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Les causes de la débâcle d’Haiti et les moyens de redresser la barque

Notes de lecture

P-au-P., 31 mars 05 [AlterPresse] --- L’historien et analyste politique Michel Soukar signe le cinquième tome de sa série intitulée « Entretiens avec l’histoire », ce vendredi 1er avril, au Musée d’Art du Collège Saint Pierre, à Port-au-Prince.

Ce livre comporte une succession de bilans analytiques couvrant la période allant de 1999 à 2004. En 1999, l’auteur note que la démocratie a du mal à démarrer faute de vision, de compétence et d’institutions. En 2000, il résume la situation politique en deux mots : anarchie et violence. En 2001, il souligne une aggravation de la crise politique, du règne de l’impunité, de la corruption et de l’intolérance. Le bilan de 2003 est jugé en tous points catastrophique. « L’année 2004 s’est terminée comme elle a commencé dans la violence. Pire, malgré le changement de pouvoir, le pays bascule dans le chaos ». Bref, c’est une histoire immédiate avec un goût amer, voire un goût de sang, qu’on découvre en survolant cette période à travers la plume de Michel Soukar.

L’auteur analyse par ailleurs les causes majeures de la dégradation socio-économique d’Haïti et tente de définir une vision de la régénération du pays sur un quart de siècle, soit du 1er janvier 1954 au 1er janvier 2004. Michel Soukar divise ce quart de siècle en trois sous-groupes : la période 1956-1986 placée sous le signe du déclin, la période 1986-2004 rangée sous le thème de la faillite et la période 2004-2029 considérée comme celle du réveil.

En d’autres mots, les futurs lecteurs trouveront en condensé une présentation des principales causes de la débâcle nationale et des moyens de redresser la barque.

L’auteur planche aussi sur les mutations sociales qui ont accusé une nette accélération au cours du vingtième siècle. Une accélération qui résulte, selon lui, de la crise sociale à prédominance agraire, de la montée des classes moyennes et de l’urbanisation anarchiques. Michel Soukar donne non seulement les causes de ces bouleversements, mais il en présente les conséquences.

Le livre épingle par ailleurs les trois composantes de la nation haïtienne dans la mesure où elles ont toutes échoué dans la conduite des affaires de l’Etat quand elles étaient à un moment ou à un autre parvenues au pouvoir. Ceci amène Soukar à trois conclusions essentielles. La première est qu’ « on ne peut affirmer que l’une quelconque des trois composantes sociales de la nation est incapable de conquérir le pouvoir politique ». La deuxième est que « nul ne peut faire d’une classe ou d’une autre le dépositaire unique du droit au gouvernement de l’Etat ». La troisième conclusion est que « le temps de l’Etat de classe est révolu » et qu’il serait donc grotesque que « les Haïtiens du 21e siècle s’attachent à un Etat-bourgeoisie traditionnelle, à un Etat-classe moyenne ou à un Etat populiste ». Pour l’auteur, « l’échec de ces groupes disqualifie chacun d’eux pour une aventure solitaire et exclusiviste ».

En fermeture de rideau, Michel Soukar souligne la nécessité de l’adoption d’un contrat social, tout en fixant des balises. Cette idée ne doit pas être, prévient-il, « un cheval de Troie permettant le retour de politiques exclusivistes sous le couvert d’un réalisme néo-libéral. Ce nouveau contrat social ne doit pas ouvrir la porte à une nouvelle politique de doublure qui mettrait au premier plan un porte-étendard des classes moyennes ou un leader anarcho-populiste ».

Sur un tout autre plan, l’ouvrage permet une « revisitation » de l’année 1816 avec la tournée de Simon Bolivar aux Cayes. C’est d’emblée une sorte d’hommage que l’auteur rend à Haïti qui a porté l’Amérique Latine sur les fonts baptismaux. Pour connaître certains aspects et détails de ces événements entourant la participation du peuple haïtien dans la préparation de l’expédition de Simon Bolivar pour libérer plusieurs territoires de l’Amérique Latine, Michel Soukar a questionné Ewald Percy « un fils des Cayes , un griot de la zone, héritier de la mémoire de cette région et de cette époque ».

Le livre montre plus loin que les dirigeants vénézuéliens (de l’époque) n’allaient pas faire preuve de reconnaissance à l’égard d’Haïti. Car celle-ci n’a pas été invitée à la réunion qui visait la création d’une confédération qui devait réunir les Etats de l’Amérique.

L’auteur enchaîne ensuite avec le schisme du parti libéral à Kingston en 1876. Il attribue ce fait au manque de tact et à l’autoritarisme d’Edmond Paul. Alors que Armand Thoby fait figure de fin tacticien. C’est lui (Thoby) qui a fait triompher la candidature de Boisrond Canal à la présidence aux élections du 16 juillet 1876.

Dans le cinquième tome de sa série « Entretiens avec l’histoire », Michel Soukar fait l’éloge de la culture, tout en mettant en garde contre une approche béhavioriste de la culture. La question qui s’impose, estime-t-il, concerne le rôle d’une culture intégrée dans un processus global de développement. « Aucune politique culturelle se voulant crédible en Haïti ne peut échapper à la contrainte de devoir tout mettre en œuvre pour réduire, sinon enrayer la fracture entre créateur et consommateur éventuel du produit culturel ».

L’ouvrage renferme enfin un passage sur les campagnes électorales. Cela tombe à point nommé, puisqu’on est à l’approche d’élections dans le pays. L’auteur fournit des éléments pouvant permettre aux partis politiques d’entreprendre une campagne de manière significative. [vs apr 31/03/2005 9 : 25]