Débat
Par Wesner Désir*
Soumis à AlterPresse le 10 octobre 2018
En Haïti, les Constitutions sont généralement bien pourvues en dispositions pour la garantie des libertés civiles. Elles définissent aussi clairement les mécanismes du régime.
Les textes de Constitution consignent les idéaux de justice, exaltent les droits et les libertés des individus, définissent les fonctions et les responsabilités des pouvoirs de l’Etat.
Mais, la réalité politique, le sort des citoyennes et citoyens, le fonctionnement du régime reposent essentiellement sur les rapports de force et se règlent sur la volonté du tyran, qui a réussi à s’imposer.
Est-ce à dire que la Constitution et les pratiques politiques sont totalement disjointes et que les rendez-vous constitutionnels ne visent qu’à favoriser la gesticulation des politiciens ? Comment expliquer, alors, ces déchaînements passionnés, ces conflits souvent violents, ces tractations et manœuvres politiciennes aux moments où on élabore, vote, modifie les Constitutions ?
Comment, au cœur même des grandes crises sociales et politiques, situer le recours, quasi spontané, au texte constitutionnel, à l’occasion des changements de gouvernement ?
Cette assertion, tirée de l’ouvrage magistral de l’éminent historien Claude Moïse, intitulé « Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti », sous-titré « La faillite des classes dirigeantes », tome I, 1804/1915 », offre un éclairage très pertinent sur un aspect majeur, à savoir la Constitution en tant que dispositif juridique dans le jeu politique en Haïti.
Contexte
L’initiative de rédiger ce texte survient dans un contexte bien particulier, marqué, d’une part, par la présentation officielle, le mardi 28 août 2018, d’un rapport en trente points, relatif aux changements à effectuer, comme cadre de réforme, à la version dite amendée de la Constitution de 1987, et d’autre part, par les tractations inhérentes à la finalisation du processus de nomination d’une nouvelle personnalité, chargée, en remplacement du Premier ministre démissionnaire Jack Guy Lafontant, de conduire l’action gouvernementale.
Il convient, d’entrée de jeu, de souligner, à l’attention des lectrices et lecteurs, que l’un des axes majeurs, sinon fondamentaux, du corpus de proposition de réforme, initié dans le cadre de ce projet, consiste à éliminer la fonction du Premier ministre.
Ce faisant, la commission spéciale de la chambre des députés voudrait changer la nature du régime politique en vigueur, préconisé par la version initiale de la Constitution de 1987.
Sans vouloir faire l’avocat du diable, tout en reconnaissant mon ignorance en la matière, je retiens combien, une fois de plus, la commission spéciale de la chambre des députés vient de passer à côté. Car, elle n’a pas su mesurer : ni les tenants et aboutissants du régime politique, préconisé dans la Constitution de 1987, ni le contexte sociopolitique, dont elle est tributaire.
Faire abstraction du contexte spécifique, qui a accouché du présent régime, c’est, quelque peu, méconnaître la dynamique des rapports de forces existants et la nécessité de mettre en place une soupape, destinée à établir l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement du système.
En guise d’illustration, j’assimile cette démarche à un footballeur, qui, après avoir mal tiré un ballon, pour justifier, en quelque sorte, sa maladresse, regarde sa chaussure, comme pour lui en imputer la responsabilité.
Sans vouloir, non plus, faire le procès des membres de la commission spéciale de la chambre des députés, il conviendrait de reconnaître combien la Constitution, comme l’a bien souligné le professeur Claude Moïse, « plus qu’un document juridique, une Constitution est un fait politique, le résultat d’une épreuve, le produit des rapports de forces, épisodiquement réajusté, remis en question, reconstitué ».
Cet autre aspect de la réalité constitutionnelle porte certains auteurs à mettre en garde contre l’idéalisme des juristes.
En effet, le texte constitutionnel, en lui-même, ne saurait rendre compte de la dynamique politique. Il présente, plus ou moins, de grandes discordances - selon la société considérée – avec la pratique. Ce qui, pour Haïti, parait être la règle, tant les Constitutions ont été violées.
Les spécialistes dénombrent entre cinquante et cent deux lois, dites d’application, préconisées par la Constitution de 1987, qui n’ont jamais été votées.
A qui imputer, donc, cette responsabilité ? Aux constituants, à la Constitution, comme telle, ou aux instances préposées à légiférer (le parlement et l’exécutif) ?
Quelques objectifs tracés dans la Constitution de 1987
La Constitution de 1987 préconise un Etat unitaire et décentralisé.
Aucune disposition, à part la parenthèse 1997, n’a été adoptée pour établir les organes des collectivités territoriales (Assemblées de sections communales / Asec), Assemblées municipales, Assemblées départementales, Conseil départemental et Conseil interdépartemental), ni le Conseil électoral permanent, etc.
La Constitution de 1987 préconisait, du point de vue opérationnel, un régime politique, fondé sur la participation populaire.
Pour ce faire, les mécanismes traditionnels de légitimation ont été ‘’renforcés’’, tant dans le cadre de l’appareil judicaire que de celui du Conseil électoral permanent (Cep).
Il s’agit d’asseoir les différents organes du pouvoir judicaire sur de nouveaux modes de légitimation. Les différentes instances et les différents organes de l’appareil judicaire bénéficieraient d’une nouvelle impulsion, susceptible de les affranchir de l’emprise du pouvoir exécutif, et de jeter, du coup, les bases d’un véritable Etat de droit.
