Réflexions
Par Getser Faustin [1]
Soumis à AlterPresse le 13 avril 2005
En évoquant la Communauté internationale nous ne saurions parler d’une société civile internationale ayant conscience de la préoccupation que suscite la problématique du changement de société en Haïti pour la seule raison que « Haïti n’existe pas » aux yeux de cette communauté. Si l’existence juridique, géographique et politique de Haïti est incontestable elle souffre néanmoins de l’absence de l’adhésion solidaire des principaux pays occidentaux quant à son développement véritable. Le négationnisme international qui frappe Haïti ne saurait faire l’économie d’un nihilisme national qui, associé au premier, devrait donner à comprendre les misères des velléités démocratiques qui agitent la société haïtienne.
I. Le négationnisme international a l’encontre de Haïti
A) La condescendance internationale
Il s’agit, pour Haïti, d’un déficit de visibilité internationale qui est un défaut d’image générale de Haïti sur la scène internationale. Car telle que traitée et présentée, Haïti décline souvent l’image d’une terre sans espoir. En effet, décrite à partir des seuls effets du mal primordial qu’est le mauvais fondement de la politique haïtienne sans en chercher les causes manifestes, Haïti suscite au mieux la pitié ou la compassion quand elle ne devient pas tout simplement répulsive. Ainsi le défaut d’intérêt et la répulsion que provoquent Haïti à l’étranger naissent des images sensationnelles médiatisées émanant toutes exclusivement des milieux pauvres, miséreux, crasseux, poisseux, haineux ou violents répliquant quasi-fidèlement les conditions d’existence de l’ancienne classe ancestrale des esclaves du temps de la colonie française de saint-Domingue. Il ne découle du regard international que dédain et mépris associés à une forme de condescendance.
B) Le cynisme international
La pitié et la compassion qui accompagnent généralement les quelques tentatives de compréhension des réalités haïtiennes ne s’accompagnent pas moins d’une sorte de cynisme qui semble renvoyer les Haïtiens à leur propre image. Cet intérêt sans enthousiasme qui pousse très maladroitement les chasseurs d’images événementielles et sensationnelles à chercher et à comprendre les causes responsables du malheur, du mal-être et du malaise de la trop grande majorité des Haïtiens dans le spectacle des conditions de vie aucunement enviables de ces derniers en vient à ne retenir que l’image d’un peuple naïf, indolent voire insouciant. Or, la misère populaire haïtienne n’est que l’envers de la trop grande opulence insolente de la minorité aisée qui domine toute la société haïtienne. Alors la réaction suscitée ne se borne qu’à l’apport de nourriture, d’instruction et d’institutions importées au mépris de toute éducation qui conduirait la majorité du peuple à développer une conscience d’action sur son propre destin en partant de la valorisation de la culture haïtienne.
C) Le désintérêt international de Haïti
Ce désintérêt ne date pas d’aujourd’hui. Il est aussi vieux que la naissance de Haïti. A en croire le chercheur Christophe Wargny, ce désintérêt est aux racines historiques de Haïti. « [L’indépendance de Haïti] gênait tout le monde. Elle gênait parce que c’était une colonie qui devenait indépendante, parce que la meilleure armée du monde était vaincue, parce que c’étaient des noirs qui ont conquis leur indépendance pour la première fois. Tout cela a contribué à isoler et à martyriser Haïti jusqu’à soutenir par l’Occident l’un des pires dictateurs, Duvalier, sous prétexte de luttes anti-communistes. C’est seulement en 1986 que l’histoire d’Haïti a rebondi. » Aussi la provocation apparente du titre de son récent ouvrage sur Haïti « Haïti n’existe pas : 1804-2004. Deux cents ans de solitude historique » ne fait-elle que révéler le négationnisme de l’Occident servo-colonialiste et postcolonial vis-à -vis de Haïti. Cette œuvre du chercheur français accuse les responsabilités solidaires des puissances occidentales, qui par vengeance, et de l’Elite haïtienne qui, par cupidité prédatrice, ont, pendant deux cents ans, rendu l’Etat haïtien non fonctionnel et la Nation haïtienne non accomplie.
