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Haïti, la citoyenneté en question

Notes de lecture - par Vario Sérant

P-au-P., 22 oct. 02 [AlterPresse] --- Dans le social, le politique, le culturel, partout la crise. S’agit-il d’une crise ou d’une permanence autrefois souterraine que des crises successives ont portée au grand jour ?

L’écrivain haïtien bien connu Lyonel Trouillot tente de répondre à cette question et à de nombreuses autres dans son tout dernier ouvrage intitulé "Haïti, (Re)penser la citoyenneté". Il s’agit en fait du huitième volume de la collection Etat de Droit de Haïti Solidarité Internationale (HSI).

L’auteur y dénonce les structures de production du déficit de citoyenneté dans l’espoir d’une responsabilisation de chaque citoyenne, de chaque citoyen, pour une vie plus ou moins normale dans notre chère Haïti.

Le diagnostic l’amène à mesurer la distance entre le privé et le collectif, les groupes sociaux, les gens, à observer les connotations du parler quotidien et les stratégies de mise à distance ainsi que les réflexes d’agression ou d’autodéfense.

Lyonel Trouillot relève un ensemble de facteurs parraissant agir contre la citoyenneté. Il mentionne entre autres le fonctionnement des appareils d’Etat, les mécanismes individuels de survie, d’enrichissement ou de domination, les valeurs de classes ou de castes.

Comment la citoyenneté peut-elle s’affirmer dans un pays qui ne sait pas ce qu’il sait de lui-même et n’intègre pas le savoir qu’il a produit dans une progression historique ?

L’auteur en vient à soulever cette problématique après avoir auparavant rappelé que la citoyenneté est une construction sociale et non un héritage naturel. « L’exercice de la citoyenneté réclame la construction d’un lieu parlant qui sera à la fois un héritage et un devenir ».

Poursuivant son diagnostic, l’auteur questionne la faible présence, voire l’occultation, du thème de l’intérêt général dans la littérature juridico-politique haïtienne. Chacun y trouve son compte : les régimes à vocation totalisante, la bourgeoisie traditionnelle, les institutions scolaires, la famille, etc.

L’analyse des rapports de domination dans la société haïtienne conduit Lyonel Trouillot à prétendre que la négation des droits de la personne n’est pas un produit du désordre ou de l’anarchie, mais au contraire la garantie de la pérennité d’un ordre qui oppose la préservation d’intérêts particuliers à l’intérêt général.

La non-réalisation de cet équilibre entre les droits de la personne et l’intérêt général transforme l’individu, de l’avis de l’auteur, en un être anti-social qui oscille entre les rôles contradictoires de monstre et de victime, le même individu pouvant assumer à la fois l’un et l’autre de ces rôles.

Dans la foulée, l’ouvrage questionne la naissance de la République d’Haïti qui serait faite sans doctrine républicaine, c’est-à -dire dans le refus de ce qui était humainement inacceptable (l’esclavage et la colonie), mais sans l’affirmation de ce qui était humainement souhaitable, à savoir la proposition de valeurs repérables garantissant l’équité de la relation entre l’individuel et le collectif.

Après avoir souligné les différents attributs de la citoyenneté (Etat responsable devant l’ensemble des citoyens, droit de regard sur la gestion de la chose publique, participation directe ou indirecte à cette gestion, etc.), Lionel Trouillot propose des pistes pour une éventuelle renaissance.

Selon l’auteur, la construction de la citoyenneté passera entre autres par l’exigence de la vertu communautaire qui a manqué aux élites économiques et intellectuelles, la garantie d’un minimum d’égalité citoyenne et de mobilité sociale à travers l’école publique, l’institution de la sanction dans la vie politique, la production de discours publics opposés aux discours de l’exclusion, la laïcisation de la sphère publique et l’imposition du respect des libertés individuelles. [vs apr 22/10/02 01:00]