Loin de consolider ces acquis, les élites traditionnelles ont tout fait pour saboter cette démarche.
Travail de sape des élites traditionnelles
La version dite amendée, en l’année 2011, de la Constitution de 1987 participa de cette dynamique de retour au statu quo ante.
Par exemple, les modalités de mise en place du Conseil électoral permanent ont été dévoyées, voire confisquées. Car, au lieu d’être un attribut, reconnu à la population, aux moyens des structures organisées de la société civile locale, ces prérogatives ont été, malicieusement, réorientées, sous formes de compétences, vers les pouvoirs traditionnels de l’Etat (exécutif, parlement, système judiciaire).
Une démarche pareille n’est autre qu’un sacrilège, commis contre la population, ou bien une menée fondamentalement anti-démocratique.
La nomination des juges de toutes les instances de l’appareil judiciaire (des tribunaux de paix jusqu’à la Cour de cassation) relevait de la compétence des structures organisées de la population. Cette compétence a été détournée, subrepticement, vers les pouvoirs traditionnels de l’Etat.
Loin d’être une démarche de renforcement de la démocratie participative, telle que préconisée par la Constitution de 1987, ce nouvel amendement aura servi à fortifier un régime, au profit exclusif des forces traditionnelles.
D’autre part, la démarche de remplacement du poste de Premier ministre par un vice-président participe de cette dynamique politique, assortie d’un présidentialisme renforcé et omnipotent.
La question du Premier ministre en Haïti, un jeu de dupes comme thème de réflexion, ne représente, en rien, une démarche de plaidoyer pour maintenir ou non le poste comme étant l’autre composante du dispositif bicéphale de l’exécutif.
Tout porte à croire que le régime existant était, en réalité, monocéphale, avec une sorte d’excroissance, considérée, à tort, comme une autre tête.
Peut-être s’agit-il d’une erreur de docte ? Car, les savants haïtiens ont, la plupart du temps, cette tendance à engager des réformes, sans avoir, véritablement, eu une évaluation très approfondie de l’existant.
J’ai suivi, avec beaucoup d’intérêt, l’intervention du président de la commission spéciale de la chambre des députés, Jerry Tardieu, sur les ondes de la radio Ibo, le jeudi 30 août 2018, durant laquelle il disait avoir rencontré, dans le cadre de ce travail, neuf anciens Premiers ministres, qui, selon lui, ont, tous, reconnu avoir vécu des galères au cours de l’exercice de leur fonction.
Situation constitutionnelle, soubresauts et caractéristiques de la mouvance politique en Haïti au cours de ces trente dernières années
De 1986 à date (septembre 2018), Haïti a connu plus de 22 changements de gouvernement et plus de 24 remaniements de cabinets ministériels, selon les données fournies par la Banque mondiale (Bm), dans un rapport intitulé « Les villes haïtiennes, des actions pour aujourd’hui, avec un regard sur demain », publié en novembre 2017.
Alors, la question, qu’il faudrait se poser, est-elle la suivante : à quoi cela sert–il de se forger des Premiers ministres, qui, en tout état de fait, ne représentent que de simples victimes expiatoires ?
Deux séries d’émeutes, en dix ans et quelques mois d’intervalles, ont, toutes deux, entraîné des dégâts matériels, financiers politiques sociaux et psychologiques majeurs.
Tel est le bilan d’un modèle de gestion, qui colle mal, sinon difficilement, à la réalité sociopolitique et économique du pays. Car, tout porte à croire que le système de gouvernance en vigueur est inadéquat.
Voila pourquoi, loin de voir dans le choix d’un premier ministre un simple exercice de routine, comme ce fut le cas pendant les trente dernières années (soit dix neuf premiers ministres, et on en est au 20e, en trente ans), il conviendrait de changer de paradigme.
Comme le dit Jean de La Fontaine dans la fable ‘’Perrette et le pot au lait’’, « Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse ».
L’ampleur de l’onde de choc des événements, survenus les vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 juillet 2018, se devait d’être capable, en tout état de fait, de porter les élites, en général, et les autorités, en particulier, à considérer la réalité de fonctionnement de la société autrement et à tenter, du coup, de dégager un nouveau paradigme.
Le cas échéant, cette société risquerait de s’enliser davantage dans un gouffre.
Par exemple, les différentes interventions, qui ont été faites - avant, pendant et même après les événements tumultueux, qui se sont produits les vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 juillet 2018, n’ont pas eu, de l’avis des dirigeants, l’effet escompté, à savoir : les menaces que cette situation a fait peser sur la stabilité de la société.
D’ailleurs, l’attitude un peu cavalière, qui est affichée dans toutes les sphères de l’appareil d’Etat et de la part de certaines strates du secteur des affaires, révèle, à bien des égards, une certaine méconnaissance de la gravité de la situation, subséquente à ces dits événements.
En témoignent les tergiversations, tous azimuts, le profil des personnalités appelées à diriger et à faire partie du gouvernement en Haïti.
Voilà autant de facteurs qui traduisent, dans une certaine mesure, soit l’ignorance, soit le cynisme ou la paranoïa des dirigeants, tant présents que passés.
L’état de la situation politique actuelle, crise gouvernementale ou déclin d’un modèle de société
Choc cosmique, entre rêve et réalité, c’est-à-dire celui d’une Constitution idéale, qui garantit toutes les libertés civiles, et de la réalité politique, où l’on assiste, impuissant, à la confiscation de tous les pouvoirs par le despote (Claude Moïse, opus déjà cité, page 14).
