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HaitiWebdo - Numero 27

Un calme apparent est revenu cette semaine dans les milieux économiques et financiers haïtiens après la panique des deux semaines écoulées, à cause des rumeurs d’une éventuelle nationalisation des comptes en Dollar. Selon ces rumeurs, le gouvernement, qui fait face à d’énormes difficultés financières, aurait envisagé de convertir en Gourde tous les comptes en devises.

RETOUR SUR UNE PANIQUE QUI MET à€ NU LA FRAGILITE DE L’ECONOMIE D’HAà TI

Interview avec l’économiste Jean-Claude Paulvin

Par Gotson Pierre

Les rumeurs qui ont semé le trouble dans les secteurs financiers ne seraient pas tout-à -fait fausses. Même si elles ont été vite démenties, des autorités haut placés dans le gouvernement auraient réellement envisagé de "recourir à la nationalisation des comptes en dollars en payant en monnaie locale a leur détenteur la moitié de la valeur réelle du Dollar américain sur le marché haïtien", selon l’agence Inter Press Service, qui cite des sources du secteur bancaire. Les autorités auraient pensé "utiliser cet argent pour régler les arriérés de la dette et arriver ainsi à faire débloquer les fonds de la coopération internationale", a indiqué l’agence.

Si les esprits paraissent apaisés, la Gourde demeure encore proche des niveaux frôlés il y a une semaine, soit officiellement entre 32 et 33 Gourdes pour un Dollar. Ces jours-ci, le Dollar continue d’être coté à 32 Gourdes, avec un impact direct sur les prix des produits de première nécessité, qui flambent.

Une main invisible cherche à déstabiliser le pays : tels sont les propos qu’avait tenus le Président Jean-Bertrand Aristide, pour expliquer la propagation de ces rumeurs qui ont eu de lourdes conséquences sur l’économie du pays. Il avait parlé de guerre psychologique.

Mais, l’économiste Jean-Claude Paulvin, Responsable de la firme Economie Société Finance (ECOSOF) n’est pas de cet avis. Il pense que le bruit qui a couru pourrait provenir de sphères internes d’un pouvoir "hétérogène et hétéroclite", où la question de nationalisation des comptes en devises a du être évoquée. Cette situation vient aussi, a-t-il dit, du fait que les questions financières ne sont pas traitées avec la plus grande rigueur au niveau gouvernemental. Alors que, le système financier, en général très fragile, réagit à tout : des intentions, des prévisions, anticipations, gestes, etc…, a expliqué Jean-Claude Paulvin.

Circonstances aggravantes

Interrogé sur les raisons qui ont favorisé une propagation aussi rapide et désastreuse des rumeurs de conversion des comptes Dollar en monnaie locale, Jean-Claude Paulvin a évoqué l’état de l’économie haïtienne, qui est entrée dans un "cycle accéléré de dégradation". D’une croissance zéro en 1999-2000, l’économie a eu une croissance négative durant les deux dernières années, a-t-il affirmé.

Remontant plus loin dans le temps, Jean-Claude Paulvin a mentionné le poids du coup d’Etat militaire de septembre 1991 et de l’embargo international qui s’en etait suivi. Au retour à l’ordre constitutionnel en 1994, "l’économie haitienne avait perdu près de 25 % de sa valeur", qui n’ont pas été recouvrées jusqu’à nos jours. Au contraire on assiste à une "dégradation systématique et généralisée des structures", a regretté l’économiste : production agricole en chute libre, pas de reprise au niveau de la sous-traitance, désinvestissement dans les secteurs productifs…

La production agricole est passée d’une croissance de 2% en 1999 à 1,50% en l’an 2000, maintenant la même tendance dans les années suivantes. La sous-traitance n’atteint pas le 1/3 des 60000 emplois qu’elle procurait à la veille du coup d’état militaire de septembre 1991.

Seul le secteur financier connaît un certain dynamisme, note l’économiste Jean-Claude Paulvin. Le volume de profit des banques s’élevait en 2001 à 350 millions de Gourdes.

Paulvin attribue cette évolution générale déséquilibrée aux conséquences d’un ensemble de mesures de politique économique. "A partir de 1994, il y a eu une mauvaise politique", a-t-il déclaré. "Une politique qui a favorisé le développement commercial au détriment de la production", a-t-il précisé. A titre d’exemple, l’économiste a rappelé une mesure prise au lendemain de septembre 1994, de favoriser l’importation d’abats de poulets. Ce qui, selon lui, a mis hors d’état de produire, les industries de la volaille et, par ricochet, les secteurs de production de grains.

Cette mesure a également constitué un "facteur d’informalisation de l’économie", les anciens ouvriers et ouvrières étant convertis en vendeuses et vendeurs ambulants. C’est pour cela, a déclaré Jean-Claude Paulvin, que la plupart des rues de nos villes se transforment en vaste marché. Et "au lieu d’une économie organisée, on a un ensemble d’agents qui se débrouillent".

Le responsable d’ECOSOF admet que sur certains points les autorités lavalas puissent parler d’"héritage". Car, à partir de 1986 un ensemble de dispositions néfastes à la production ont déjà été adoptées par les gouvernements militaires, telle l’importation massive de riz, qui a eu raison de l’industrie rizicole haïtienne. Mais cette logique aurait pu être modifiée, a estimé l’économiste. Sa persistance, a-t-il dit, a produit un impact sérieux sur le niveau de vie qui se dégrade considérablement, alors que la Gourde n’a pas cessé de battre de l’aile face au Dollar.

La panique de la semaine dernière a ainsi mis à nu la fragilité du système financier et de l’économie d’Haïti, sérieusement affectée dans sa capacité de répondre aux exigences courantes. L’Etat gère encore difficilement une crise des cooperatives a fort taux d’interet, qui a causé une perte de plus de 250 millions de dollars. Selon des chiffres communiqués a Inter Press Service, le déficit budgétaire était de plus de 2 milliards de Gourdes durant l’exercice 2001 – 2002 et devrait franchir la barre de 3 milliards de gourdes pendant l’exercice 2002 – 2003. La dette de 1 milliard 202 millions de dollars accumule des arriérés de paiement de 43,9 millions de Dollars, tandis que les perspectives de déblocage à court terme de 500 millions de Dollars d’aide internationale semblent s’évanouir. En un an, les réserves d’importation de 113 millions de dollars sont tombées à 50 millions.