II. Le nihilisme national haïtien
A) L’irresponsabilité de l’Elite Haïtienne
Cependant, à côté du dédain et du mépris, de la condescendance et du cynisme des décideurs internationaux face au cas haïtien il est une attitude qu’on ne saurait éclipser devant la dénonciation de tous les comportements qui n’aident aucunement à repenser positivement le pays haïtien. Il s’agit de celle de l’Elite haïtienne.
Etant plus une entité abstraite et sournoise qu’un déterminé concret et actif, la notion de l’Elite haïtienne est généralement liée à un certain état d’esprit des catégories sociales influentes économiquement, politiquement voire culturellement et dominant pour cause toute la société haïtienne. Sa nature de réceptacle en fait un creuset appelé à se nourrir, en sus de la fidélité de ses membres lui étant viscéralement attachés, de l’adhésion toujours forte de citoyens en mal de classe et avides de promotion sociale, de pouvoir et d’argent. Ces derniers jadis appelés « Consolidards » renaissent récemment sous le nom de « Grands mangeurs ». Consolidards ou Grands mangeurs sont la garantie de ce système pernicieux et fatal à l’émergence d’un vrai contrat social haïtien où Elite et Masse, Bourgeois et Prolétaires, Citadins et Paysans, Chrétiens et Vodouisants, Francophones et Créolophones, Haïtiens du dedans et Haïtiens du dehors ou encore Créoles et Bossales, grâce à une vision commune - pas forcément unique - construirait une Haïti acquise au bien-être collectif.
B) L’économie de prédation
Malgré le caractère moribond de l’économie haïtienne, malgré le caractère délétère de la pratique politique haïtienne, malgré la délinquance sociale en Haïti et l’Etat déliquescent qui en résulte, l’Elite haïtienne s’en accommode parfaitement jusqu’à conforter en dépit de toute attente sa domination sur le destin du pays. Qualifiée d’« Elite moralement répugnante » par l’intelligentsia étasunienne et jouissant paradoxalement d’une attitude réputée controversée l’Elite haïtienne, dans ses stratégies de domination, n’est mise en échec jamais économiquement, que rarement politiquement, que plus ou moins culturellement. Sa mainmise économique sur le destin du pays l’enferme dans une discrétion et un mutisme qui devraient susciter plus d’une interrogation.
Pourtant les travaux de l’anthropologue haïtien Jean-Price Mars ne manquent pas d’attirer l’attention de l’Elite haïtienne sur sa vocation dans l’édification et la construction de Haïti. Force est de constater que cette Elite n’a jamais rompu avec les pratiques traditionnelles pourtant savamment remises en question par l’auteur d’Ainsi parla l’Oncle.
Barricadés dans des résidences imprenables tant par la vue jalouse des classes démunies en quête de justice sociale que par l’objectif des caméras avides d’explications politiques, les fortunés haïtiens s’abandonnent à une impressionnante irresponsabilité sociale à partir du moment qu’ils sont assurés du confort de leurs intérêts personnels. Leur aisance se nourrit du sort peu enviable du reste de la population et est liée à une idéologie bien réelle et à des pratiques bien actives. Interroger cette idéologie et les pratiques qui en découlent devraient permettre de cerner le drame haïtien. Pour cela il ne semble pas dénuer d’intérêt de se pencher de très près sur une histoire critique de la formation et des pratiques de l’Elite haïtienne pour tenter de comprendre les conditions d’émergence des deux premiers partis politiques qui ont vu le jour en Haïti et leur vision politique quant à l’avenir du pays.
L’histoire haïtienne nous apprend que le premier parti politique fait son apparition en Haïti en 1870 avec la création du Parti Libéral animé par Pierre Boyer, Boyer Bazelais et Edmond Paul, adversaires de l’élite politique traditionnelle qui se confond avec la hiérarchie militaire. Composé majoritairement de mulâtres, ce parti prône un gouvernement représentatif de type parlementaire dirigé par les « plus capables ». Cette conception aristocratique entend placer le pouvoir haïtien entre les mains des meilleurs. Disposant d’une majorité absolue au parlement immédiatement après sa fondation, ses membres se laissent aller à des actions abusives en acculant continuellement le pouvoir exécutif. Ils finissent par perdre leur crédibilité auprès de l’électorat pour finalement se scinder tandis que la faction rivale accède au pouvoir avec le président Boisrond Canal.