Maurice Duverger, dans son ouvrage « Etudes sur les institutions haïtiennes » (1895), eut à dire : « Trop souvent, les Constitutions écrites sont l’œuvre de réformateurs en chambre, plus soucieux d’un subtile agencement théorique que d’une efficacité pratique. Les institutions, qu’elles créent, sont des architectures harmonieuses, mais artificielles, qui ne correspondent pas aux besoins réels du pays qu’il s’agit de constituer ».
Ces propos, rapportés dans l’ouvrage du professeur Claude Moïse (opus cité, page 15), fournissent des explications, très exhaustives, à propos du dispositif institutionnel et juridique d’Haïti.
Les dernières propositions, établies comme cadre de réforme de la version dite amendée de la Constitution de 1987, participent, d’emblée, de cette dynamique.
La fonction du Premier ministre et le contexte institutionnel existant
Etablie dans la Constitution de 1983 (sous la dictature de Jean-Claude Duvalier), la fonction de Premier ministre se devait de marquer une rupture d’avec un certain regard du régime politique antérieur, dominé par la présidence à vie, sous laquelle elle a été créée.
Néanmoins, en dépit du contexte international, caractérisé par la pensée économique et la démocratie libérale, la situation historique et les contradictions internes du régime ont contribué à étouffer le projet.
Ainsi, malgré le caractère « progressiste » de la fameuse Constitution de 1983, resta-t-elle lettre morte, et le régime politique, qu’elle aura préconisé, attendra-t-il quatre ans, avant qu’il prenne corps dans la Constitution de 1987 et commence à être timidement implémenté, pour la première fois, sous la présidence de Leslie Saint-Rock François Manigat, du 7 février au 19 juin 1988.
La valse des Premiers ministres et la mise à l’épreuve du régime politique, sous-jacent à la Constitution de 1987
En trente ans, l’échiquier politique haïtien a été constitué d’à peu près une vingtaine de Premiers ministres, dont trois qui n’ont pas été l’émanation du parlement, contrairement à la règle édictée dans le régime constitutionnel en vigueur.
Ainsi, de 1988, l’année inaugurale de ce dit régime, à date (septembre 2018), la durée moyenne du mandat de chacun de ces Premiers ministres est-elle d’un an et demi.
Peut-être y verra-t-on des indicateurs ou du moins la résultante de la situation d’instabilité chronique et généralisée, à laquelle la société est confrontée.
L’exécutif bicéphale, un choix libéral dans un contexte historique et politique hostile et peu favorable
Tout en essayant de ménager la susceptibilité des uns et des autres et, avec tout le respect que je dois témoigner à l’égard de la mémoire de cet éminent juriste, dois-je rappeler l’attitude de ce professeur de droit rural à la Faculté de droit et des sciences économiques (Fdse) de Port-au-Prince, qui, frappé d’une très profonde émotion, après avoir été informé du choix que le Président Manigat avait fait de lui comme Premier ministre, éclata en sanglots : « O prezidan, ou fè m chèf, m sonje manman m ».
J’essaie, trente ans plus tard, de reconsidérer cette phrase fétiche, qui, à bien des égards, placée dans le contexte politique actuel, ne transpira pas véritablement l’état d’âme du professeur Martial Célestin [1], qui sût mesurer l’ampleur de la tâche qui lui incomba, en ayant accepté de co-présider la destinée de la nation haïtienne, au niveau de l’exécutif bicéphale, qui, d’ailleurs, fut un fait nouveau dans l’histoire politique et dans l’administration publique en Haïti.
Ce fut également le début d’une véritable galère. Car, cette expérience alla, quatre mois plus tard, être noyée dans un vilain coup d’Etat, orchestré et réalisé par l’armée et une faction de l’oligarchie traditionnelle.
Après la fermeture de la parenthèse Manigat-Célestin, le 19 juin 1988, l’expérience de l’exécutif bicéphale alla être reprise, en février 1991, pour être, à nouveau, refermée.
Peut-être auriez-vous tendance à parler de dents de scie, n’est-ce-pas ?
Pour bien cerner le contexte de fonctionnement de l’exécutif bicéphale et les contraintes, auxquelles ce modèle fait face, il ne faut jamais perdre de vue le contexte historique particulier, dans lequel il a été créé.
La seule libéralité des lois ne suffit pas à garantir la bonne marche d’un régime démocratique.
Il importe de considérer les conditions politiques, sociales, culturelles, économiques et idéologiques, qui ont constitué la trame de la conjoncture spécifique, au cours de laquelle la Constitution de1983 - qualifiée de Constitution mort-née - prit naissance.
Il conviendrait, dans ce cas, de reconnaître combien cette fameuse Constitution apporta, un tant soit peu, « de l’innovation » dans l’univers politique haïtien, en introduisant un modèle d’exécutif à caractère bicéphale, lequel aura été repris dans la Constitution de 1987.
Aujourd’hui, ou même depuis quelque temps, des voix s élèvent, au niveau de certains franges de l’opinion, pour réclamer une réforme constitutionnelle.
Les avis divergent : d’aucuns parlent de réforme, d’autres de changement pur et simple de la loi-mère.
Après la tentative bâclée de réforme de 2011, qui s’est soldée par un véritable gâchis, les intéressés n’en démordent pas.
