Par Wooldy Edson Louidor, 21 décembre 2018 (AlterPresse)*
Leipzig (Allemagne), 29 déc. 2018 [AlterPresse] --- L´année 2018 ferme le rideau sur l´épineuse question des migrations, avec la ratification solennelle par plus de 150 pays du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (le Pacte) au cours de la conférence intergouvernementale, réalisée sous les auspices de l´Organisation des nations unies (Onu) à Marrakech, au Maroc, les 10 et 11 décembre 2018.
S´il faut bien célébrer comme un cadeau de Noel la naissance dans la gésine du Pacte, dont le texte est pourtant ponctué d´ambivalences, c´est-à-dire de manœuvres discursives pour ménager la chèvre et le chou ; cependant, ce cadeau de Noel a laissé dans la bouche une saveur mi-figue mi raison.
Célébrer
Plusieurs entités, dont celles qui ont lutté à bras le corps en faveur du Pacte (entre autres, l´Église catholique apostolique romaine), ont vu dans la ratification de ce document -largement négocié et très controversé, pratiquement depuis le lancement du projet à travers la résolution 71/1 du 19 septembre 2016, votée par l´Assemblée générale des Nations Unies- un « instrument qui aidera les personnes qui fuient leur territoire », selon le directeur national de la Pastorale Sociale de la Colombie, Monseigneur Héctor Henao [1]. Et avec raison.
En fait, le monde d´aujourd´hui offre le spectacle hideux de la souffrance humaine à travers le globe. Enfants, vieux, jeunes, hommes et femmes, tous fuient leurs pays d´origine pour se sauver de la guerre, la misère, la violence, la persécution, la famine, les catastrophes naturelles, le féminicide, le génocide, l´économie globale avec son lot de mégaprojets, etc. Ils demandent à cor et à cri de l´hospitalité (pas seulement de l´aide humanitaire) dans les pays d´arrivée, quand ils ne sont pas disparus préalablement au cours de la trajectoire : naufragés, dévorés par les animaux des forêts, violés, vendus et assassinés par des réseaux de criminels.
Voilà un geste hautement symbolique, éthique et politique de ces chefs d´État et de gouvernement (pour lequel quelques-uns, comme la chancelière allemande Angela Merkel, ont payé le prix fort) ayant exprimé leur détermination à « apporter une contribution importante au renforcement de la coopération relative aux migrations internationales sous tous leurs aspects ». C´est donc un premier pas dans la bonne direction, à savoir : donner une réponse mondiale à la mesure de ce phénomène mondial.
L´Onu s´est convertie en principale interface pour articuler les différents États et gouvernements autour de et vers la recherche de cette réponse dans un contexte mondial défavorable, dont le Brexit (le retrait de la Grande Bretagne de l´Union Européenne) en 2016, l´arrivée au pouvoir en 2017 du président étasunien Donald Trump. Malgré tout, l´Onu a tenu bon. Elle obtint l´adoption de la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants (3 octobre 2016), par laquelle ses États membres ont reconnu qu’il faut élaborer « la meilleure stratégie que la communauté internationale pourrait mettre en place pour répondre au phénomène mondial des déplacements massifs de réfugiés et de migrants, qui prend de plus en plus d’ampleur » [2]. L’organisme international lança donc l’initiative d’élaborer deux nouveaux traités mondiaux pour 2018, en vue d’améliorer les mécanismes de protection des droits humains des migrants et des réfugiés et de définir des engagements conjoints pour leur mise en œuvre par les autorités, à savoir : le Pacte mondial sur les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
L´initiative onusienne a été fortement appuyée par des agences humanitaires, de développement et de coopération internationale, ainsi que par des organismes de droits humains, des collectifs de migrants et de réfugiés, des mouvements citoyens à l’échelle nationale, régionale (en Europe et en Amérique latine, par exemple) et mondiale, des réseaux académiques et l’Église catholique, apostolique et romaine.
Les raisons de l´appuyer sont, entre autres, la nécessité d´assumer l´évident échec, en l’occurrence, l’incapacité des « États membres [qui] se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif » des droits de l’homme (ONU, Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948). Aussi (c´est bien l´objectif central du Pacte) faut-il donner une réponse urgente et pertinente aux déplacements massifs de migrants et de réfugiés qui constituent pas seulement un problème humanitaire, mais aussi et surtout un problème de protection de droits humains. Cette incapacité provoque de plus en plus que des citoyennes et citoyens perdent confiance dans les capacités de leurs autorités et les institutions publiques de leurs pays à répondre de manière efficace au phénomène, comme l’a bien souligné la Commission Européenne (Horizon 2020. Work Programme 2018-2020, 27 octobre 2017) [3].
En outre, les crises humanitaires impliquant des migrants et réfugiés ne cessent d´augmenter : fini donc le temps de se limiter à fermer les frontières, à augmenter les centres de détention, à déporter et à faire la sourde oreille !
