Débat
Par Guy Marcel Craan*
Soumis à AlterPresse le 07 juillet 2019
Si vous parcourrez le cadran FM, la probabilité de ne pas être accroché par ce fameux spot publicitaire “ Siméon et Diesèl qui attendent la marée basse pour aller à la pêche…” est assez mince. N’était-ce le contexte, on aurait pu classer ce spot parmi les meilleures publicités de l’année. Sa conception tranche avec la vulgarité ou la platitude de ces trop nombreux spots qui nous invitent le plus souvent à zapper. Certains observateurs de bonne volonté ou candides ont cru après le scandale des kits scolaires, les bracelets roses payés avec de l’argent emprunté, les autorités allaient avoir un petit peu de pudeur avant de se lancer dans cet exercice boueux qui, au fil des jours, se révèle être « un stratagème de détournement de fonds publics » pour ne pas citer cette expression à la mode.
Allègrement les ondes sont envahies par cette publicité provocatrice laissant croire que plus de 150,000 personnes reçoivent régulièrement des kits alimentaires grâce à la générosité du Président de la République.
C’est facile de changer de station si cette pub vous dérange, mais cela ne changera pas ses effets nocifs, encore moins tout le processus de corruption qui la génère. Il est peut-être important en tant que contribuables de discuter de l’utilisation de nos taxes.
D’abord, la constitution interdit le culte de la personnalité, comment peut-on faire accroire à la population que les kits alimentaires achetés avec les deniers publics parviennent aux bénéficiaires grâce à la générosité du Président. La loi interdit les publicités mensongères, pourtant les opérateurs de ce régime n’ont aucun scrupule à manipuler les chiffres. Si on se base sur les expériences précédentes (Les mensonges sur le nombre d’enfants scolarisés, les bénéficiaires fictifs de transferts « Ti manman Cheri », etc.), on n’attendra pas longtemps pour que la Cour supérieure des comptes nous confirme qu’une fois de plus PHTK n’a pas failli à sa réputation de bandit, d’association de malfaiteurs.
Venons-en aux Kits alimentaires. Nous sommes d’accord que toute personne a le droit de ne pas souffrir de faim et d’accéder à une alimentation appropriée, d’autant plus que la sous-alimentation affecte les fonctions cognitives, affaiblit la résistance aux maladies, accroît la probabilité de souffrir de maladies chroniques, nuit aux possibilités d’acquérir des moyens d’existence, et limite la capacité à s’investir au sein de la communauté. Le droit humanitaire reconnait également qu’une aide alimentaire est nécessaire lorsque la qualité et la quantité de nourriture disponible, ou l’accès à la nourriture est insuffisant pour éviter une morbidité, une mortalité ou une malnutrition excessive. La distribution de denrées alimentaires en nature est une des options possibles pour lutter contre la faim et la sous-alimentation (Manuel Sphère 2018). Cependant, cette activité est la moins efficace parmi les interventions possibles pour éradiquer la faim. Elle est indiquée dans des circonstances particulières et certains principes doivent être respectés pour que l’aide alimentaire en nature n’engendre pas plus de méfaits que de bienfaits. On peut avoir recours à l’aide alimentaire en nature lorsque les populations sont coupées de leurs sources normales de subsistance et n’ont pas accès à une alimentation suffisante pour répondre à leurs besoins. Les vivres distribués doivent être des aliments choisis pour prévenir la malnutrition et répondre aux besoins énergétiques des populations. L’aide alimentaire en nature doit être de courte durée et inclut une stratégie de diminution graduelle qui permet son interruption dès que les communautés retrouvent leur autonomie ou peuvent être aidées par le biais d’autres interventions. On doute que ces principes aient à un moment donné titiller la conscience de ces « autorités ». On peut être certain que ce sont les affidés du régime qui ont vendu les ingrédients des kits (riz, pois, huile, pate de tomate, spaghetti etc), on peut être sûr que la liste des bénéficiaires a été dressée par les sénateurs, députés, délégués et autres petits oberkapos du PHTK.
On peut comprendre que la lutte contre la faim a un caractère urgent, s’attaquer aux multiples déterminants de la faim et de la sous-alimentation requièrent du temps et des ressources. Il est tout aussi difficile d’accepter que ce régime se donne un satisfecit pour une stratégie qui est abandonnée par quasiment tous les États et les organisations qui luttent véritablement pour éradiquer la faim. Le Programme Alimentaire Mondial reconnait “le caractère crucial de la notion de choix : les ménages vulnérables à qui on laisse la possibilité de décider de leur vie font des choix qui améliorent leur sécurité alimentaire et leur bien-être”. Il constate également que l’aide monétaire permet aux populations d’acheter des denrées alimentaires et d’autres produits au niveau local, l’aide en espèces peut contribuer à renforcer les marchés locaux, à soutenir la productivité des petits agriculteurs et à renforcer les capacités nationales.
Comment le Président s’est-il laissé convaincre par les vendeurs de crocodiles empaillés que la distribution de Kits alimentaires est une initiative géniale qui mérite autant de publicité ?
Nous autres les citoyens, on devrait pouvoir questionner les décisions des autorités pour savoir quels sont leurs conséquences sur le bien-être des individus et l’avancement de la société. Peut-on utiliser l’argent des contribuables pour faire de la publicité pour une activité dont la pertinence est douteuse ? Quels sont les individus dont cette publicité améliore le bien-être ? Il devient, mesdames, messieurs, de plus en plus urgent que les gens de bonne volonté s’unissent pour enrayer la déprédation des maigres ressources du pays.
*Médecin