Tout de suite après la formation du Parti Libéral, un parti rival voit le jour avec la dénomination de Parti National. Les élections de 1879 consacrent le triomphe de ce parti dont les membres prônent un gouvernement formé par la majorité ethnique avec pour devise « le pouvoir au plus grand nombre ». Pendant une douzaine d’années, libéraux et nationaux s’affrontent de façon meurtrière dans l’arène politique haïtienne et, épuisés, finissent par se supprimer en 1883.
Les deux idéologies libérale et nationale s’organisent, à cette époque, autour de l’enjeu-prétexte de la question de couleur avec, de façon subsidiaire, celle de la langue dont se sert, d’une part, la frange aisée de l’élite haïtienne formée des Mulâtres, détenteurs quasi exclusifs du monopole intellectuel et économique, pour asseoir sa domination politique sur le peuple et, d’autre part, la frange noire de cette même élite formée d’anciens chefs de guerre illustres de l’épopée de 1804 moins dotés intellectuellement et économiquement mais aspirant au renversement politique de sa consœur. Si l’enjeu ethnique s’estompe progressivement c’est pour révéler la mesquinerie et le cynisme d’une élite haïtienne qui s’est toujours adonnée à une politique de prédation économique au détriment de la majorité du peuple haïtien et la prise de conscience de celle-ci de son rôle dans l’économie sociale haïtienne. La petite révolution haïtienne de 1986 qui a emporté la dictature tri-décennale des Duvalier consacre, après les expériences successivement désastreuses du mulâtrisme et du noirisme, l’émergence active d’une conscience populaire acquise à l’avènement d’une société haïtienne démocratique. Celle-ci est à édifier loin de toute idéologie fallacieuse qui transforme le nationalisme en populisme anarchique compromettant ainsi les chances d’élaboration d’un vrai projet de société pour le peuple haïtien en entier.
C) La politique comme fond de commerce
Se pose donc au Haïtien le problème de la finalité de l’action politique mettant en procès toute la praxis politique haïtienne qui se dessine en un jeu de dialectique absurde qui confine la rhétorique communicationnelle dans le non-lieu du dialogue impossible. Cachant mal le cynisme des différents acteurs politiques cette même praxis n’érige-t-elle pas depuis toujours la violence comme seul mode de résolution des conflits politiques dans notre pays ? L’homme haïtien à venir, cet homme sculpté intellectuellement et sculpturé spirituellement ne devra-t-il pas se déprendre de « la vision regrettable que les aînés ont de l’Etat et de l’humain » et s’affranchir ainsi du piège déterministe qui veut qu’il soit à l’image de son père, englué dans le même processus d’involution historique qui semble conduire l’homme haïtien vers toujours plus de « régression ontique » ?
Poser la question de la finalité de l’action politique en Haïti revient à se rendre compte qu’elle a toujours été pour les acteurs politiques haïtiens un « investissement économique », un véritable fond de commerce très éloigné de la noblesse de la vocation politique. Cette perversion, ce ‘‘détournement de fond politique’’ opéré de tout temps en Haïti ne trahit-il pas plutôt l’atrophie de la pensée politique haïtienne ? Normalement et généralement la finalité de l’action politique est le bien-être collectif qui dépend du sens du bien commun, de l’intérêt général ou collectif. S’il n’est pas inné celui-ci s’avère, toutefois, un critère exigeant et incontournable de la socialité et son acquisition découle toujours d’une politique de socialisation permanente liée à l’efficience des institutions publiques. En effet, celles-ci par leur efficacité instaure et renforce la conscience citoyenne qui, elle-même, donne sens à la nation.
