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XVIIe Sommet de l’Oif : Michaelle Jean sacrifiée

Débat

Par Louis Marcadieu

Soumis à AlterPresse le 10 octobre 2018

Ça y est, les informations, qui circulent sous le manteau depuis quelques jours, sont officiels : les gouvernements canadiens, québécois n’appuient plus la Secrétaire Générale de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif) sortante, Madame Michaelle Jean. Comment pourra-t-elle parvenir au bout d’un processus, parsemé d’humiliations en toutes genres ?

Le XVIIe sommet de l’Oif, qui se déroule, en ce moment, dans la capitale de l’Arménie « Erevan », représente, cette année, un petit enjeu politique et diplomatique.

En général, cette organisation ne brille pas dans le concert des Nations pour la qualité de ses travaux sur les problèmes internationaux, moins stratégiques, mais de temps à autres, des petites guerres intestines, des coteries à la française viennent émailler son parcours.

Depuis l’arrivée de notre compatriote à sa tête, désignée le 30 novembre 2014 comme secrétaire générale de l’Oif, les journalistes de Montréal l’avaient prise pour cible et l’ont enfermée dans des scandales à répétition, qui l’ont complètement vissée sur place. Inaudible sur tous les sujets de la Francophonie, l’ancienne Gouverneure du Canada est très mal partie, dans cette compétition, qui l’oppose à une pointure de la scène politique africaine, en la personne de la Ministre des Affaires Étrangères rwandaises Louise Mushikiwabo.

Cette dernière avait reçu l’appui de la France et de son Président Emmanuel Macron, le 23 Mai 2018, à l’Elysée, sans même que le Canada et Haïti aient été au préalablement avertis. Un camouflet pour le pays de Jean Jacques Dessalines, qui avait sauvé la langue française, en 1945, à San Francisco.

La diplomatie d’un pays est la psychologie de ceux qui la dirigent. Celle d’Emmanuel Macron, en particulier, inaugure une diplomatie sans concertation, sur chaque dossier, il passe en force, quitte à ramasser des dividendes négatifs. Pour son attelage afin d’évincer madame Jean, il réussira, c’est un petit dossier diplomatique, à la portée de la France. Il faut dire qu’elle agit dans son pré carré africain. Même si la méthode est brutale, les soixante-quinze Etats membres de l’Oif sont habitués.

Circulez, il n’y a rien à avoir, ni à contester, Madame Louise Mushikiwabo sera élue haut la main, le vendredi 12 octobre 2018, à l’issue de cette seizième conférence de l’Organisation internationale de la francophonie.

Mais voilà que madame Jean, la tigresse d’Haïti, refuse cette humiliation que l’on veut lui infliger ; elle maintient sa candidature, au point d’indisposer les grands pontes de la Francophonie, et L’Elysée en tête, qui voulaient, comme d’habitude, que cette conférence soit une formalité pour la chancelière Rwandaise.

Alors, s’agit-il de savoir si la nouvelle Secrétaire Générale va être élue avec un faible score. Dans un tel cas, ce sera un désaveu.

En tout cas, pour la première fois dans l’histoire de cette organisation, deux candidates font face. L’une, soutenue par la France, en la personne de la Ministre des Affaires Étrangères Rwandaise, Madame Louise Mushikiwabo, et la sortante, la canadienne d’origine haïtienne madame Michaelle Jean.

Pour la première fois aussi, tout n’est pas réglé d’avance comme du papier à musique, l’affrontement aura lieu entre les deux femmes.

Tout, dans cette affaire, constitue une montagne de contradictions, seuls les vieux routiers de la diplomatie française et africaine peuvent voir ce qui cache derrière de telles manœuvres.

La candidate rwandaise est anglophone et vient d’un pays où l’une des langues officielles est l’Anglais. En outre, lorsqu’elle était Ministre des Affaires Étrangères, les relations avec Paris étaient exécrables. Elle avait déposé plusieurs plaintes devant les tribunaux en France. Le régime, installé au lendemain du terrible génocide au Rwanda, avait nommément accusé la France de complicité dans l’effroyable génocide qui avait fait plus de 800,000 morts.

Madame Jean vers la sortie

En politique, c’est bien connu, les mains qui vous applaudissent, ce sont les mêmes qui vous déshonorent un peu plus tard.