Une commission parlementaire a été mise en place, au sein de la chambre basse, dont le mandat a été de concevoir, d’élaborer et de proposer les éléments, qui devraient servir à de nouveaux amendements de la présente Constitution.
Entre autres éléments fondamentaux, préconisés dans cette proposition du 28 août 2018, après 17 mois de travail, il faut relever un changement de régime, caractérisé par l’élimination du poste de Premier ministre, qui devrait être remplacé par celui de vice-président.
La première question, qu’il faudrait se poser, en pareil cas, est la suivante : « en quoi l’introduction d’un poste de vice-président, en remplacement de celui de Premier ministre, va-t-elle apaiser le courroux, sinon la prétendue tension, plus ou moins latente, ou, à la rigueur, potentielle, entre un président de la république, chef de l’Etat, garant de la bonne marche des institutions, et un Premier ministre, chef du gouvernement, chef de l’administration publique et exécutant des lois » ?
Voilà deux sphères de pouvoir bien distinctes, mais complémentaires.
Il s’agirait d’un pouvoir savamment orchestré, dans bien des cas, particulièrement dans celui qui me préoccupe, à savoir l’opportunité ou pas du poste de Premier ministre, comme composante du régime politique en vigueur, marqué par un régime bicéphale.
Autres arguments avancés, c’est cette tendance avérée à la perversion des parlementaires, qui s’adjugeraient, subrepticement, des pouvoirs de plus en plus exorbitants. C’est-à-dire, ils s’arrogent des missions et des attributions, qui, légalement, devraient relever de l’exécutif central et des collectivités locales (Conseils d’administration de section communale / Casec, mairies, ect.).
Sous prétexte que le gouvernement est l’émanation du parlement, (des groupes parlementaires), au mépris des partis politiques, dont ils sont issus, négocieraient des postes au sein du cabinet ministériel et des postes de directeurs généraux des organismes déconcentrés, au mépris du principe élémentaire de séparation de (pouvoir et contre pouvoir).
Dans des cas pareils, il n’est nullement question d’une démarche cosmétique de remplacement du poste du Premier ministre par un vice-président. La solution devrait être beaucoup plus drastique.
Alors, faudrait-il rejeter le parlement, comme institution républicaine, ou dissiper le régime de privilège qui sous-entend toutes ces manœuvres ?
Le ver est, par ailleurs, dans le fruit.
La fonction de Premier ministre, la question d’alternance et les modalités de pérennisation des régimes au pouvoir
Chaque régime génère ses propres contradictions, sinon sécrète ses propres germes de destruction.
Il est un peu difficile de bien comprendre les contraintes, inhérentes au fonctionnement du régime politique actuel en vigueur en Haïti, assimilé à un semi-régime d’Assemblée, autrement dit semi-parlementaire / semi-présidentiel.
Par exemple, le Premier ministre, chef du gouvernement, n’ayant pas été confronté au verdict des urnes, pour se forger une légitimité populaire, a obtenu sa légitimité, au contraire, à la fois du parlement et du président de la république, qui le lui confèrent, par procuration. Une telle démarche réside fondamentalement dans la capacité du Premier ministre à maintenir l’équilibre entre ces deux pouvoirs et assurer, du coup, la marche de l’État et de la société.
La question de l’alternance et les mécanismes de représentation dans le système politique haïtien
Tributaire des conditions, dans lesquelles elle a été créée, la fonction de Premier ministre continue à en porter les stigmates.
Malgré le nouveau contexte, de la période post-1986, qui a présidé à sa création, comme dispositif dans le cadre du régime politique, établi dans la Constitution de 1987, marqué par un exécutif bicéphale, il s’agit, plutôt, d’un exécutif, composé d’un président, qui est le chef de l’État, et d’un Premier ministre, qui fait office de chef de gouvernement.
Ce modèle, tel qu’il se définit et s’applique, a présenté, pendant ses trente ans d’existence, des faiblesses d’ordre, à la fois structurelles et opérationnelles, qu’il conviendrait, dans l’état actuel des choses, d’analyser et d’expliciter.
C’est l’objet de ce présent texte, que je soumets à votre appréciation, chères amies lectrices et chers amis lecteurs.
Quelques considérations
La première considération, afférente à cette situation, est d’ordre politique.
Contrairement aux libéralités, préconisées dans la Constitution de 1987, aux largesses en matière de la liberté civile et d’autres, la charte fondamentale est, à bien des égards, très avant-gardiste, de par l’architecture du dispositif qu’elle préconise, qui se doit, dans son orientation et sa mise en œuvre, d’accoucher un Etat, qui se veut moderne.
Néanmoins, la nature des rapports et les liens, qui déterminent le mode d’organisation et de fonctionnement de la société, se trouvent en porte à faux à ce projet, étant donné les conditions existantes (historiques, sociales, économiques, politiques, culturelles et idéologiques), très peu compatibles à ce projet, de type nouveau.
Comme il est stipulé dans la bible, « on ne peut pas mélanger un vin nouveau à un ancien », sous peine que le goût soit altéré.
On ne peut pas, non plus, coudre une toile usée à une toile neuve, sous peine que l’ancienne soit déchirée et laisse intacte la nouvelle.
En général, la plupart des réformes, qui ont été entamées, se sont limitées à la chose constitutionnelle, tandis que les législations, les dispositifs réglementaires, normatifs juridiques, institutionnels, etc., ont rarement été touchés, sinon pas selon une vision d’ensemble ou holistique.