Si heureux qu’il soit de défendre l’existence d’une pensée politique haïtienne il est, en revanche, consternant de se rendre compte qu’elle n’est pas formalisée malgré théoriciens et idéologies. Se remémorer la geste de 1804, non pour s’enorgueillir des mythes s’y rattachant, mais pour comprendre qu’elle porte en elle tous les fondements idéologiques qui assoient toute la pensée politique haïtienne qui, elle-même, attend d’être reconquise en vue de conjurer la praxis politique haïtienne perverse parce que pervertie participerait, certainement, du réveil contre l’apathie politique qui gagne, de plus en plus, les esprits en ces temps de transition critique. Ce réveil qui ne serait autre chose que la conquête de soi dans l’autodétermination est affaire de démocratie et « commence à l’école parce que c’est dans cette microsociété que jeune, on fait l’expérience quotidienne de l’axiome rousseauiste selon lequel les libertés non régulées ou non limitées par des formes s’autodétruisent, s’entredétruisent ou se neutralisent, rendant la vie en commun, mais aussi, l’affirmation individuelle, impossibles. » Cette remarque en dit long sur la culture de l’informel qui triomphe dans la pratique haïtienne. « L’homme haïtien comme citoyen du monde, voire comme liberté » est à trouver dans la pensée politique haïtienne qui a pour matrice « le rejet de la soumission de l’esclave au maître, de l’ouvrier au patron, ainsi que du travail au capital », tel que nous le rappelle Jean Casimir dans un article intitulé « La suppression de la culture africaine dans l’histoire d’Haïti ». Cependant il reste à déterminer, en la formalisant, la portée du refus unanime de l’esclavage qui accompagne le rejet de l’impérialisme dans l’établissement de la pensée politique haïtienne en mal de pratique à cause des acteurs politiques plutôt acquis à leur bien-être personnel ou familial. Comprendre la dérive qui caractérise la praxis politique haïtienne et qui la situe loin des idéaux qui fondent idéologiquement la nation haïtienne exigera de nous une remise en cause sans concession de ce qui, dans notre pays, nous est donné pour normal. La normalité de l’informel nous habitue à une pratico-inertie qui, au mieux, nous confine à une résistance passive face à l’insupportable, quand, et cela est pire, nous ne nous bornons pas tout simplement à le subir, comme le trahissent des expressions populaires dont « pito nou lèd nou la ». Restaurer les valeurs essentielles par l’instauration d’institutions publiques efficientes c’est d’abord dénoncer toute l’économie politique de la corruption généralisée qui, en Haïti, transforme les partis politiques en « écuries présidentielles », les acteurs politiques en « Grands mangeurs » comme ils furent jadis « Consolidards » et la politique en un business lucratif au détriment du bien-être collectif.
Si pendant longtemps l’Elite haïtienne, s’assurant de sa domination de l’appareillage économique haïtien, a su céder sur le plan politique, non par faiblesse mais par manœuvre calculée telle que la politique de doublure - parfaite illusion d’un partage de l’espace politique avec la masse comme pour apaiser l’ardeur des revendications démocratiques - il demeure incontestable que les avancées dans la conquête démocratique ne peuvent que continuer.
III. l’avènement de la société démocratique
A) Le réalisme politique haïtien
Mais qu’en est-il de l’exigence actuelle de la réalité haïtienne ? Insaisissable par manque de dialogue national, sordide par manque de justice sociale ou horrible par manque d’éthique politique la réalité haïtienne se voudrait être une tragédie. A défaut d’être congédiée moyennant une prise en compte de ce à quoi elle nous interpelle elle semble, paradoxalement, favoriser une fascination du dolorisme esthétique qu’engendrerait le pathétisme politique haïtien. Tout l’art écrit haïtien appuyé par une réception étrangère somme toute empreinte de légèreté en vient à être porté par la rhétorique du pathos politique qui gouvernerait l’improbabilité de l’homme haïtien à se réaliser en tant qu’acteur conscient de sa propre histoire. L’esthétique de la douleur n’en demeure pas moins travaillée par une logique victimaire qui ferait de nous des éternels bâtards de l’Histoire, des damnés de la Terre ou encore des maudits de Dieu.