En 2014, la France a voulu de Madame Jean à la tête de l’organisation. Le service de la Présidence de François Hollande, tout en rondeur, comme son chef, avait mené une campagne tambour battant, et une communication bien huilée a été mise en place. Une lettre, en forme de plaidoyer, a été envoyée aux soixante-quinze Etats et gouvernements, en vingt points, pour mettre madame Jean dans les têtes des Chefs d’Etat africains. Ses pays, Haïti et le Canada, n’étaient pas en reste. Haïti avait pris toutes ses parts dans une campagne digne et active pour faciliter l’accès de sa fille à la tête de l’organisation internationale.

Il faut reconnaître que celle-ci, en quatre années de mandat, n’a rien fait, n’a même pas essayé de faire quoi que ce soit pour Haïti. Sous couvert d’anonymat, certaines autorités haïtiennes ne cachent pas leurs désapprobations.

On ne le sait que trop, cette rencontre ratée entre le Président Haïtien et Madame Jean était cousue de fil blanc. La rencontrer pourquoi faire ? On dénonce un opportunisme tous azimuts.

Certains diplomates haïtiens rapportent qu’elle n’accorde strictement aucune importance aux représentants haïtiens, rencontrés dans les organisations internationales, et qu’elle affiche toujours une morgue à leur égard.

Sacrifiée sur l’autel de la réconciliation entre la France et le Rwanda

Madame Jean a été sacrifiée sur l’autel de la réconciliation impossible entre la France et le Rwanda. On le sait bien, en diplomatie, plus la faute commise était lourde, dont l’implication des militaires français dans le déroulement du génocide qui avait fait des milliers de morts, plus la France sera encline à tout faire pour redorer son blason, plus le Rwanda de Kagamé fait monter les enchères. Telle est la loi de la diplomatie et ce depuis toujours.

Ce sont les mêmes comportements, à quelque chose près, qui provoquent les mêmes réactions. Les relations franco-rwandaises, au-delà des mots, constituent une sorte de plaie béante entre les deux pays, quasiment insupportables et inguérissables. Trois présidents français, dont le sphinx Mitterrand, n’ont rien pu faire. Messieurs Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été régulièrement humiliés par le chef de l’Etat Paul Kagamé.

Qu’est ce qui s’est passé, dans le landerneau de la vie diplomatique des deux pays, pour que Kagamé apporte, sur un plateau d’argent, une victoire, aussi nette et précise, à un pays, contre lequel il avait déposé pas moins de trois plaintes devant les instances internationales concernées ?

Mais l’affaire n’est pas aussi pliée comme une serviette et déposée sur les bureaux de l’Oif, dirigée par une rwandaise, endimanchée d’un discours pro français, en sacrifiant la mémoire des victimes du génocide rwandais.

Tout compte fait, cette affaire de la venue de Madame la Ministre des Affaires Étrangères du pays aux mille collines, comme successeure de Madame Jean, est dérisoire par rapport aux revendications des Rwandais.

Ces derniers vont-ils utiliser cette tribune francophone pour continuer à acculer la France ? Ce serait un deuxième échec diplomatique pour le Président français, après la bérézina Trump.

La diplomatie c’est une question de choix, le choix rwandais au détriment de la garde rapprochée de ceux qui ont toujours été à l’avant-garde de la France-Afrique.

Comment vont cohabiter des présidents Ivoirien, Gabonais, Camerounais, des pays dans lesquels la France réalise ses points de croissance économiques, où elle est seule sur les marchés de ces pays bénéficiant des privilèges économiques qui n’existent nulle part ailleurs ?

Ces pays-là sont les locomotives de la francophonie en matière économique. On n’est pas sûr, du tout, qu’ils vont avaler la couleuvre. Le plus grand pays francophone, qui a une frontière commune avec le Rwanda, la République démocratique du Congo, en guerre ouverte dans le Sud Kivu avec le Rwanda, annonce des tensions palpables et inévitables.

Emmanuel Macron a débarqué Madame Jean, en organisant une réconciliation avec Rwanda. Il ouvre aussi une bote de Pandore, car le Rwanda ne peut ^pas se déjuger en acceptant l’inacceptable. Ce pays, qui a toujours dénoncé l’incurie de la France en Afrique, ne pourrait pas devenir, du jour au lendemain, le porte-parole d’une francophonie à la solde de Paris.

Ce, d’autant plus que le Rwanda de Kagamé est devenu un pays à 6 % de croissance par an, un pays où pas une seule entreprise française n’est présente.

Cette réconciliation spectaculaire prend aussi en compte cette donnée, qui comptera davantage dans les années qui viennent.