Il suffit de vérifier le profil et les domaines de formation de la plupart des consultants et conseillers, qui ont accompagné les membres des commissions en question, dans la réalisation de leur mission et de leur attribution, pour se faire une idée.
Autant de facteurs, qu’il faudrait considérer, pour cerner la complexité du drame haïtien et envisager les moyens de s’en sortir.
La question d’alternance, talon d’Achille du système politique en Haïti
Concept à caractère polysémique, l’alternance se définit de la manière suivante :
succession, dans le temps ou dans l’espace, selon un ordre régulier ;
succession répétée, dans le temps ou dans l’espace, qui fait apparaître, dans un délai régulier, chaque élément d’une série.
En pratique, l’alternance consiste, généralement, en un renversement de la majorité politique, lors des élections (présidentielle, législatives ou locales).
Ces quelques définitions offrent, dans la mesure du possible, des éléments d’éclairage, susceptibles de vous aider à cerner, chères lectrices et chers lecteurs, le sens et la portée de ce concept, qui se veut un axe-charnière pour la compréhension de cette partie du texte.
Aborder la question, par-delà la définition lexicale, relève d’un exercice très crucial, dans la mesure où il s’agirait de l’un des points considérés, à tort ou à raison, comme faibles, au regard du régime politique existant en Haïti.
Pour mieux cerner cet aspect du problème, il aurait suffi de regarder les difficultés, auxquelles la société est confrontée, pour pouvoir assurer, sans heurts, le renouvellement du personnel, chargé de conduire la barque des différentes institutions républicaines.
La littérature politique regorge de thèmes et/ou d’euphémismes, qui, sont, les uns, plus évocateurs que les autres, tels que : eleksyon bouyi vide, eleksyon chanpwèl, eleksyon grenn soulye, eleksyon fo mamit, eleksyon gwo ponyèt, etc.
Loin d’être des facteurs anodins, ces différentes expressions traduisent, dans une très large mesure, un certain état d’esprit, quant aux maux réels qui rongent le système politique, et la capacité réelle de la société à y remédier, de manière optimale.
Par exemple, l’ordonnance de l’honorable magistrat instructeur, Jean Wilner Morin, prononcée contre l’ancienne conseillère électorale Yolette Mengual, directrice générale actuelle du Ministère des haïtiens vivant à l’étranger (Mhave), une des figures de proue dans le mouvement féministe haïtien, citée à comparaître par-devant le tribunal criminel, sans assistance de jury, pour « crime électoral, enrichissement illicite, escroquerie » et d’autres, témoigne, tout compte fait, de l’état de crise morale, mais surtout du malaise profond, auxquels le système politique en Haïti fait face.
Egalement, un cas de faiblesse institutionnelle patente se caractérise par la prédominance du Conseil électoral provisoire (Cep), au mépris du prescrit constitutionnel, relatif à l’établissement d’un organe permanent, préposé à l’organisation régulière d’élections en Haïti.
Loin d’être un fait divers, voilà, s’il en était besoin, un cas dérivé, qui entache, une fois de plus, le système en la matière (22 conseils d’administration de Cep, en trente et un ans).
Balkanisation des partis politiques
La dernière loi sur les partis politiques, au lieu d’avoir constitué un ferment pour le système, contribue, au contraire, à les balkaniser.
De cinq mille personnes, dument identifiées, qui étaient prévues par la loi, pour solliciter des autorités compétentes, un permis de fonctionnement pour un parti politique quelconque, le quota a été réduit à vingt membres dans la nouvelle loi.
Ce faisant, nos ‘’policymakers’’ éliminent, en tout état de cause, un verrou important, et ils créent, du même coup, les conditions d’affaiblissement du système politique par la sape de toute opportunité d’établissement et de renforcement véritable de la démocratie, comme modèle de gouvernance en Haïti.
Les partis politiques, loin d’être un lieu ou un organisme, dont la mission fondamentale est la socialisation politique, deviennent, au contraire, de simples outils, aux mains d’un petit groupe de dirigeants, destinés à monnayer, aux plus offrants et aux derniers enrichisseurs, les bannières à tout venant, à l’occasion des élections.
Cette situation, somme toute délétère, contribue, en grande partie, à affaiblir les institutions républicaines, en les dotant de dirigeants aux comportements douteux ou à compétences quelque peu approximatives.
Ainsi, les mécanismes de représentation des dirigeants potentiels, à des postes de décision, sont-ils, pour la plupart, disloqués, tandis que la société fait face à une situation de délitement caractérisé.
Regard pour changer l’histoire, éléments pour bâtir l’avenir
Le modèle d’organisation politique, fondé sur la domination des notables, a fait son chemin et a montré aussi ses limites.
Néanmoins, à défaut d’une rupture radicale, les vestiges de ce modèle - dont la forme la plus accomplie est le pouvoir des baïonnettes - continuent, sous de nouveaux manteaux, à rythmer la cadence de la vie politique.
D’où la présence, même larvée, de la violence dans l’exercice d’un jeu politique, qui se dit ou se veut démocratique.
Pour changer le cours des choses, c’est-à-dire créer les conditions d’établissement d’un véritable régime démocratique, il devient impératif d’aboutir à une révision des conditions, qui ont établi les dispositifs existants : institutionnels, politiques, idéologiques, culturels, etc.