La réalité haïtienne nous interpelle donc à plus de réalisme politique. Il convient, en cela, de considérer Haïti en fonction des déterminants qui la construisent effectivement. Il s’agit de :
prendre en compte l’avènement irréfutable de la majorité populaire dans les déterminations politiques, sociales, économiques et culturelles du pays.
Loin de l’exploitation démagogique du slogan « le pouvoir au plus grand nombre » brandi par le parti national qui, pour cause, en a fait une arme ethnique au détriment du pouvoir mulâtre lui-même non moins exclusif avec sa devise « le pouvoir aux plus capables », loin du mouvement noiriste initié par Dumarsais Estimé, théorisé et pratiqué en politique raciste par François Duvalier, loin du populisme lavalassien que nourrissent les aspirations trahies du peuple en lutte pour sa dignité, il convient aujourd’hui de reconnaître le rôle incontournable des mouvements populaires dans le processus politique de construction nationale.
Valoriser le rôle indispensable des producteurs financiers et commerciaux nationaux dans le destin économique du pays.
La valorisation du rôle du secteur financier et commercial haïtien implique de sortir de la dialectique manichéenne qui tend à faire des nantis et des bourgeois haïtiens l’ennemi irréductible de la délivrance populaire. Pour cela l’Etat haïtien doit assumer son rôle de juste redistributeur des richesses nationales en sanctionnant son service de recouvrement fiscal tout en assurant la protection des biens et de la personne d’autrui. Une vraie politique de sécurité sociale haïtienne accessible à tous se doit, donc, d’être établie.
Rationaliser l’influence factuelle et nécessaire de la Communauté internationale dans des choix pertinents de développement du pays.
Sans dédouaner, pour autant, la Communauté internationale des torts passés à l’encontre de Haïti il incombe, néanmoins, que plus d’objectivité se doit d’être témoigné quant à son rôle dans le pays pour la seule raison que toute l’économie haïtienne est dépendante des bailleurs de fonds internationaux. Le nationalisme haïtien qu’accompagne souvent la figure historique de Jean-Jacques Dessalines s’est arrêté en 1848 avec la signature du traité d’amitié franco-haïtien qui accordait une place prépondérante à la diplomatie française dans les affaires haïtiennes moyennant la reconnaissance de l’Etat haïtien par la Couronne française. Et cette influence étrangère dans les affaires internes ne cessent de se perpétuer avec les Etats-Unis d’Amérique et depuis peu avec les Nations-Unies. Parce qu’il est tout aussi inconcevable qu’aberrant de cautionner toute mise sous tutelle de la première république nègre des Temps modernes il s’avère également important de dénoncer toute agitation nationaliste - car anachronique - qui empêcherait de repenser Haïti en fonction des déterminants politico-économiques qui la caractérisent vraiment et qui sont responsables de son futur développement. Rationaliser la présence des multiples organisations non gouvernementales qui œuvrent dans le pays en harmonisant leurs actions avec l’autorité de l’Etat haïtien et un développement adéquat du pays. Ce n’est point penser ni contre la société haïtienne ni contre l’Etat haïtien que, constatant l’évolution continue de l’Etat-nation sous l’effet des pratiques internationales, transnationales et multinationales, de proposer une adaptation réfléchie de nos réalités nationales à cette ère du « Tout-Monde » qu’est la globalisation mondiale des politiques démocratiques, des transactions libérales du capital investisseur et de la mobilité transfrontalière des individus. Haïti doit s’ouvrir au monde parce que le monde s’ouvre à elle. Ce rapport bijectif doit nous permettre de combattre nos peurs ancestrales qui érigent tout contact avec l’Autre comme source de notre déperdition. Cette remise à jour de la pensée politique haïtienne ne manquera pas d’intégrer la diaspora haïtienne dans les stratégies de développement politique, intellectuel et culturel haïtien parce que la communauté internationale ne pourra pas faire l’économie du lobbying de cette diaspora quant aux choix de ses décisions concernant Haïti.
