Par Ronald Colbert
P-au-P, 07 juillet 2018 [AlterPresse] --- L’étincelle était prévisible et attendue… Les mises en garde étaient renouvelées, depuis plus d’un mois, à l’attention du gouvernement de Jack Guy Lafontant.
Mais, les dirigeants politiques ont passé outre, sans mesurer les conséquences et les possibles répercussions sociales, observe l’agence en ligne AlterPresse.
La décision officielle d’augmenter les prix des produits pétroliers à la pompe [1], à partir du samedi 7 juillet 2018, à minuit, a soulevé la colère d’habitantes et d’habitants, dans la plupart des quartiers, dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, vendredi après-midi 6 juillet 2018.
Une colère, qui couvait, depuis des mois, pour nombre de desiderata, méprisés par les autorités.
Grosses pierres, pneus usagés enflammés, carcasses de véhicules, mais aussi des véhicules en état de fonctionner, débris divers...ont servi de décors dans les barricades, érigées en divers endroits, dans la capitale haïtienne, en fin d’après-midi de ce vendredi 6 juillet 2018.
La pilule amère, d’augmentation des prix des produits pétroliers, vue comme application des exigences du Fonds monétaire international (Fmi) – avec lequel le gouvernement a conclu un accord, le 25 février 2018, autour d’un Programme « Staff-monitored program » (Smp) contrôlé par le personnel du Fmi, « couvrant la période de mars à août 2018 [2] - est « violemment » rejetée.
La révolte s’est allumée, dès 4:00 pm locales (20:00 gmt), presque immédiatement au coup de sifflet final de la rencontre de football entre les sélections nationales du Brésil et de la Belgique, qui l’emporte 2 buts à 1 sur l’équipe sud-américaine.
Ce mouvement généralisé, dans les rues de la capitale, a surpris un nombre indéterminé de personnes.
C’est un après-midi de tension et de panique, d’une nouvelle dimension, qu’ont vécu les Port-au-Princiennnes et Port-au-Princiens.
Sans y être préalablement préparés, les unes et les uns se sont retrouvés, bloqués sur leurs lieux de travail (banques, bureaux, médias, camps d’enfants, garages, restaurants, boutiques, supermarchés, commerces, services divers).
D’autres, occupés à leurs activités, ont été informés de l’amorce d’un vent de fronde : contre le gouvernement, au-delà de l’augmentation annoncée des prix des produits pétroliers.
D’autres ont été contraints de se réfugier chez des proches, amis ou autres connaissances.
« J’ai pu m’abriter chez une amie, qui, elle, a été accueillie chez une autre amie. Cette dernière, elle, avait trouvé refuge chez une autre amie ».
« Je ne sais pas comment j’ai pu traverser ces barricades pour arriver, heureusement sans encombres, chez moi ».
« J’ai parcouru une partie du chemin en moto-taxi. Arrivée à mi-chemin, j’ai été peinée de voir le taxi-moto tomber en panne, après que le chauffeur a dû donner de son carburant, pour pouvoir se frayer un passage, parmi les barricades ».
« Je n’ai pas pu sortir du bureau. J’ai dû rester. J’ai été informé de fouilles systématiques, effectuées sur chaque personne par les manifestants ».
Les témoignages ne manquent pas sur ce qu’ont vécu citoyennes et citoyens, à l’occasion de cette nouvelle forme de protestations contre la nouvelle augmentation des prix des produits pétroliers, à partir du samedi 7 juillet 2018. Le lundi 15 mai 2017, le gouvernement de Jack Guy Lafontant avait décidé une première hausse des prix des produits pétroliers, environ 3 mois après l’arrivée, au pouvoir, de la deuxième version du régime tèt kale.
D’autres sont parvenus, tout de même, en voitures, en taxis-motos, très souvent à pied, à regagner leurs domiciles, dans une atmosphère d’anxiété.
En chemin, des conducteurs de taxis-motos ont été forcés de donner de leur carburant, pour éviter des actes de représailles de manifestants, qui voulaient disposer de pétrole pour poursuivre l’embrasement dans les rues.
Tel était, globalement, le tableau de la situation, en fin d’après-midi du vendredi 6 juillet 2018, à la veille de l’application des nouveaux prix, annoncés, de carburant à la pompe, sur le territoire national.
Une longue nuit…
Les rues ont été vite vidées, en fin d’après-midi du vendredi 6 juillet 2018.