Dans le cas particulier des Amériques, des Haïtiennes et Haïtiens, des Vénézuéliennes et Vénézuéliens, des Honduriennes et Honduriens et, dans une moindre mesure, des Cubaines et Cubains, des Dominicaines et Dominicaines, des Mexicaines et Mexicaines, des Colombiennes et Colombiens, ont besoin de la protection de leurs droits fondamentaux que des gouvernements des pays où ils arrivent ne veulent ou ne peuvent garantir pleinement. Tijuana (ville mexicaine frontalière des États-Unis d´Amérique) et Cúcuta (ville colombienne frontalière du Venezuela) font partie de ces lieux qui montrent la cruauté et l´indifférence dont sont victimes les migrantes et migrants, ainsi que la solidarité et l´hospitalité (en plus petite dose) que leur manifestent des personnes, organisations et groupes profondément frappés par la misère humaine.
Ménager la chèvre et le chou
Face à cette situation de détresse généralisée, le Pacte, qui établit de façon consensuelle 23 objectifs [4] orientés à garantir « des migrations sûres, ordonnées et régulières », vise à « favoriser la coopération internationale en matière de migration entre tous les acteurs compétents, sachant qu’aucun État ne peut gérer seul la question des migrations, et respecte la souveraineté des États et les obligations que leur fait le droit international » (Ibid.).
Cependant, le lecteur avisé notera certaines ambivalences dans le texte, où l´Onu ménage la chèvre et le chou. À commencer par le titre même du Pacte qui renvoie à la sécurité, l´ordre et les règles, par-delà l´humain et ses dérivés (droits humains, dignité humaine, entre autres). En outre, la teneur des 23 objectifs, de nature plutôt opératoire (procédures, mécanismes, collecte de données), s´accorde par moment difficilement avec l´ensemble des principes directeurs, transversaux et interdépendants (proclamés solennellement dans le Préambule) axés, par exemple, sur la « priorité à la dimension humaine ». Le difficile passage de l´éthique et du juridique à la politique et à la technique est fort souvent forcé dans un texte morcelé, voire schizophrène.
Des principes qui n´ont pas eu une bonne cohabitation, par exemple, « les Droits de l´homme » et la « souveraineté nationale » sont simplement juxtaposés dans une liste de bonnes intentions pour tranquilliser les uns (États, groupes nationalistes) et les autres (migrants, réfugiés et leurs défenseurs).
Finalement, établi comme un document non contraignant (soft law), le Pacte est pourtant défini dans le texte comme un instrument qui aidera les États à respecter les « obligations que leur fait le droit international ». Justement le problème consiste en ce que des États s´arc-boutent sur leur souveraineté nationale pour ne pas prendre en charge leurs responsabilités et engagements envers le respect des droits humains des migrants et –d´une manière générale- des instruments du droit international. Le problème est donc posé comme la solution.
Saveur mi-figue mi-raisin
Pour toutes ces raisons et bien d´autres - qui ne sont pas développées ici -, les résultats obtenus avec la ratification du Pacte laissent une saveur mi-figue mi-raisin. D´un côté, certains États ennemis déclarés du Pacte, dont les États-Unis d´Amérique, la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et Israël, objectent l´idée d´adopter un Pacte mondial sur la migration, puisque chaque État est libre et souverain de gérer cette question. Donc, « mondial » ou coopération internationale et « national » ou souveraineté ne riment pas du tout en ce qui a trait à la « gestion » de la migration.
D´autres États, à l´instar du Chili, sont allés jusqu´à nier qu´il existe un certain droit de migrer. Le document le plus important du régime des droits de l´homme, la Déclaration universelle des droits de l´homme de 1948 [5], est donc jeté aux oubliettes. Dans d´autres pays, le nom même du Pacte choque et provoque des attitudes xénophobes et racistes de la part des partis de l´extrême-droite, des groupes nationalistes, de certains médias et des citoyennes et citoyens ordinaires, sans que ceux-ci aient pris le temps de lire le document, voire le soumette au débat public. La République Dominicaine en constitue un exemple paradigmatique.
De l´autre rive de la critique, dans le camp des défenseurs du Pacte, celui-ci est considéré comme peu garant des droits humains des migrants, vu sa nature non contraignante, son respect absolu de la souveraineté des États et ses sérieuses limitations quant à la définition des mécanismes d´accès des migrantes et migrants à l´aide humanitaire, à la protection de leurs vies, leur dignité et intégrité.
Tout semble indiquer que dans les prochaines années, l´enjeu de taille sera de déconstruire « les faux narratifs » [6], auxquels le secrétaire de l´ONU Antonio Guterres a en partie attribué le rejet de ce document dans certains secteurs. Des « faux narratifs » qui sèment la peur, la haine, la discrimination contre les migrants et qui convoquent décidément à ne pas se laisser « envahir » par des intrus indésirables, affamés et potentiellement dangereux et, donc, à verrouiller toutes les portes. La table est de plus en plus servie pour des politiciennes et politiciens de l´extrême-droite et nationalistes, alors que ceux du « centre » et de la « gauche » préfèrent maintenir un silence stratégique. [wel gp apr 29/12/2018 09 :00]
* Collaborateur à AlterPresse. Doctorant en Philologie à l´Université de Leipzig (Allemagne)
[4] Voir le document en cliquant sur ce lien actif : https://undocs.org/fr/A/CONF.231/3
[5] L´Article 13 de cette Déclaration proclame : “1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays”. Voir : http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html