qu’à la longue, si on arrive à étendre ce genre de programme d’échanges organise trois fois l’an, on pourra arriver à une meilleure compréhension entre les deux peuples. D’ailleurs, des universitaires dominicains de la UCATEBA ont déjà visité Haïti dans le cadre de ce partenariat. Malheureusement, les problèmes politiques en Haïti ne favorisent plus l’arrivée des Dominicains pour des échanges culturels. Par ailleurs d’autres rencontres s’effectuent de façon périodique entre des universitaires haïtiens et ceux de l’extension universitaire de la UAS (Université Autonome de Santo Domingo) à Barahona.
Enfin, le Professeur Paul Lucien Lacarrière espère voir se renforcer ce genre de relations entre les deux pays et son extension dans d’autres régions de la République Dominicaine notamment les parties Nord et Est : « Nous sommes une île, déclare-t-il, donc il ne faut pas qu’il y ait des différences majeures dans la globalisation actuelle, il faut qu’il y ait des coopérations soutenues entre les deux peuples pour que nous puissions véritablement rentrer dans le marché mondial en partenariat car sans un partenariat réel au point de vue commercial, économique et culturel, les deux pays n’arriveront pas à donner grand chose » conclut-il.
Des participants prêts à répéter l’expérience
La douzaine d’universitaires qui ont participé à ce programme le qualifie de positif car ils ont effectivement noté une amélioration au niveau de la langue espagnole et ont bénéficié d’une meilleure connaissance des réalités socioculturelles de la République Dominicaine. Ce fut pour eux une expérience enrichissante qui leur a permis non seulement de mieux connaître leurs voisins dominicains mais également de voir comment vivent les Haïtiens des bateys. Pour Me. Kerby Lacarrière, « ce fut l’occasion de pouvoir mesurer les efforts à accomplir par Haïti pour égaler la République Dominicaine ». Pour sa part, Branly Vieux avoue que « les Dominicains apprécient les touristes haïtiens dans la mesure où ces derniers ne viennent pas prendre leur travail ».
Marie Blanc, étudiante à la Faculté de Droit de Hinche « regrette que le groupe n’a pas pu visiter réellement les différents sites ou monuments historiques de la capitale dominicaine ». Le Diplomate et Avocat Charles D. Point-du-Jour qui n’est pas à sa première visite indique « qu’il a beaucoup profité sur le plan culturel et touristique ». Enfin, M. Raymond E. Etienne, le Doyen du groupe qui vient de passer cinq ans à Vancouver pour des études post-universitaires en Leadership et Management affirme que « tous les Haïtiens auraient dû faire cette expérience pour améliorer leur avenir en vivant comme les Dominicains qui, d’après lui, sont heureux de se contenter de peu et ne cherchent pas midi à 14 heures ».
Une initiative à encourager par les autorités gouvernementales Ce genre d’initiatives devrait être encouragé et bénéficier du soutien du gouvernement en vue de permettre à plus de jeunes d’y participer. Car, il permet d’établir de réels rapprochements entre Haïtiens et Dominicains et une meilleure compréhension entre les deux peuples qui jusqu’ici ne sont pas arrivés à établir un dialogue franc et durable, ceci en raison de certains précédents historico-politiques qui devraient être considérés comme dépassés aujourd’hui en ce siècle de globalisation et de haute technologie. Si les Dominicains tirent grandement avantages des Haïtiens au niveau commercial, nous gagnerons à nous rapprocher d’eux pour entreprendre des projets communs notamment un système de communication téléphonique cellulaire conjoint sur l’île ou encore des initiatives conjointes au niveau touristique, on pourrait vendre une seule destination « Hispaniola » en ce sens que les touristes en visite en République Dominicaine pourraient découvrir certains sites écotouristiques et historiques haïtiennes, la construction de centrales hydro-électriques, des zones franches le long de la frontière, etc. Enfin, il est temps que des tabous disparaissent des deux côtés de l’île pour que des couples mixtes puissent se créer, pour que l’espagnol soit un point d’intérêt pour nos compatriotes tout comme les Dominicains apprennent désormais le français à l’école, pour que des recherches scientifiques puissent se faire entre universitaires des deux côtés de l’île, car après tout, n’avons-nous pas beaucoup de points en commun ? En dépit de nos divergences et nos incompréhensions, ne sommes-nous pas condamnés à vivre ensemble comme un oiseau possède deux ailes ? A quand donc une harmonisation réelle et profonde des relations entre les deux nations ?
Contact : Joellorquet@yahoo.com
Informations complémentaires
Contact en Haïti : Professeur Paul Lucien Lacarrière,
Coordonnateur de Programmes en langues étrangères à l’Université Quisquéya (UNIQ),
Cell : 401-8753
Universidad Catolica Tecnologica de Barahona (UCATEBA),
Calle Primera, Barrio Juan Pablo Duarte, Batey Central, Barahona Telefonos : 524-4026/ 4027/ 4028/ Fax : 524-3330 E-mail : icateba@hotmail.com