Plusieurs personnes sont parvenues à rentrer à pied chez elles. D’autres n’ont pas pu laisser l’endroit, où elles se trouvaient au moment où les protestations ont pris corps dans divers quartiers, dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (Delmas, Canapé Vert, Pétionville, centre ville de Port-au-Prince, Tabarre, Croix des Bouquets, Bon Repos, Carrefour Marin, Lison, Carrefour Feuilles, Martissant, etc.).
La nuit, du vendredi 6 juillet au samedi 7 juillet 2018, est tombée dans une atmosphère d’incertitude, d’inquiétude et de confusion, à Port-au-Prince. Différents quartiers étaient privés de courant électrique public.
Le moindre bruit a alerté... dans le silence pesant de la nuit...
Beaucoup d’ambassades ont demandé à leurs employés de ne pas quitter leurs lieux de travail, vu l’intensité des manifestations en cascade… dans les rues de Port-au-Prince.
Comment trouver le sommeil, dans de telles conditions ?
Certaines et certains ont pu s’assoupir, presque par à-coups...
Pas encore d’information exacte sur le nombre de personnes, qui ont été, contre leur gré, bloquées dans leurs espaces de travail, vendredi soir 6 juillet 2018.
Des espaces de travail, où elles ont été forcées de se réfugier, de passer une longue nuit de veille… en attendant demain.
Demain ?
C’est ce samedi 7 juillet 2018, date annoncée pour la mise en œuvre des nouveaux prix de carburant à la pompe.
Quel sera le climat, dans les rues, moins de 24 heures après la pose de barricades contre l’augmentation effective (décidée) des prix des produits pétroliers ?
Comment les citoyennes et citoyens pourront s’approvisionner face à l’incertitude des jours à venir ? Où toutes les couches dans la population trouveront-elles les ressorces pour supporter l’augmentation des prix des produits pétroliers, faire face à l’augmentation des tarifs des transports publics et à la hausse subséquente des autres prix sur le marché ?
Les manifestants projettent d’intensifier leur mouvement de protestation, en empêchant la circulation de véhicules, excepté de motocyclettes…, jusqu’à ce que l’actuelle équipe au pouvoir jette l’éponge…
Heureusement, il n’y a pas eu d’interruption de la communication téléphonique.
Toutes celles et tous ceux, bloqués dans leurs espaces de travail, dans des services et autres, ont pu rassurer leurs proches sur leur état de santé, à travers leurs téléphones cellulaires. Pas d’inquiétude outre mesure ?
Cependant, de quelle manière toutes ces personnes pourront regagner leurs domiciles ? Si elles restent confinées dans les espaces bloqués, comment vont-elles pouvoir s’approvisionner ? en nourriture et autres ?
Faudrait-il, à l’instar de l’après-tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010, envisager d’aménager tous les espaces, de manière à accueillir un nombre X de personnes pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours ? Comme dans un état de guerre ou un état de siège ? Sans aucune porte de sortie ?
Depuis la fin d’après-midi du vendredi 6 juillet 2018, les rumeurs les plus folles et des considérations politiques agitent les réseaux sociaux.
D’aucuns disent que la république d’Haïti a été acheminée à un point de non retour, par la deuxième version du régime tèt kale, dirigé par le président Jovenel Moïse et le premier ministre Jack Guy Lafontant.
L’équipe tèt kale est accusée de vivre dans une bulle, sur une autre planète que la Terre, voire dans l’espace, tant les tâtonnements et l’amateurisme, la sourdine mise aux revendications sociales, les velléités de dirigisme, d’arbitraire et d’autocratie frappent l’attention, dans leur mode de gestion, depuis février 2017.
En début de soirée, vendredi 6 juillet 2018, alors que l’ambiance est chaude dans la plupart des quartiers, dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, le gouvernement de Jack Guy Lafontant n’a pipé mot sur les nouveaux développements, dans la situation sociopolitique, issus de la décision d’augmentation des prix des produits pétroliers sur le marché national.
Son porte-parole, Guyler Delva, titulaire du ministère de la communication, préfère jouer sur les mots en évoquant « ajustement des prix », au lieu d’augmentation effective des prix des produits pétroliers sur le marché national
Quelles issues à la nouvelle crise sociopolitique en Haïti ?
Divers secteurs mettent également en cause la dilapidation des fonds publics, qu’ils soupçonnent être criante chez l’actuelle équipe au pouvoir.
Aucune retenue dans l’allocation de subventions inconsidérées aux sénateurs et députés, dans l’utilisation des ressources publiques pour différentes dépenses somptuaires (voyages, entre autres), train de vie extravagant des autorités…, dénoncent-ils.