B) La fin annoncée de la société traditionnelle
La critique politique haïtienne s’arrête généralement au constat d’échec politique de l’édification de la Nation et de l’Etat haïtiens. L’analyse se fait souvent plaintive en étant dénonciatrice et accusatrice. Le présent politique haïtien est vu de façon rétrospective renvoyant à un passé non dépassé qui conduit toujours à une sorte d’introspection collective. Celle-ci tend à mettre l’accent sur la responsabilité collective du devenir haïtien mais excuse dans le même temps la culpabilité individuelle telle la mégalomanie et la cupidité des différents dirigeants politiques haïtiens. Il s’agit en effet de faire le procès des détournements de l’aide internationale et des fonds publics et sociaux par les divers gouvernements haïtiens depuis le fameux emprunt Domingue jusqu’aux récentes corruptions sans oublier l’argent public détourné par les Duvalier. Or, cette culpabilité souvent omise se révèle pourtant fatale à toute perception collective de la nation haïtienne parce qu’obéissant à une conception démagogique de l’homme collectif haïtien. Celui-ci est cet homme improbable donné pour irréalisable parce que, jusqu’à présent, non réalisé. En réalité, une question persistante s’impose aux acteurs politiques haïtiens. Il s’agit de la question de la perspective politique pour Haïti dont un début de réponse se fait sentir à travers un renouvellement de la classe politique haïtienne.
C) L’émergence d’une classe politique renouvelée
Articuler une collaboration saine entre le peuple ouvrier et artisan, la bourgeoisie financière et commerciale et la Communauté internationale (à travers les investisseurs internationaux) est le grand défi du processus démocratique haïtien. Ce défi s’impose à toute la classe politique haïtienne qui, d’ailleurs, elle-même, est en transition puisque vivant son dernier age traditionnel. La fin de la société traditionnelle haïtienne met en perspective l’avenir politique du pays haïtien en général et des Haïtiens en particulier. Cet avenir dépend de l’organisation et de la gestion de ce que Haïti dispose en termes de ressources naturelles et de ce que les Haïtiens représentent en termes de ressources humaines. Toute perspective politique qui mise sur un développement certain du pays et du peuple haïtiens doit savoir mettre en adéquation une valorisation simultanée des ceux richesses nationales.
Ecartant toute approche fataliste qui érige la malédiction comme sort unique réservé à Haïti la vouant au mieux à sa mise sous tutelle étrangère ou internationale et au pire à sa perte inéluctable, il convient de considérer la perspective politique haïtienne en fonction des potentialités proprement haïtiennes parce que même si les ressources naturelles se révèlent limitées les ressources humaines demeurent immenses et attendent d’être mises en valeur. A ce titre la valorisation du monde rural en modernisant le rôle du paysan, la reconsidération de la place de la jeunesse dans la vie pratique et intellectuelle du pays et la promotion des investissements grâce à un meilleur encadrement juridique et politique devraient rendre la société haïtienne tout à fait dynamique.
Conclusion
La réalisation du dialogue national est la responsabilité des acteurs politiques qui ont la mission de gérer ce présent de crise épiphénoménale. Le regroupement ou la fusion des partis politiques est un signe prometteur de la rationalisation à venir des conceptions politiques en œuvre au sein de la classe politique haïtienne. Cela illustre au niveau des partis la prise de conscience politique de la nécessaire modernisation de la pratique politique haïtienne.
Le dialogue national commence donc déjà au niveau des partis politiques et il revient au gouvernement de transition de conforter la démarche en l’inscrivant au cœur de son action politique dont la réussite dépend de la participation de tous. En ce sens sa mission dit, justement, de transition est capitale dans le tournant politique qui s’opère actuellement, bien que difficilement, dans le pays. Toutes joutes électorales prochaines ne peuvent que sanctionner le travail devant être accompli par ce gouvernement de consensus. Le gouvernement prochain qui en sortira sera capital dans le destin de Haïti parce qu’il sera le témoignage soit de notre perdition depuis longtemps fantasmée soit de notre libération effective vers une modernité tant désirée.