Un vaste mouvement citoyen, orienté vers l’adoption de l’ensemble des lois d’application, de la version initiale de la Constitution de 1987, ainsi que de l’ensemble des dispositifs administratifs et institutionnels, qu’elle a préconisés, constituerait un pas véritable, un pas de géant dans la bonne direction.
Gouvernance politique et syndrome du présidentialisme traditionnel en Haïti
L’histoire de l’exercice de la fonction du Premier ministre, pendant ces trente dernières années, en Haïti, révèle combien la plupart des présidents de la république en exercice ont tout concocté pour torpiller le régime politique, fondé sur un exécutif bicéphale.
Le mobile d’une telle situation est le contrôle et la mainmise sur le pouvoir et l’appareil, afin de s’assurer de sa réélection dans les prochaines joutes.
Tout est fait pour placer ou garder au pouvoir un proche très fidèle, sinon dévoué, qui travaille d’arrache-pied aux seules fins de contribuer au retour au pouvoir de son poulain.
Ce fut le cas, de 1996 à 2011, de René Préval, qui s’est démené, pour la reprise du pouvoir de l’ex président Jean-Bertrand Aristide.
En pareils cas, tout est concocté pour avoir un Premier ministre et des ministres effacés, c’est-à-dire peu enclins à leur propre émergence comme alternative.
En témoignent :
la bataille acharnée, menée tambour battant contre le Premier ministre Rosny Smarth, qui culmina à sa démission en juin 1997 ;
le gel des élections de 1997 - pour le renouvellement du tiers du sénat - qui n’ont jamais abouti ;
le refus de Rosny Smarth de continuer, après environ quatre mois, à liquider les affaires courantes ;
le maintien d’un gouvernement démissionnaire à la direction de l’Etat pendant plus de dix-sept mois ;
l’irrespect de l’échéance électorale ;
la caducité de la 46e législature et le dysfonctionnement du parlement ;
l’échéance du mandat de l’ensemble des autorité des collectivités territoriales (Casec, Asec, mairies, etc.) ;
la nomination, suite à un accord politique quelque peu mal séant, d’un nouveau gouvernement dit de concertation ;
l’organisation d’élections législatives et municipales de mai 2000 ;
la dissolution du Cep et l’exil de son président ;
l’organisation d’une élection présidentielle controversée en novembre 2000.
Tous ces événements ont été tramés dans le seul but de paver la voie pour le retour au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide.
Le cas de 2006
Le retour au pouvoir du président René Garcia Préval fut réalisé dans la douleur, avec, à la clé, beaucoup de casse.
Le gouvernement et le Conseil électoral provisoire trouvèrent des arguties pour faire avaler la pilule. Affaibli, il engagea, malgré la majorité relative de parlementaires - que comptait la plate-forme politique dont il fut issu - des négociations avec les partis politiques, représentés au Parlement. Cette démarche se solda par la mise en place d’un gouvernement dit d’ouverture, dirigé par son ancien Premier ministre et directeur de campagne à la présidence, le professeur et ancien recteur de l’Université privée Quisqueya, Jacques Edouard Alexis.
Le gouvernement une fois installé, la lutte entre factions rivales, au sein de la plate-forme politique Lespwa, pour succéder au président Préval, fut entamée. Le gouvernement fut finalement atteint de cette pathologie.
Une atmosphère de suspicion maladive, dominant les rapports entre le Premier ministre, prétendant ouvert et assumé au trône et certains de ses ministres, contribua, dans une large mesure, à saper la confiance, nécessaire au bon fonctionnement du gouvernement.
Cette situation entraîna ainsi sa paralysie. La moindre sortie publique d’un ministre quelconque fut perçue comme démarche subtile de damer le pion au ‘’chef’’.
Sous réserve, d’être désavoués, trois ministres ont été particulièrement ciblés, par cette pratique. Il s’agissait de : Gérald Germain, titulaire (9 juin 2006 – 5 novembre 2008) du Ministère des affaires sociales et du travail (Mast) ; ingénieur Frantz Vérella, titulaire (6 juin 2006 – 6 septembre 2008) du Ministère des travaux publics, transports et communications (Mtptc) et de Gabriel José Bien-Aîmé, titulaire (9 juin 2006 – 6 septembre 2008) du Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp).
Informé de la situation, le président tenta, à maintes reprises, de calmer le jeu. Le Premier ministre, quant à lui, revint toujours à la charge, pour brandir ses récriminations, particulièrement contre le titulaire du Menfp.
Entre-temps, la situation politique s’est dégradée au fur et à mesure. La grogne de la population, face à la détérioration des conditions de vie, s’intensifia.
Le président Préval fut interpellé à ce sujet. En réponse, il dit ceci : si nou te bezwen yon moun ki pou fè mirak, se pa t mwen pou n te vote.
Lorsque, dans les émissions lignes ouvertes et d’autres manifestations de moindre envergure, il a été interpellé, quant à la tenue de manifestations contre la hausse vertigineuse du coût de la vie, il rétorqua et je cite : « lè n ap fè manifestasyon nou anonse yo, pa bliye pase pran m ».
En guise de réponse politique, à cette situation de malaise sinon de mal-être, à laquelle la population était confrontée, un groupe de députés de l’opposition interpella le Premier ministre. Cette séance se solda par un vote, favorable au concerné, avec une majorité écrasante.
A défaut d’une réponse institutionnelle, la rue a repris le relais.
