P-au-P, 28 sept. 2018 [AlterPresse] --- Le sociologue Laënnec Hurbon souligne la nécessité d’un travail de mémoire collective autour des crimes passés, perpétrés en Haïti, notamment sous la dictature des Duvalier (1957-1986) et lors du sanglant coup d’Etat militaire du 30 septembre 1991.
« Si ce travail n’est pas fait en Haïti, il est clair qu’on peut revenir facilement à un nouveau duvaliérisme sous une autre forme ».
Cette mise en garde est faite par le chercheur et professeur d’Université, à l’émission TiChèzBa, animée par Gotson Pierre, et prévue pour être diffusée les samedis 29 et dimanche 30 septembre 2018 sur la station AlterRadio 106.1 FM et alterradio.org (samedi : 7:00 am, 3:00 pm ; dimanche : 7:00 am, 1:00 pm, 5:00 pm).
Pour le sociologue, le coup d’Etat du 30 septembre 1991 entendait rêhabiliter l’ancien système dictatorial où il y avait des inégalités sociales assimilables à un apartheid, fait remarquer le sociologue.
L’embargo et l’ouverture au libéralisme qui s’en sont suivis allaient affaiblir la production nationale d’Haïti.
Ce 30 septembre ramène le 27e anniversaire en Haïti du sanglant coup d’Etat perpétré contre le président élu Jean Bertrand Aristide en 1991, par les militaires, qui représentaient, en grande partie, « l’establishment duvaliériste », selon Laënnec Hurbon.
Les troupes américaines en 1994 ont accompagné le retour du président après un exil de 3 ans.
Le sociologue appelle, dans le contexte actuel, à une véritable rupture avec les pratiques dictatoriales et rétrogrades de François et Jean-Claude Duvalier.
Les traces du duvaliérisme persistent, dit-il, dans la société haïtienne, où il existerait une absence de mémoire claire et nette sur ce qu’a été le régime duvaliériste.
Une mentalité de soumission à la dictature est toujours présente chez les citoyennes et citoyens haïtiens, regrette le sociologue.
Il souhaite que tous les crimes commis sous le régime duvaliériste soient reconnus et que la vérité soit établie à travers des centres de documentation et un travail de devoir de mémoire.
Devoir de mémoire... le poids de l’esclavage
Il incombe d’adresser le problème lié au devoir de mémoire, si on veut entrer dans le développement, sortir des inégalités criantes et de l’oppression politique qui existent en Haïti.
« Tout ce qu’on vit aujourd’hui vient de l’esclavage. Le système esclavagiste a laissé des traces dans les institutions, la mentalité des gens et la vie quotidienne », visibles à travers une série de pratiques de violences et de domination, constate Laënnec Hurbon.
’’Esclavage, religion et politique" est le titre du dernier ouvrage du sociologue, publié aux Éditions de l’Université d’Etat d’Etat (Ueh).
Il estime que la puissance du passé esclavagiste affecte nos manières de diriger le pays en nous poussant à adopter des postures de chefs et de dominants, contraires aux pratiques démocratiques.
Il encourage une récupération de la mémoire esclavagiste, dans la perspective d’une issue à la situation critique dans laquelle se débat le pays.
Rompre avec le fantasme de chef
« Nous avons un fantasme de chefs et de maitres. En politique, nous nous comportons comme des maitres, des colons. Ce fantasme de chef ne marche pas avec la démocratie », affirme le sociologue.
Il appelle à un plus grand effort de réflexion politique pour pouvoir divorcer d’avec le culte du « bluff », du chef, bref sortir de la vie politique rétrograde.
Il évoque également une méfiance totale de la population vis-à-vis des institutions de l’Etat, des dirigeants et des partis politiques qui ne prennent pas en compte ses besoins.
Absence de reddition de comptes... PetroCaribe, une véritable gifle
L’absence de reddition de compte nous a empêchés de mettre sur pied un système de justice capable de rassurer suffisamment la population, déplore-t-il, profitant pour mettre en garde contre toute banalisation du dossier PetroCaribe.
Le gaspillage des fonds PetroCaribe constitue une véritable gifle donnée à la population, déclare-t-il appelant à une prise de position claire des institutions autour de cette affaire, notamment les partis politiques.
Il critique la position du président Jovenel Moïse qui voyait, par le passé, le dossier comme une tentative de persécution politique.
Une mobilisation citoyenne pour demander des comptes sur la gestion des fonds PetroCaribe avait pris naissance, le 14 août 2018, sur la toile.
Quelques jours plus tard, elle s’est intensifiée dans les rues en Haïti et au niveau de la diaspora haïtienne à l’étranger notamment aux États-Unis d’Amérique, au Canada et en France.
Ce vaste mouvement fait suite à la démission, le samedi 14 juillet 2018, du chef du gouvernement, Jack Guy Lafontant, après les émeutes des vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 juillet 2018, contre une tentative de hausse des prix des produits pétroliers sur le marché national. [emb gp apr 28/09/2018 17:36]
Texte : Emmanuel Marino Bruno
Prise de vue : Wedly Ludger
Montage vidéo : Gotson Pierre