Pendant plusieurs années, les différents gouvernements, qui se sont succédé, n’ont pas voulu répercuter, à la pompe, sur le marché national, les prix en baisse substantielle des prix des produits pétroliers sur le marché international.
Le vendredi 6 juillet 2018, les cours du pétrole reculaient sur le marché international, atteignant le niveau de 72.94 dollars, selon les informations disponibles.
Sur le terrain, des secteurs politiques mettent en garde contre toutes éventuelles négociations de syndicats, avec le gouvernement, sur une baisse dans les prix annoncés pour les produits pétroliers.
Des interrogations pèsent sur les capacités gouvernementales à apaiser la violente colère, qui gronde chez diverses couches, incapables, aujourd’hui et depuis plusieurs mois, de subvenir à leurs besoins essentiels, avec la vie chère qui les ronge et les plonge dans le dénuement et la misère.
Depuis l’année 2017, l’inflation a longtemps dépassé le niveau de 14% sur différents biens en Haïti, selon des statistiques officielles.
Comment ces diverses couches, dans la population nationale, peuvent-elles parvenir à obtenir des ressources pour faire face aux nouveaux prix des produits pétroliers, aux nouveaux tarifs des transports publics qui en résulteront et à la multiplication de la hausse des prix sur différents biens ?
Il est inconcevable qu’une personne, qui avait planifié un budget spécifique pour se rendre dans une partie du pays, se retrouve en difficulté pour revenir chez elle, à cause de cette augmentation intempestive des prix des produits pétroliers et de la hausse subséquente des tarifs de transport public, relève une jeune fille, interrogée par AlterPresse.
En ce début de juillet 2018, les perspectives paraissent sombres : quant à la préparation de la nouvelle rentrée académique scolaire de septembre 2018, quant à l’éventualité de cyclones, à côté d’autres points de tension, comme la grogne de Conseils d’administration de sections communales (Casec) et de différentes municipalités sur la non dotation de ressources publiques dans leurs administrations, contrairement aux prévisions budgétaires de l’exercice 2017-2018… [rc apr 07/07/2018 0:00]
[1] Le kérosène, ou gaz blanc (très utilisé par la plupart des ménages en Haïti) devrait coûter désormais 262.00 gourdes (Ndlr : US $ 1.00 = 69.00 gourdes ; 1 euro = 85.00 gourdes ; 1 peso dominicain =1.60 gourde aujourd’hui) au lieu de 173 gourdes, soit une hausse de 51%. Le gallon de diesel devrait passer à 264.00 gourdes, au lieu de 179.00 auparavant, soit une hausse de 47.48%. Le gallon de gazoline devrait être vendu à 309.00 gourdes au lieu de 224.00 gourdes, soit une hausse de 38%, selon les nouveaux prix décidés par le gouvernement de Jack Guy Lafontant.
[2] « Suite à de longues discussions, l’équipe du Fmi a conclu un accord avec les autorités sur un Smp, couvrant la période de mars à août 2018. Le Gouvernement d’Haïti, sous la direction du Président Moïse et du Premier Ministre Lafontant, avec le soutien du Ministre des Finances et du Gouverneur de la Banque centrale (Banque de la république d’Haïti / Brh), s’est engagé à mener des réformes économiques et structurelles pour promouvoir la croissance économique et la stabilité et réduire la pauvreté en Haïti.
[...] Dans le cadre du Smp, la politique fiscale se concentrera sur la mobilisation des recettes et la rationalisation des dépenses courantes, afin de faire de la place pour des investissements publics critiques dans les infrastructures, la santé, l’éducation et les services sociaux. Cela comprendra des mesures, visant à améliorer la perception et l’efficacité des impôts et à éliminer les subventions excessives, y compris sur le carburant. D’autres réformes viseront à endiguer les pertes de la société publique d’électricité (Ed’h), qui, ces dernières années, ont représenté une part non négligeable du déficit public, en améliorant l’efficacité de la facturation et en réformant les pratiques contractuelles. Les réformes fiscales visent également à accroître la transparence des comptes publics. Ces réformes doivent s’accompagner d’un ensemble substantiel de mesures d’atténuation, visant à protéger les membres les plus vulnérables de la société », avait déclaré Chris Walker, chef de mission du Fmi pour Haïti, en visite à Port-au-Prince du mardi 20 au dimanche 25 février 2018.