Trois mois plus tard, soit le mardi 8 avril 2008 - après des émeutes, le 3 avril 2008, aux Cayes (département du Sud) – d’immenses émeutes éclatèrent à Port-au-Prince. Les dégâts et les dommages furent incalculables. Le bureau du sénat (à l’époque), qui confisqua les demandes réitérées d’interpellations des groupes de l’opposition, qui lui ont été adressées, se résolut, finalement, d’organiser, le samedi 12 avril 2008, une séance d’interpellation, à l’issue de laquelle le gouvernement fut renvoyé.
Départ du gouvernement Alexis/Préval, esquisse de reconfiguration de l’échiquier politique
Comme un discours prémonitoire, dans le cercle immédiat du président de la république d’alors, on débita une phrase assez évocatrice, à savoir : Premye mitan fini, kounye a nou pase nan dezyèm mitan.
Il s’agissait, alors, d’une annonce, à peine voilée, d’une nouvelle philosophie, inhérente à la nouvelle vision de l’équipe au pouvoir. Le mauvais temps étant passé et arrivé presqu’à mi-mandat, le président Préval, en bon manœuvrier, commença à déplacer les pions, en vue de reprendre le contrôle total du jeu.
Pour ce faire, il lui fallait provoquer un bouleversement dans le système, pour pouvoir reconfigurer l’échiquier politique, en fonction de ses propres objectifs.
Tel fut le cas.
Après avoir éclipsé, habilement, le Premier ministre Alexis de l’arène, cinq mois plus tard, il choisit une figure majeure de l’intelligentsia haïtienne, en la personne de Michèle Duvivier Pierre-Louis, qui fut votée au parlement (Ndlr : 5 septembre 2008 – 11 novembre 2009). Elle entra, donc, en fonction en septembre 2008 et parvint, malgré certaines escarmouches, à s’imposer.
Par ailleurs, comme pour en faire payer le prix aux partis membres de l’ancienne coalition, qui participèrent au gouvernement déchu, le président, au mépris de certains coéquipiers de la plate-forme politique Lespwa - sous la bannière de laquelle il accéda au pouvoir - entreprit de glaner, sans état d’âme, des personnalités, membres de la direction et militants de premier rang des partis politiques, comme l’Organisation du peuple en lutte (Opl), la Fusion des sociaux démocrates (Fusion), etc., pour former, au détriment de ses coéquipiers de la plate-forme politique Lespwa, une nouvelle plate-forme Politique dénommée Inite.
Cette initiative constitua un coup fatal pour ces partis et groupements politiques susmentionnés.
Ce faisant, en plus de ses rivaux traditionnels, comme la Fusion et l’Opl, le président Préval asséna un tout aussi dur coup à certains dirigeants et parlementaires de la plate-forme politique Lespwa, qui, eux aussi, se positionnaient, à un niveau moindre, comme prétendants au trône.
Alors, devrait-on reconnaître qu’il tenta de calmer leur ardeur.
Environ neuf mois après le passage de Gabriel Bien-Aîmé au Menfp, le président Préval, de passage dans le département de l’Artibonite, est revenu sur la gestion de Gabriel Bien-Aîmé, qu’il dit avoir été entachée de vagabondage. Le président fit l’objet de vives critiques et des agitations commencèrent à se multiplier. Le sénat étant imputé d’un tiers de ses membres, aucune disposition n a été entreprise en vue de la tenue des élections, qui devraient le compléter. Les contradictions internes minèrent le régime, et la Première ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis, victime elle aussi d’une très grande machination, fut contrainte à la démission et remplacée par le titulaire du Ministère de la planification et de la coopération externe (Mpce), Jean Max Bellerive (Ndlr : 11 novembre 2009 – 18 octobre 2011), comme nouveau chef de gouvernement.
Quelques mois plus tard, en plus du drame politique, la société haïtienne allait subir, de plein fouet, le séisme du mardi 12 janvier 2010, qui entraîna l’une des catastrophes les plus meurtrières de l’histoire nationale.
Le bilan - au plan humain, matériel, économique, environnemental et émotionnel - fut très désastreux. Les faiblesses de la société, du point de vue institutionnel, politique, humanitaire, logistique, etc., furent mises à nu.
Dans la foulée, les grands magnats, tant bilatéraux que multilatéraux, envahirent le terrain et imprimèrent leur propre rythme à la cadence en politique - déficience institutionnelle, contexte politique et absence de conscience nationale aidant -. Les rapports de force tournèrent en leur faveur et les manœuvriers politiques nationaux en firent les frais.
Au cours de l’été 2010, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, un autre événement, quelque peu inouï, allait se produire sur l’échiquier politique. En comptabilité, on aurait parlé de pertes et profits.
Il s’agit du décès de Gabriel Bien-Aîmé, communément appelé père Gaby.
Pour remettre l’événement dans son contexte, de retour d’un séjour aux Etats-Unis d’Amérique, au cours duquel il fit son bilan de santé - dont les résultats se sont révélés corrects - Gabriel Bien-Aîmé est arrivé lundi en Haïti. Deux jours plus tard, soit mercredi, des individus non identifiés sont rentrés par effraction, très tard dans la nuit, dans son domicile. Ils le frappèrent grièvement et le laissèrent pour mort. Après cet événement dramatique, ses proches l’ont conduit à l’hôpital du Canapé Vert. Sa situation s’est plus ou moins stabilisée, de l’avis de son médecin traitant. De l’hôpital du Canapé Vert, il fut transféré à un autre hôpital de la place. Une semaine après, des démarches ont été entreprises, en vue de le transférer aux États-Unis d’Amérique, pour lui prodiguer les soins que son cas nécessitait. Après plusieurs heures, passées à l’aéroport Toussaint Louverture, en attente de l’avion-ambulance, qui devait le transporter, il succomba.
