P-au-P., 25 avr. 05 [AlterPresse] --- Les opérations d’inscription des électeurs ont démarré officiellement aux Gonaïves ce 25 avril en présence du Premier ministre Gérard Latortue, des membres du Conseil électoral provisoire, du Corps diplomatique et de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH).
La phase d’enregistrement durera jusqu’à la fin du mois de juillet. Le CEP a déjà fixé les rendez-vous électoraux d’octobre à décembre 2005. Les 4 millions d’électeurs haïtiens auront à choisir un président, 30 sénateurs, 90 députés, ainsi que les membres des pouvoirs locaux à travers le pays.
En Haïti, on se croise les doigts pour que la transition, ouverte avec la démission et le départ de l’ancien président Jean Bertrand Aristide le 29 février 2004, n’aboutisse pas à un échec. Les autorités provisoires, les responsables politiques et la communauté internationale s’accordent sur l’idée qu’au début de 2006 une administration définitive doit être en place.
« La mission la plus importante qui nous attend cette année c’est l’organisation et la réalisation des élections », déclarait le Premier Ministre Gérard Latortue le 3 février au palais présidentiel de Port-au-Prince.
Mettre en avant les problèmes fondamentaux
Pour changer le cours des choses en Haïti, les prochaines compétitions électorales doivent être l’occasion d’un « véritable débat sur les problèmes qui préoccupent les citoyens », estime l’Ingénieur Christian Rousseau, professeur à l’Université et membre du Conseil des Sages, instance de consultation qui assiste l’Exécutif provisoire.
« Si les élections sont l’occasion de mettre en avant les problèmes fondamentaux du pays et laisser de coté les jeux politiques ordinaires, nous avons une chance », dit Rousseau. Cela implique, souligne-t-il, « une rupture » avec les programmes et slogans habituels pour « aborder des points concrets » dans le cadre d’une « nouvelle orientation ».
Au niveau de la population, la participation au processus électoral représente un défi, note Antonal Mortimé, jeune animateur social, qui fait le va-et-vient entre Savanette (Est) et Port-au-Prince. « Les gens ont été tellement déçus lors des précédentes élections qu’ils ne manifestent pas de l’intérêt pour celles qui sont annoncées pour la fin de l’année », souligne Mortimé, expliquant que l’amélioration attendue dans l’environnement et la vie des familles ne s’est pas concrétisée.
Rousseau prend en exemple la question de l’éducation, qui, selon lui devrait être prioritaire. En Haiti, selon la constitution, l’école primaire est obligatoire, mais, à cause de la faible disponibilité de structures scolaires étatiques, le taux de scolarité infantile ne dépasse pas 54%, alors qu’il est en général de 93% dans la Caraïbe.
Or, selon Rousseau l’éducation est centrale pour créer des « références communes » au sein de la nation haïtienne qui souffre d’un déficit en la matière. Les partis politiques devraient annoncer ce qu’ils comptent faire sur cette question concrète de l’éducation, de manière à offrir la possibilité aux citoyens d’en discuter, pense le professeur.
Au niveau de l’économie il faudrait abandonner les grands discours et mettre sur le tapis des propositions relatives à des problèmes cuisants. Il ne suffit pas d’annoncer, par exemple, les formules telles la « promotion du tourisme » ou le « développement d’industries de sous-traitance », estime Rousseau. L’important, ajoute-il, est de savoir quel rôle on peut jouer pour changer la situation de l’emploi en Haiti, où plus de 80% des 8 millions d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Haiti traîne comme un boulet depuis plusieurs décennies un taux de 60% chômage. « Si en 10 ans on pouvait le diminuer de 20%, cela changerait bien des choses » avance Rousseau, soulignant que l’oisiveté et la délinquance pourraient diminuer à Port-au-Prince.
Sur le plan local, les populations souhaitent une série de changements d’apparence mineure qui pourraient avoir des incidences positives sur la qualité la vie. Des questions d’aménagement local ou de règlement de problèmes d’Etat civil, sont d’intérêt majeur par exemple à Savanette.
Dans cette petite ville, proche de la frontière avec la République Dominicaine, de l’identification des rues au curage des rivières, tout est à faire, indique Antonal Mortimé. Les routes régionales, constate-t-il, sont quasiment absentes. Il faut 3 heures à motocyclette pour franchir 25 Km de route.
D’autre part, la déforestation aidant, les rivières sont complètement ensablées. A chaque saison de pluie, les dégâts enregistrés à cause des débordements du « Fer à Cheval » sont énormes, poursuit Mortimé. Voilà un thème sur lequel un candidat à la mairie devrait avoir à se prononcer, ajoute-t-il.
Une autre question cruciale qui incombe également aux pouvoirs locaux est celle de l’Etat civil. Les prochaines élections, déboucheront-elles enfin sur l’octroi d’un acte de naissance aux nouveaux-nés, s’interroge Mortimé. A Savanette, « la majorité des enfants n’ont pas un acte de naissance », déclare-t-il, ou bien, dans le cas contraire, le document est erroné.
Le défi électoral est donc multidimensionnel en Haiti. Déjà qu’il faut s’assurer de la faisabilité de ces élections dans moins de 8 mois. De la mise en place des structures électorales à l’établissement de la sécurité, rien n’est encore garanti, malgré un certain recul des actes de banditisme.
Le coût global des prochaines élections est estimé à 44 millions 300 mille dollars américains. L’Etat haïtien y contribuera à hauteur de 3 millions de dollars et le reste sera fourni par la communauté internationale.
La crédibilité des prochaines joutes est aussi un enjeu de taille. Dans un passé récent, des élections contestées ont contribué à approfondir la crise socio-politique haïtienne. [gp apr 25/04/2005 18:00]