En ces temps critiques où « la souveraineté nationale est sous surveillance » il revient à nous Haïtiens, enfants de la haine et de la violence pluriséculaire, voués selon les esprits dubitatifs et très peu altruistes à une existence tragique faite d’instabilité politique chronique de saisir l’opportunité actuelle pour enraciner chez nous ce qui nous a toujours fait défaut à savoir la culture du dialogue en politique. Par le dialogue national nous arriverons certainement à entendre nos accords et nos désaccords politiques pour comprendre en quoi et comment nous pouvons construire ensemble la nation haïtienne. Celle-ci devra sortir gagnante de ce dialogue national parce que, si pendant de deux cents de solitude historique, elle est donnée pour non accomplie voire inexistante, c’est à cause, en grande partie des responsabilités à retenir, de la défaillance de la conception de l’action politique haïtienne. Le dialogue national n’aura donc de sens que s’il conduit à la réconciliation des différents secteurs sociopolitiques et socioéconomiques qui auront compris alors que tous les Haïtiens ne sont pas ensemble seulement pour vivre mais encore pour vivre ensemble. C’est cela l’idée d’une nation haïtienne à tout jamais unie.
.............................................
Bibliographie :
BARTHELEMY (Gérard), Le Pays en dehors, Editions Deschamps, Port-au-Prince, Haïti, 1989.
BATRAVILLE (Dominique), « Christophe Wargny et les racines historiques d’Haïti » sur http://www.haitipressnetwork.com/news.cfm?articleID=6191
CASIMIR (Jean), « La suppression de la culture africaine dans l’histoire d’Haïti ». Socio-Anthropologie, N° 8. Cultures Esthétiques sur http://revel.unice.fr/anthropo/document.html?id=124
DECEMBRE (Wilson), « Sculpter l’homme pour qu’il se sculpte lui- même » sur http://id.blogspirit.com/archive/2004/12/09/sculpter_l_homme_pour_qu_il_se.html
DEPESTRE (René), « Adresse aux Haïtiens d’aujourd’hui » in Le Monde diplomatique, avril 2004, p. 6 et 7.
GLISSANT (Edouard), « Tout-monde ». Gallimard - Folio, n° 2744 Paris, 1995.
http://www.haiti-reference.com/histoire/savez-vous02.html
JOASSAINT (Pierre-Michel), « La politique comme investissement économique » sur http://id.blogspirit.com/archive/2004/12/10/la_politique_comme_investissem.html
LOUIS-JUSTE (Jean Anil), « L’Internationale Communautaire et l’Etat haïtien à travers le CCI : La Question Nationale » sur http://www.alterpresse.org/article.php3?id_article=1655
LOUIS-JUSTE (Jean Anil), « Crise sociale et Internationale Communautaire en Haïti » sur http://www.alterpresse.org/article.php3?id_article=643.
MANIGAT (Leslie F.), Eventail d’Histoire vivante d’Haïti - Des préludes à la Révolution de Saint-Domingue jusqu’à nos jours (1789-2003) - VOL III La crise de dépérissement de la société traditionnelle haïtienne (1896-2003) Collection du CHUDAC.
PEAN (Leslie J. -R.), Haïti, économie politique de la corruption. De Saint-Domingue à Haïti. 1791 - 1870. Ed Maisonneuve & Larose. Paris, 2003.
PRICE MARS (Jean), Ainsi parla l’Oncle. Essais d’ethnographie. Port-au-Prince, 1998.
SAINT-ELOI (Rodney), Combattre la toute-puissance du ressentiment ! sur http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/saint-eloi_combattre.html
SAINT-HUBERT (Francis), ...Et le neveu répondit. La Diaspora en Question.
WARGNY (Christophe), Haïti n’existe pas. 1804-2004. Deux cents ans de solitude. Ed. Autrement. Coll. Frontières. Paris, 2004.
.............................................
[1] Etudiant en Master 2 Lettres Classiques à l’Université de Limoges (France)