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Haïti : Michel Hector, jamais vaincu

Par Daphnine Joseph et Gotson Pierre

P-au-P., 14 juil. 2019 [AlterPresse] --- Plus d’une centaine de personnes, issues notamment des milieux universitaires et de la société civile haïtienne, ont pris part, le samedi 13 juillet, à l’auditorium de la Faculté de médicine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), à un hommage au célèbre historien et chercheur Michel Hector, décédé le 5 juillet 2019.

Animée par la sociologue et historienne Sabine Manigat, la cérémonie, qui a duré plus de trois heures, a été l’occasion de partager de nombreux témoignages décrivant et honorant une grande personnalité de l’intelligentsia haïtienne et un infatigable résistant, dans une ambiance sereine et empreinte d’émotion contenue.

La défense de l’intégration nationale et sociale

« Il a plaidé et lutter pour une société sans exclusion qui répond aux valeurs prônées et défendues par la révolution haïtienne », a affirmé le vice-recteur de l’Ueh, Hérold Toussaint. « En faisant ressortir dans l’ensemble de ses écrits la dimension anticoloniale, anti-esclavagiste et antiraciste de la révolution haïtienne, il ne pouvait ne pas défendre énergiquement tout projet de société fondée sur l’intégration nationale et sociale », a-t-il expliqué.

Le recteur de l’université Quisqueya, Jacky Lumarque, a, dans ses propos émus, mis l’accent sur son “écoute”, sa “patience”, son sens du “respect” de l’autre, sa “probité » et son « sens de l’honneur », dans une société aujourd’hui ébranlée. « Michel va beaucoup nous manquer », a-t-il soupiré.

D’autres dirigeants d’Université et un de ses anciens étudiants ont pris la parole, tantôt pour souligner son engagement en tant qu’enseignant, sa discipline, son caractère perfectionniste, sa générosité et son important travail de renouvellement des sciences sociales haïtiennes.

Au nom de la Conférence des recteurs, présidents et dirigeants d’universités et d’institutions d’enseignement supérieur (Corpuha), le professeur Jean Robert Charles, en remplacement de Fritz Deshommes, recteur de l’Ueh (souffrant), a remis une plaque d’honneur et une médaille posthumes à Denise, la femme de Michel Hector, accompagnée de ses enfants.

Les responsables d’organisations académiques auxquelles il a appartenu et avec lesquelles il a collaboré : la Société haïtienne d’histoire, de géographie et de géologie, la Fondation Roger Gaillard et la Société capoise d’histoire ont salué un « maître », un « mentor », un « éminent historien », un « intellectuel progressiste et engagé ».

Michel Hector a eu une longue carrière d’enseignant, après sa formation à l’École normale supérieure (Ens) de Port-au-Prince. Il a, parallèlement, milité au sein du parti communiste haïtien, durant la terrible période de la dictature des Duvalier, avant de partir pour l’exil.

De retour en Haïti, à la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, Michel Hector a dédié une bonne partie de son temps à l’accompagnement du mouvement syndical, à travers sa fondation Ulrick Joly (du nom d’un syndicaliste emprisonné et rescapé de la dictature).

Michel Hector est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Syndicalisme et socialisme en Haïti (1932-1970).

La passion de l’histoire comme héritage

Plusieurs de ses amis et proches collègues ont pris la parole pour raconter les temps forts de leurs relations avec Michel Hector.

Le sociologue Laenec Hurbon, pour qui Hector a été un “frère”, s’est dit extrêmement désemparé. Il était “toujours a la recherche d’une solution du coté de la pensée. Il était convaincu que ce sont les idées qui peuvent transformer ce pays”, a confié le sociologue. “L’histoire était sa passion qu’il nous lègue comme un héritage”, a-t-il relevé.

Le professeur Jean Casimir, un habitué des échanges sous l’amandier du jardin de Michel Hector, a rendu hommage à un « sage ». « Nous sommes fiers de ce que tu nous as laissé », a-t-il dit.

Le père William Smarth a qualifié Michel Hector d’ « humaniste haïtien ». Il espère, a-t-il confié, que « la mission de Michel sera poursuivie par sa famille et ses amis ».

Une vie comme témoignage

Pour son ancien camarade Elliott Roy, « le témoignage qu’il a offert, c’est sa vie. Michel était trop rigoureux intellectuellement pour être dogmatique et sectaire », a-t-il souligné.

Ernst Mathurin du Mouvement patriotique, démocratique et populaire (Mpdp), que Michel Hector a accompagné, a témoigné du rêve de l’ « intellectuel organique » de voir émerger un pôle politique progressiste en Haïti, à travers une plateforme unitaire des partis de gauche, afin d’offrir une alternative au pouvoir actuel.

Tout au long de la cérémonie, le public a apprécié des séquences vidéo montrant l’historien a l’œuvre sur le terrain et ses échanges avec divers types d’interlocuteurs, ainsi que de nombreuses photos avec sa famille et ses amis du milieu intellectuel haïtien.


La musique a été également au rendez-vous pour cet hommage au « capois authentique » comme il se vantait. Après la prestation de l’orchestre Vibr Ayiti à travers trois morceaux du répertoire traditionnel haïtien, l’assistance a eu droit au somptueux son de la guitare du fameux Amos Coulanges.

Les participants ont pris un peu de temps à se séparer à l’issue de la cérémonie, vers 1 :00 PM, dans une ambiance de convivialité et de cordialité, partageant la conviction qu’on ne retrouvera pas Michel Hector dans les rangs des vaincus. [dj gp apr 14/07/2019 12 :00]