Entre le jeudi 14 juin et le dimanche 15 juillet 2018, la coupe du monde de football masculin senior se joue en Russie. Si Haïti n’a pas pu décrocher son billet qualificatif pour cette grande fête, comme tous les quatre ans, l’émulation des grandes et petites équipes en compétition ne lui est pas indifférente. En plus des passions qu’elle déchaine, le mondial de football apporte une valse et de la couleur, dans un contexte socio-économique difficile.
P-au-P., 15 juin 2018 [AlterPresse] --- Depuis plusieurs semaines, l’activité économique haïtienne est ponctuée d’extrants, qui renvoient à la coupe du monde de football masculin senior, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Les médias et leurs commanditaires, les trottoirs, les supermarchés, les restaurants, entre autres, se prêtent au jeu de la compétition, aux fins d’une maximisation des profits. Drapeaux et maillots, bracelets des grandes équipes, prix spéciaux et tirages… : l’offre est diverse.
A Bourdon (secteur est), particulièrement à l’atelier Jacky Shop Mahogany, on peut parler de tradition. Les T-shirts et drapeaux aux couleurs du Brésil, de l’Argentine, de l’Espagne, de l’Allemagne ornent les œuvres d’art, habituellement exposées de manière latérale à la chaussée.
Depuis 1995, Jackson Jean vit essentiellement de la peinture. Ce qui, toutefois, ne l’empêche pas de faire un saut dans la vente de ces objets qui introduisent symboliquement le pays dans l’euphorie de la compétition.
« C’est un investissement garanti. Je n’ai aucun doute, je vais les écouler tous, comme chaque année », lance Jackson, d’un air assuré.
Chez Jacky, il faut 200.00 gourdes (environ 3 dollars US / Ndlr : US $ 1.00 = 68.00 gourdes ; 1 euro = 85.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 1.60 gourde aujourd’hui) pour se procurer un petit drapeau de son équipe préférée, qu’on peut placer sur le toit de sa voiture, ou agiter, lors d’éventuelles célébrations.
Les plus passionnés-es doivent débourser jusqu’à 600.00 gourdes pour un maillot ou 750.00 gourdes pour un drapeau de dimension 90x60 cm.
Toutefois, les prix sont plus démocratiques pour le Brésil et l’Argentine. Parce qu’elles sont les deux plus grandes équipes « haïtiennes », leurs articles sont beaucoup plus sollicités, plus accessibles aux acheteurs, plus abordables. « Les petits drapeaux du Brésil et de l’Argentine ne coûtent que 125.00 gourdes », précise l’artisan, qui exalte « l’authenticité » de ses produits.
Jusque-là, les affaires vont bon train pour le jeune commerçant.
Dans ce grand marché saisonnier, le faux et le vrai se confondent.
Sur la route de Delmas, plus précisément à Delmas 53 (périphérie nord-est), une boutique expose conjointement vêtements et produits alimentaires, où deux T-shirts des équipes préférées des Haïtiens attendent leurs acheteurs. Le prix en dollars américain ($20.00) incite un intéressé à la fuite, outre le tissu et le design qui laissent une impression de contrefaçon.
Si certains préfèrent suivre les matches en famille, d’autres veulent profiter de chaque émotion forte et la partager publiquement. Aussi, les bars et les restaurants aménagent-ils leurs espaces, pour accueillir ces fans et consommateurs. Coup de marketing des entreprises, même les startups, pour booster la fréquentation et la consommation, en cette période de surexcitation.
La coupe du monde de football crée donc parallèlement un mouvement économique qui, malheureusement, ne peut pas soulager les ménages, dans un contexte de crise aigue.
En 2018, la gourde continue à se déprécier et le niveau de vie de la population est en chute libre. En dépit des transferts de la diaspora, Haïti n’arrive pas encore à produire de la croissance à deux chiffres.
Le pays continue à importer plus qu’elle exporte. Même les articles liés au foot, qui garnissent les coins de rue.
L’augmentation des prix des produits pétroliers, annoncée par le gouvernement pour ce mois de juin 2018, les récentes mobilisations des ouvrières et ouvriers pour exiger 1,000.00 gourdes comme salaire minimum journalier, les affrontements entre des groupes armés dans divers quartiers de la capitale, rendent compte d’une situation délicate.
Le lundi 11 juin 2018, dans son discours d’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’année législative, le sénateur Joseph Lambert a exprimé ses préoccupations par rapport à la fièvre du mondial de football, qui mettrait le pays en veilleuse pendant environ 30 jours.
Les propos du président de l’assemblée nationale augurent d’un mois, durant lequel Messi, Neymar, Cristiano et consorts occuperont les médias et toutes les attentions, au détriment de l’urgence qui s’impose.
Sédation ou exutoire, à l’avantage des décideurs haïtiens, la coupe du monde de football masculin senior, comme les fêtes de fin d’année, semble avoir le mérite de calmer quelque peu les esprits. [jf gp apr 15/06/2018 09:00]