Quelque temps après, le processus est lancé. Parallèlement, éclata le démêlé - pour savoir qui allait recevoir la bénédiction du chef, pour représenter la plate-forme Inite aux joutes présidentielles. La bataille se jouait entre Jacques Edouard Alexis, Paul Denis et Jude Célestin.
Pour des raisons de consanguinité, pas assez prononcées, Paul Denis fut écarté ; Jacques Edouard Alexis, quant à lui, fut également écarté pour la commodité du jeu. A la surprise générale, Jude Célestin fut désigné pour représenter Inite à ces dites élections. Gérald Germain, maintenu au poste de ministre, s’aligna, en soutenant le choix de Jude Célestin comme candidat du parti officiel à la présidence.
Retournement de situation : Jude Célestin, promu en deuxième tour, en face de Myrlande Hyppolite Manigat, fut écarté, après plusieurs jours de tumultes et de casses - survenus tant dans certaines communes dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince que dans d’autres villes de province, dont les Cayes - pour être remplacé par Joseph Michel Martelly.
Au deuxième tour, Martelly remporta, à la surprise générale, les élections (Ndlr : Joseph Michel Martelly, président d’Haïti du 14 mai 2011 au 7 février 2016).
La plate-forme Inite disposa d’une majorité relative au sénat et à la chambre des députés. Par conséquent, elle aurait envisagé de jouer, à la Poutine, la carte de Premier ministre. Tel est pris qui croyait prendre ; le projet fut avorté.
Quant au nouveau président, à défaut d’une majorité de parlementaires acquis à sa cause, il dirigea, pendant six mois, avec le gouvernement démissionnaire, dirigé par Jean Max Bellerive.
Après beaucoup de tractations, le président Martelly parvint à faire voter un Premier ministre, qui n’est du tout pas de son écurie, en l’occurrence, le Dr. Garry Conille, ancien haut cadre de de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh). Conille (Ndlr : Premier ministre du 5 septembre 2011 au 16 mai 2012) dût, en moins de six mois, démissionner, pour être remplacé par son ministre des Affaires étrangères, Laurent Lamothe.
Lamothe devient Premier ministre et obtient, du même coup, le portefeuille de la planification. Après deux ans et sept mois de gestion, soit le mandat le plus long jusqu’à date, terrassé par de nombreuses manifestations de rues, de plus en plus intenses, le président Martelly fut contraint de lâcher son Premier ministre Laurent Lamothe, perçu comme un chef de gouvernement de spectacle.
Laurent Lamothe fut, lui aussi, un prétendant au trône, car il se voyait, à tort ou à raison, comme un potentiel remplaçant à Martelly.
Il conviendrait de souligner que, durant tout le mandat du président Martelly, les élections - pour le renouvellement des collectivités territoriales - n’ont jamais été réalisées. Les élections de fin de mandat se réalisèrent dans des conditions très controversées et tournèrent au vinaigre.
Pour sauver les meubles, une certaine sorte d’accord - perçu comme une démarche extraconstitutionnelle - fut trouvé avec le parlement, pour mettre en place un gouvernement provisoire, dirigé par l’ex sénateur Jocelerme Privert, chargé, presqu’exclusivement, d’organiser des élections quasi générales.
Comme en 2010, l’ouragan Matthew (Ndlr : l’ouragan Matthew frappa Haïti les lundi 3 et mardi 4 octobre 2016) asséna un coup fatal à la péninsule du Sud et à d’autres départements géographiques du pays.
Le Parti Tèt kale sut, en pareille circonstance, tirer son épingle du jeu et remporta, presqu’à tous les niveaux, les élections.
Le Président Jovenel Moïse, jusqu’à preuve du contraire, montre, avec brio, ses talents de manœuvrier : il gère, jusqu’à date, le pouvoir de défaut de l’Unité centrale de gestion (Ucg), comme instrument dont servit René Préval pour contourner l’occupant au bureau du Premier ministre et faire les choses comme bon lui semble. Jovenel Moïse dispose, actuellement, de ce qui est appelé « caravane du changement ».
Dans quelle mesure ces deux instruments, dans leur organisation respective et leur application, dans le temps et dans l’espace, pourraient-ils produire les résultats escomptés … ?
Dans le cas de Jovenel Moïse, les émeutes des vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 juillet 2018 en attestent le contraire.
La perfidie de la plupart des membres des élites dirigeantes ou des classes dominantes est palpable, à tous les niveaux de l’organisation et du développement de la société.
Les réformateurs de fortune, comme des prestidigitateurs, ont toujours, sous leur manche, un projet de Constitution, à proposer comme solution aux problèmes, qui sont, le plus souvent, d’une toute autre nature.
Aux grands maux, les grands remèdes, dixit la maxime !
*Enseignant
[1] Ndlr : Né le 4 octobre 1913 à Ganthier (une des communes de l’arrondissement de Croix-des-Bouquets, dans le département de l’Ouest) et mort, à 97 ans, le 4 février 2011 à Port-au-Prince, Martial Célestin fut un avocat, professeur, diplomate et homme d’État haïtien, Premier ministre d’Haïti de février à juin 1988.