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Cayenne : La Montagne aura-t-elle accouché d’une souris ?

Par Daniel Simidor

Soumis à AlterPresse le 20 mars 2005

Le ministre français des affaires étrangères, Michel
Bernier, avait donné le ton dès le départ. Au-delà 
des palabres et des bonnes intentions, il s’agissait
ni plus ni moins d’aider les Haitiens à construire
leur avenir. Les participants entendaient parler
chiffres et élaboration de travaux concrets. Une
liste de 380 projets pour un total de près d’un
milliard de dollars, ce sont là des chiffres qui impressionnent !

Pourtant dans les détails, les chiffres et les projets mentionnés sont plutôt décevants : $500.000 à la pièce pour le reboisement, l’agriculture et l’eau potable ; $25.000 pour la formation technique des policiers ; $40 millions pour le SIDA, et près de $50 millions pour le corridor routier Cap-Dajabon en République Dominicaine. A quelles fins plus alléchantes seraient réservés les $900 millions qui restent ?

Quelqu’un a bien mentionné mais sans s’y arrêter, que
les petits gourmands de la MINUSTAH auraient déjà 
englouti plus de $500 millions depuis leur arrivée en
Haiti. L’ONU a jusqu’à présent déboursé le gros de
cet argent, mais seulement sous forme de prêts. Ce ne
sont certes pas les Etats-Unis, ni la France, ni le
Canada, ni le Brésil qui règleront l’addition finale.
Alors qui ?

Déjà lors de l’adoption du "Cadre de coopération
intérimaire" en juillet dernier, des empêcheurs de
tourner en rond avaient estimé que des $1.3 milliards
si généreusement offerts par la "communauté
internationale", plus de 800 millions allaient
financer le train de vie de la MINUSTAH (les 4x4, çà 
coûte cher, nous l’avions déjà appris avec les régimes précédents). Une autre tranche de $350 millions devait alimenter le service de la dette. Si ces chiffres étaient exacts, il resterait à peine quelques dizaines de millions pour financer les beaux projets que M. Latortue se plait à miroiter aux yeux des chômeurs chroniques que sont 80% des Haitiens.

Plus des deux-tiers des montants en question seraient d’ailleurs des prêts qu’Haiti aura à rembourser à l’avenir. Quel crime affreux si ces millions étaient dépensés pour l’entretien de casques bleus parfaitement inutiles ! Quel crime contre l’humanité si ces millions allaient amortir une dette que le peuple haitien n’avait nullement contracté !

Avec ces chiffres-là , on comprend mieux les
frustrations de M. Latortue face aux réticences des
Brésiliens ringuards. On paie ces messieurs pour nous
faire la leçon ! C’est comme si notre pauvre pays
aurait été forcé de sacrifier son développement
économique pour accéder à la démocratie. Or comme
l’une n’est pas possible sans l’autre, nos
ayant-droits ont choisi d’abandonner les deux pour une
force multinationale qui garantirait la sécurité des
vies et des biens. La souverainneté nationale, n’en
parlons plus. Tout le monde s’en fout, et d’ailleurs
en acceptant de dissoudre l’armée au lieu de la
réformer, Aristide avait déja opté pour un système de
tutelle.

Or en guise de sécurité et de désarmement, ce sont des platitudes sur la démocratie que l’armée brésilienne, nouvellement réformée, nous assène à longueur de journée. J’ignore comment la société brésilienne s’accomode de ces leçons-là - après tout le très patriotique Général Heleno est en train d’assurer au Brésil une place de suppléant au conseil permanent de l’ONU - mais pour nous Haitiens qui en font les frais, à hauteur de $800 millions ou presque, la farce, Messieurs, n’est pas des plus comestibles !

La France pour sa part, fidèle au rapport Debray,
évoque les grands principes tout en gardant
jalousement ses sous. Elle a proposé 60 projets pour
un total de 31 millions euros. Je sais bien qu’il
faut être reconnaissant dans la vie, mais face aux
grands enjeux évoqués, ces 31 millions sont une
pitance.

Par le biais de son ministre des affaires étrangères,
la France se dit déterminée à construire un avenir
dans la durée "pour des centaines de milliers de
chômeurs que compte Haiti". Le sentiment est
admirable. Mais à considérer les bons amis que font
les bons comptes, il faudrait peut-être commencer par
nous payer ce qu’on nous doit. Une restitution pleine
et entière de la fameuse "dette de l’indépendence", et
Haiti généreuse jusqu’à l’excès pardonnerait à la
France un siècle entier d’esclavage, et même les deux
siècles d’échange inégal qui ont suivi.

Or tout le monde fait comme si cette "double dette"
que la France nous doit n’était qu’une vilaine blague
du méchant Aristide pour embarasser les Francais.
Tout le monde se comporte comme s’il était de mauvais
goût de parler restitution, surtout après le petit
service que la France aurait rendu avec le départ du "Dictateur". On ne réclame pas aux riches, voilà .

Tant de pudeur, mes amis, nous déshonore. Car la
survie d’Haiti passe par la restitution de ces
millions que la France nous extorqua naguère. La
facture d’Aristide était précise : $21 milliards et 48
centimes. On peut refaire l’addition si l’on veut, on
peut toujours négocier sur les termes. Mais pour
avoir bonne conscience, la France doit absolument
payer cette dette odieuse qui dément toutes ses belles
paroles.

Je me demande comment on peut être candidat a la
présidence en Haiti en 2005 et ne pas se laisser
troubler par ces histoires-là , ces rançons que l’on
paie continuellement aux pays riches pendant qu’Haiti
s’enfonce irréductiblement dans une misère et une
violence absolues. Encore que les politiciens sont
partout les mêmes, en Haiti ou ailleurs. Mais on
vient quand même à se demander où sont les Pierre
Frédérique, Anténor Firmin, Georges Petit, et Joseph
Jolibois de ce début de siècle, pour dénoncer le
pillage atroce de nos maigres ressources ?

La chose la plus triste aujourd’hui est cet abandon du
peuple à lui-même. Le mouvement populaire anéanti, la solidarité internationale en Amérique du Nord soudoyée par le lobby Aristide, il y a là tout un travail à refaire.

Contact : danielsimidor@yahoo.com